Après avoir bondi de 9,5 % en 2017, le commerce international va bénéficier d’une croissance moindre, de 7,7 % en 2018 et 5,5 % en 2019, « parce que les Etats-Unis s’occupent d’elle-même et ne se préoccupent plus des autres », a averti Stéphane Colliac, Senior Economist chez Euler Hermes, lors du Forum annuel du Moci sur les risques et opportunités à l’international, le 27 juin.
L’America First, prôné par Donald Trump, va accentuer les soldes négatifs des échanges de biens et du budget des États-Unis. Depuis l’élection du président américain, la politique protectionniste suivie à Washington se serait ainsi traduite par une augmentation de 75 milliards de dollars du déficit commercial. Et, depuis novembre 2016, un effort budgétaire impressionnant aurait généré un déficit primaire supplémentaire de 300 milliards de dollars.
Les États-Unis en forme, l’Amérique latine en danger
Parallèlement, production d’hydrocarbures record aux États-Unis et sanctions contre l’Iran aidant, les prix du pétrole sont remontés. Le plan de relance budgétaire et la dérèglementation ont largement entretenu la croissance économique à court terme, qui atteindrait 2,9 % à la fin de cette année, contre 2,3% en 2017.
« Ce sera très positif pour les États-Unis », a noté Stéphane Colliac. A rebours, l’économie, tout en progressant toujours, va être freinée dans la zone euro (+ 2,1 %), en Chine (+ 6,6 %) et au Japon (+ 1,2 %). Plusieurs pays, comme l’Argentine, la Turquie, le Brésil ou l’Afrique du Sud, ont également souffert d’une dépréciation de leur monnaie en 2016, voire les années suivantes. « Pour des raisons de change, nous n’avons pas pu entrer en Afrique du Sud », a témoigné ainsi Anne Delleur, P-dg d’Arcancil, une entreprise de cosmétiques (maquillage…), avec un taux d’exportation de 80 %.
L’Amérique latine doit être suivie de près. A son exposition marquée au nouvel ordre commercial mondial imprimé par Washington, s’ajoute une situation financière préoccupante, avec des soldes budgétaire et courant fortement négatifs.
Le calendrier électoral y est un autre souci. Au Mexique, les présidentielles n’inquiètent pas forcément Euler Hermes. En revanche, l’assureur-crédit s’interroge sur l’avenir de l’Association nord-américaine de libre-échange (Alena), que renégocient Mexico, Washington et Ottawa.
L’Asie devient un débouché structurel de la France
De l’autre côté du Pacifique, l’Asie démontre une certaine résilience et fait preuve de dynamisme. « Cette zone croît par elle-même, développe ses routes commerciales propres, comme la Route de la Soie, et n’a plus rien à voir avec les États-Unis », a commenté Stéphane Colliac.
Si le risque d’impayés reste faible dans les zones les plus solides, c’est-à-dire Europe de l’Ouest, Amérique du Nord et Asie-Pacifique, en revanche, les grandes défaillances d’entreprises sont à mettre au débit des grandes nations : États-Unis, Chine, Royaume-Uni, Allemagne.
Or, quand au premier trimestre Euler Hermes a interrogé 800 exportateurs français (PME industrielles), l’Allemagne est sortie en tête des débouchés à privilégier. L’assureur-crédit a calculé que la France avait cette année à gagner 21,5 milliards d’euros d’exportations supplémentaires et que l’Allemagne occupait ainsi la première place, avec 4 milliards, devant la Chine, avec 2,2 milliards, après 2,5 milliards en 2017, et l’Italie, avec également 2,2 milliards.
Il y a, selon Stéphane Colliac, « un changement structurel ». Avec 6 milliards, l’Asie est devenue « un débouché structurel » pour les sociétés de l’Hexagone, qui trouvent des marchés dans les machines et équipements (dont l’aéronautique), l’agroalimentaire ou l’électronique.
« L’Asie est clairement un relai de croissance pour nous en 2018 et un levier au moment où le Moyen-Orient est en recul », a expliqué Anne Delleur, insistant, au passage, sur l’importance du commerce en ligne pour vendre en Chine.
Pour autant, les freins pour commercer en Asie existent : le manque d’informations en Chine, par exemple, et surtout l’allongement du traitement en douane depuis que Washington et Pékin se livrent au petit jeu des sanctions commerciales. Mais, sur la durée, on s’aperçoit que le temps de transport a été divisé par trois avec la Route de la soie, que l’Asie s’enrichit et que le niveau de vie rejoint celui de l’Occident.
Le besoin d’Europe des exportateurs français
Néanmoins, dans la demande adressée en 2018 aux exportateurs français, l’Europe globalement représente encore le double de l’Asie, avec 12 milliards. « Les PME françaises exportent surtout en Europe », a rappelé Jean-Yves Dodane, responsable du Développement international de BNP Paribas Factor.
Lorsqu’Euler Hermes a établi son baromètre Export au premier trimestre, les entreprises françaises n’étaient plus que 39 % à prévoir de vendre dans de nouveaux pays, contre 50 % en 2016. Pour autant, elles étaient 53 % à déclarer « leur intention ferme d’augmenter leur chiffre d’affaires à l’export, contre 49 % il y a deux ans ».
Dans l’Hexagone, « le nombre d’exportateurs a cru de 10 % en 2017 », a indiqué Stephen Lord, responsable des Partenariats internationaux d’Ellisphere et président de l’association BIGnet. Une performance à relativiser, néanmoins, puisque le nombre des exportateurs aurait doublé en Europe.
Alors que le gouvernement a fixé comme objectif à la fin du quinquennat de porter le nombre d’exportateurs de 125 000 à 200 000, a souligné Christine Gilguy, rédactrice-en-chef du Moci, l’Allemagne dispose de 300 000 exportateurs. Et si les ventes de l’Hexagone à l’étranger ont atteint 473 milliards d’euros l’an dernier, celles de l’Allemagne tournaient autour de 1 000 milliards.
Accompagnement en région : nouveau dispositif public en septembre
Le 23 février à Roubaix, le Premier ministre Édouard Philippe a annoncé une nouvelle stratégie nationale en matière de commerce extérieur*. Des guichet uniques ou référents uniques doivent notamment être proposés aux entreprises en région. Pour ce faire, les équipes des Chambres de commerce et d’industrie à l’international (les CCI International) et de Business France vont fusionner.
« 300 personnes de Business France et des CCI seront ainsi disponibles pour aller chercher les 80 000 entreprises de plus visées. Ce système sera opérationnel à partir de septembre. C’est en région que se gagnera l’export et dans la préparation en amont avant de se propulser à l’étranger », a affirmé Pedro Novo, directeur des Financements export de Bpifrance.
Se faire conseiller est essentiel, a assuré la dirigeante d’Arcancil à Paris. « Je passe par le Chargé d’affaires international en région de Business France. Il est capable de me conseiller sur ma stratégie à deux-quatre-sept ans. Business France dispose, en outre, d’un réseau international. Et je peux obtenir des informations sur la façon d’exporter, de créer une filiale, une plateforme ou sur la logistique à mettre en place », a précisé Anne Delleur.
La lacune de la formation des dirigeants
En Europe, les PME contribuent à 44 % des exportations totales, alors que leur poids relatif n’est que de 20 % en France, selon Stephen Lord. « Si le financement n’est plus le sujet, a estimé Pedro Novo, en revanche, une lacune est encore la formation des dirigeants ». C’est pourquoi Bpifrance a créé des accélérateurs.
L’objectif est de « transformer l’entreprise », a-t-il dit, ce qui sous-entend d’impliquer tout le personnel, d’embaucher des responsables parlant des langues étrangères, de se doter d’une structure à l’export, de disposer de juristes capables de traiter de droits différents ou encore de s’équiper d’un système informatique adapté. Les programmes de formation doivent ainsi aider les chefs d’entreprise à asseoir leur stratégie à l’international.
François Pargny
*Lire Commerce extérieur : E. Philippe lance une nouvelle stratégie pour doper l’export
et Spécial commerce extérieur : 19 mesures pour réduire le millefeuille et doper les exportateurs
Pour prolonger :
Notre Guide Gérer les risques d’impayés à l’export – 1ère édition 2018