Le 17 avril, Air France a fait son grand retour en Iran, après huit ans d’absence. Un moment très attendu de la communauté d’affaires française, attiré par un vaste marché de 78 millions d’habitants, coupé du monde depuis la Révolution islamique de 1979, et détenteur des deuxièmes réserves mondiales de gaz (33 milliards de m3 en 2015, soit une part de 18 %) et des quatrièmes pour le pétrole (168 milliards de barils en 2015).
Toutefois, il convient de rester prudent. D’abord, parce que la levée des sanctions internationales, après l’accord du 14 janvier 2015 sur le démantèlement nucléaire, est graduelle, qu’il n’existe aujourd’hui encore aucun échéancier précis et que, surtout, les Américains ont maintenu une partie de leurs sanctions. La conséquence directe est que les grandes banques européennes, actives aux États-Unis, ne veulent pas s’engager en Iran, pour ne pas risquer d’être condamnées par Washington, à l’instar de BNP Paribas. Elles craignent surtout que les partenaires des entreprises européennes soient liés aux gardiens de la Révolution, les radicaux qui contrôlent le régime en place à Téhéran.
Les trois conditions du Guide Suprême à l’ouverture internationale
Par ailleurs, les entrepreneurs ne doivent pas imaginer que l’Iran va ouvrir son marché à l’Occident, largement et sans contrepartie. « Il faut bien comprendre que si Téhéran a accepté de démanteler son arsenal nucléaire, alors que tous les Iraniens, y compris à l’étranger, sont en faveur de la détention de la bombe atomique, c’est que la situation économique et sociale ne lui laissait pas d’autre choix. Il y avait déjà eu des émeutes en 2009. Pour autant, le Guide Suprême Ali Khameneï a fixé des conditions ou lignes directrices à l’ouverture vers l’extérieur », a expliqué Bernard Hourcade, directeur de recherche émérite au CNRS et spécialiste de l’Iran, le 21 avril, lors des Matinales du Club du Cepii (Centre de recherche français dans le domaine de l’économie internationale) sur ce pays.
D’abord, d’après le chercheur, le Guide Suprême aurait indiqué que la production nationale ne pouvait tomber sous la coupe d’opérateurs étrangers. Mais, comme celle-ci n’est pas compétitive, l’ouverture internationale est jugée indispensable pour que l’Iran devienne un grand pays industriel dans quinze ans. Il faut donc, deuxième condition, que les investisseurs extérieurs favorisent l’accès de l’Iran à « l’excellence scientifique ». Enfin, selon Bernard Hourcade, « il est inimaginable de voir un jour des femmes d’expatriés débarquer sans voile à Téhéran, ce qui signifie que la promotion de l’islam restera et que tout sera fait pour que la civilisation occidentale ne devienne pas une menace ».
Deux secteurs phare : pétrole et automobile
Quant au président Rohani, à qui le Guide de la Révolution a laissé le soin de négocier l’accord du 14 janvier 2015, « lui-même n’est ni un conservateur, ni un réformateur, mais un homme intelligent, un mollah au cœur du régime depuis l’époque de l’ayatollah Khomeiny, qui respecte les trois « i », ceux de nationalisme, d’islam et d’international », précisait le chercheur français. C’est ainsi qu’Hassan Rohani a pu effectuer une tournée en janvier en Europe, commandant ainsi en France à Airbus 118 avions pour une valeur totale de 25 milliards de dollars et signant en Italie dans différents secteurs (transport, infrastructures, machines) pour un montant global de 15 milliards de dollars. Une ouverture internationale qui ne se limite pas à cette partie de l’Occident, fait remarquer Coface, puisque Téhéran a aussi scellé une nouvelle « ère » de coopération avec la Chine, avec, à la clé, 17 contrats dans une série de domaines, incluant le nucléaire.
D’après les divers observateurs économiques, l’économie devrait croître de près de 4 % en 2016 (l’année commençant en mars), malgré la chute des cours des hydrocarbures. La Banque mondiale a ainsi calculé, en partant d’un baril d’or noir tombé de 70 à 40 dollars, que l’Iran perdait environ 2,8 % de points de produit intérieur brut (PIB). La reprise des importations devrait faciliter la baisse des coûts de la production manufacturière. Et Coface s’attend notamment à une amélioration dans deux industries phares : pétrole et automobile.
Pour l’or noir, « cette production augmenterait de façon progressive », selon Sofia Tozy (notre photo), économiste chez Coface. Cette hausse s’est ainsi établie à 14 % en mars en glissement annuel, la récolte d’or noir atteignant ainsi le niveau de 3,2 millions de barils par jour (b/j). A terme, la République islamique vise 4 millions de b/j et même 6 millions, ce qui semble, néanmoins, compliqué, compte tenu de la bureaucratie et de la complexité du système de partage de recettes avec les opérateurs extérieurs. D’après la Banque mondiale, les besoins de financement seraient supérieurs à 130 milliards de dollars et, selon les autorités à Téhéran, de 200 milliards.
Pour l’automobile, le retour des grands équipementiers européens est une bonne nouvelle. Cette année, la production devrait s’élever jusqu’à 1,2 million de véhicules et les ventes jusqu’à 1,3 million, grâce surtout aux marques étrangères, symbole de qualité aux yeux des Iraniens. C’est ainsi que PSA avec son ancien partenaire Iran Khodro renoue pour injecter 400 millions d’euros dans une usine à Téhéran et que Renault a également annoncé son intention de conquête du marché automobile.
L’enjeu de l’emploi des jeunes
Restent les contraintes auxquelles tous les opérateurs vont être confrontées : une bureaucratie omniprésente, un système complexe et même opaque, le manque d’infrastructures et un secteur bancaire fragile, sous capitalisé, avec des banques publiques portant de nombreuses créances douteuses (12 %), ce qui complique la venue d’entreprises extérieures et une diversification de l’économie considérée, pourtant, comme primordiale pour l’Iran. Car si le pétrole génère 60 % des recettes d’exportation, il n’emploie que 0,7 % de la population active. Or, le nombre de jeunes chômeurs est important. Pour sa part, la Banque mondiale a calculé que l’économie a besoin de créer cinq millions d’emplois en cinq ans pour parvenir à un taux de croissance de 5,5 % par an. Dans ces conditions alors, note Sofia Tozy, « l’Iran parviendrait à maintenir son chômage autour de 10 % et permettrait à son tissu de production d’être viable ». De son côté, le gouvernement iranien a parlé de privatiser l’économie, aujourd’hui essentiellement aux mains du secteur public, notamment des entreprises des gardiens de la Révolution, auxquelles le président Rohani veut aussi faire payer des impôts. Est-ce possible ? Tout comme de faire entrer l’Iran dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ce serait le meilleur moyen de moderniser l’économie iranienne.
François Pargny
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