La Grèce revient de loin, et la tête haute pourrait-on dire : la fin officielle du programme de soutien à la stabilité mis en place il y a trois ans dans le cadre du mécanisme européen de stabilité (MES), marque pour ce pays passé au bord de la faillite totale après la crise financière internationale de 2008-2009, la sortie d’une période de huit longues années d’ajustement sévère et de perfusion financière, et conforte sa place dans la zone euro et l’Union européenne.
La confiance revient. C’est un bon signal pour s’intéresser à nouveau à ce marché qu’avaient fui les entreprises, les assureurs-crédits et les banques européennes au plus fort de la crise. Non sans prudence cependant. Si l’embellie est indéniable au plan macro-économique, les exportateurs devraient demeurer prudents vis-à-vis de leurs contreparties car subsistent quelques points d’incertitude sur la situation des banques et que beaucoup d’entreprises en faillite virtuelle reste officiellement en activité en raison de procédures de faillites lentes.
Sortie de la récession et retour à la croissance
Dans le détail, 61,9 milliards d’euros en prêts ont été octroyés à la Grèce au titre du MES depuis 2015, le dernier versement par l’UE, d’un montant de 15 milliards d’euros (Md EUR), ayant été effectué le 6 août. Mais c’est au total 288,7 Md EUR en prêts qui ont été injectés depuis 2010 en Grèce dans le cadre de plans de sauvetage successifs, dont 256,6 Md EUR de ses partenaires européens et 32,1 Md EUR du Fonds monétaire international (FMI).
En contrepartie, les autorités ont du mettre en œuvre un train de réformes complet et sans précédent par son ampleur visant à réduire les dépenses publiques, restructurer le secteur public par des coupes claires et des privatisations, et assainir son secteur bancaire.
Un remède de cheval : entre 2008 et 2015, le PIB grec a fondu de 25 % et le taux de chômage, alimenté par les fermetures d’entreprises -250 000 TPE auraient cessé leurs activités durant cette période- et les dégraissages dans les administrations, à atteint des pics à 28 % ! Les privatisations ont accéléré, l’une des plus emblématiques ayant été celle du port du Pirée, concédé à une entreprise chinoise.
Mais sur le plan macro-économique, les indicateurs sont à nouveau dans le vert, le pays est sorti de la récession : la croissance économique a rebondi de -5,5 % en 2010 à +1,4 % en 2017 (après – 0,2 % en 2016) et, selon les prévisions de la Commission européenne, elle devrait se stabiliser autour de + 2 % en 2018 et 2019. La situation budgétaire de l’Etat est passée d’un déficit considérable de 15,1 % du PIB en 2009 à un excédent de 0,8 % en 2017 (ce qui correspond à un excédent primaire de 4,2 % du point de vue du programme).
Selon des chiffres publiés récemment par l’autorité statistique hellénique, le taux de chômage serait retombé à 19,5 % en mai 2018 : c’est la première fois depuis septembre 2011 que ce ratio passe en dessous des 20 %…
Les entreprises grecques en meilleure forme
Toutefois, la population est loin d’être sortie de l’austérité. La demande intérieure reste atone même si les importations de biens, portées par les investissements, ont renoué avec la croissance (+13,8 % en 2017, à 50,2 Md EUR). Résultat : contraints d’aller chercher des relais de croissance hors du pays et dopés par un regain de compétitivité lié à la baisse des salaires, les opérateurs grecs se sont davantage tournés vers l’export, et avec succès.
Selon les statistiques de commerce international compilées par la base de données IHS Markit Global Trade Atlas, les exportations de marchandises ont augmenté en valeur de plus de 35 % entre 2008 (21,3 Md EUR) et 2017 (28,8 Md). Sur les sept premiers mois de l’année 2018 (janvier-juillet), elles progressaient encore de + 15,6 % par rapport à la même période de 2017, rendant possible le franchissement de la barre des 30 Md sur 2018.
D’après Coface, qui vient de publier une note sur le renouveau des entreprises grecques, ce regain de dynamisme à l’export a particulièrement bénéficié aux « moyennes et grandes entreprises issues de certaines industries manufacturières comme le raffinage de pétrole ou l’industrie pharmaceutique ». De fait, le poste hydrocarbures reste le premier poste des exportations grecques (33 %), suivi des produits en aluminium et des machines : tous trois sont en forte progression à l’export depuis le début de l’année, comme de nombreux autres produits.
Indéniablement, les entreprises sont en meilleure forme. Toujours d’après Coface, d’une façon générale, leur taux de marge progresse sans discontinuer depuis le second trimestre 2016, « affichant une performance supérieure à la moyenne européenne ». L’assureur-crédit estime que si la faiblesse de la demande intérieure freine leur redressement, on devrait assister dès 2019 à une accélération du redressement de leurs ratios de profitabilité et de leurs investissements.
Risque pays et risque commercial jugés encore élevés
Le marché grec reste toutefois encore risqué, du point de vue commercial, pour les exportateurs. En cause : la rareté des informations fiables sur les entreprises, notamment les PME et TPE, régulièrement signalées par Le Moci dans son Atlas des risques pays*, mais aussi la lenteur des procédures de faillite.
« L’insolvabilité des entreprises reste un problème sous-estimé » alerte Coface, car les statistiques officielles de défaillances ne prennent pas en compte les procédures de « pré-insolvabilité ». Ces dernières ont pour effet pervers de maintenir en activité des entreprises non solvables et non rentables, de véritables « zombies » pour reprendre l’expression de l’assureur-crédit. Celles-ci continuent à plomber le bilan des banques locales, pourtant recapitalisées en 2015.
Dans la fiche Grèce de la dernière édition de l’Atlas du Moci déjà citée, Jean-Claude Asfour, expert en commerce international, remarque que la baisse des incidents de paiements ces dernières années sur la Grèce est moins due à la baisse des faillites qu’à la généralisation des paiements d’avance dans les transactions commerciales internationales…
Les assureurs-crédit européens, s’ils ont amélioré leur évaluation du risque pays grec ces dernières années, le maintiennent dans des niveaux élevés -celui du Brésil actuellement- par rapport aux standards européens : B pour Coface, C3 pour Euler Hermes, 7/10 + pour Atradius, 4/7 pour Credendo. Ce dernier note spécifiquement le risque commercial grec C, soit la note la plus élevée, et estime le risque de transfert également très élevé avec 5 sur une échelle de 1 à 7, du meilleur au pire.
Le marché grec est donc à nouveau à considérer avec le plus vif intérêt, mais en prenant les précautions nécessaires dans les transactions avec les opérateurs.
Christine Gilguy
*L’Atlas, qui passe en revue les pratiques de paiement export dans 110 pays, constitue la deuxième partie du Guide Gérer les risques d’impayés à l’export – 1ère édition 2018