Pour la 7e édition de son Forum annuel sur les risques et opportunités à l’international, le 30 juin à Paris, le Moci avait choisi d’ouvrir sur les grands pays émergents, Brésil, Russie, Inde, Chine (BRIC), avec une question d’actualité en ces temps de crise mondiale : « faut-il leur tourner le dos ? ». Une interrogation plus provocatrice aux lendemains du ‘Brexit’ aurait été « faut-il tourner le dos au Royaume-Uni ? ». Mais personne, aucun observateur économique notamment, n’avait vraiment prévu le choix des électeurs britanniques du leave. Et les conséquences du vote outre-manche étaient sur toutes les lèvres dans les salons des Arts et Métiers, où se pressaient 270 acteurs du monde économique, dirigeants d’entreprises, consultants ou experts juridiques et financiers (notre photo), invités du Moci.
« A titre personnel, j’étais pour le ‘Brexit’, a lâché devant l’auditoire Alain Bentéjac, coprésident d’Artelia, un groupe français d’ingénierie spécialisé dans l’eau et le BTP, et président du Conseil national des conseillers du commerce extérieur de la France (CNCCEF). Et d’expliquer que le remain « n’aurait rien réglé » et que se serait posée avec encore plus d’acuité « la question du fonctionnement de l’Europe ». Or, selon lui, « l’impact du Brexit sera faible et il y aura un accord de libre échange (ALE) avec l’Union européenne ». D’autant plus, a-t-il ajouté, que « le Royaume-Uni est naturellement libre-échangiste ». Et si problème il y a, c’est « l’incertitude », un « risque » pour les investissements et les transactions commerciales, tant que le flou règnera sur le processus qui doit mener cet État membre à se retirer de l’UE.
S. Colliac : « le Royaume-Uni, c’est déjà le grand export ».
« Il y aura un impact sur la zone euro, avec notamment la baisse des exportations, mais limité », avait exposé Stéphane Colliac, économiste senior chez Euler Hermes, dans le cadre de son panorama économique ayant ouvert le forum, dont les premiers développements étaient bien évidemment consacrés aux conséquences du ‘Brexit’.
Les petits pays voisins, Pays-Bas, Belgique, Irlande, aux relations commerciales, financières et d’investissement particulièrement développées avec le Royaume-Uni, seront, toutefois, plus touchés que les plus grands, comme l’Allemagne, la France ou l’Espagne. Par exemple, pour la France, a-t-il indiqué, « l’impact cumulé en 2017 et 2019 sera de – 2,4 milliards d’euros d’exportations de biens », a dévoilé Stéphane Colliac. Selon lui, en Europe, derrière l’Allemagne, numéro un incontesté, et légèrement en retrait des Pays-Bas, la France est bien placée en matière d’échanges commerciaux. D’après Euler Hermes, qui a retraité les données du spécialiste du commerce extérieur IHS, le calcul de la demande adressée à la France montre un supplément de gains à l’export de 10 milliards d’euros en 2016, essentiellement dans la zone euro (Allemagne, Espagne…), mais aussi aux États-Unis, à Hong Kong, en Afrique du Nord.
Selon l’économiste, « le Royaume-Uni, c’est déjà le grand export ». Et les BRIC, il ne faut pas les abandonner, malgré la récession au Brésil ou la détérioration économique en Russie.
« Dans les BRIC, les entreprises françaises ont un comportement du suiveur, a observé à cet égard Thomas Perathoner, responsable Marketing de Bureau Van Dijk, spécialiste européen de l’analyse de données économiques et financières. On est toujours un petit retard pour y aller et, par contre, on est plutôt leader pour en sortir ». Pourtant, les périodes de troubles peuvent être l’occasion de réaliser de belles affaires. Artelia, qui a acquis une société au Brésil il y a cinq ans, non seulement « ne s’est pas retiré du pays », mais est aussi entré « en négociation pour acheter une autre entreprise », parce que « nous pensons que c’est indispensable pour avoir une part de marché durable », a défendu Alain Bentéjac.
La hausse des défaillances d’entreprises dans les émergents
« Aujourd’hui, on voit un afflux de liquidités dans les pays développés – les taux d’intérêt sont toujours plus bas, y compris aux États-Unis – et une détérioration des conditions de crédit chez les émergents », a souligné Stéphane Colliac. L’an prochain, pour la sixième année consécutive, la croissance économique mondiale ne franchirait pas la barre de 3 %. Cette année, elle serait de 2,4 %, mais surtout la progression des échanges internationaux serait inférieure, égale à 2,2 %. Les prix des produits sont à la baisse et donc les chiffres d’affaires des entreprises, notamment dans les nations émergentes, ce qui entraîne des difficultés à rembourser.
Du coup, pour la première fois depuis 2009, les défaillances d’entreprises dans le monde devraient augmenter, essentiellement dans les économies émergentes comme le Brésil et la Chine, mais aussi aux États-Unis dans le domaine pétrolier. Ce serait le contraire en Europe, notamment en France et en Espagne où elles baisseraient de 5 %, en raison notamment de la faible exposition de leur commerce aux Bric.
Certains pays auraient la capacité de résister à la baisse des prix. Ce serait le cas de l’Inde, qui attire les investissements étrangers, de la Russie, malgré les sanctions internationales. Moscou a consenti « des aides publiques, l’endettement public y est aussi faible », indiquait Stéphane Colliac, selon lequel « il y aura des opportunités à y saisir dans le futur ».
34 milliards d’euros de gains à l’export en 2017 pour la France
Pour l’économiste senior d’Euler Hermes, la Chine reste « très importante », malgré le fort endettement des entreprises publiques et les risques de surcapacité de la production, car « sa croissance s’est stabilisée et sa demande de pétrole et le crédit aux entreprises continuent ».
En 2017, la France retirerait de l’export des gains encore supérieurs à ceux de cette année, 34 milliards d’euros exactement, toujours essentiellement dans la zone euro (Allemagne, Royaume-Uni, Espagne, Italie, Belgique, Pays-Bas…). Il y aurait aussi un retour des destinations extérieures : Europe de l’Est, Turquie, un peu Tunisie, Maroc, Chine. Le baromètre d’Euler Hermes 2016, réalisé (tous les deux ans) auprès de 938 PME industrielles, interrogées entre janvier et mars 2016, montre que l’appétit des entreprises françaises pour les Bric s’est un peu estompé. Elles étaient 49 % à vouloir partir à leur conquête en 2014, elles ne sont plus que 29 % cette année. Pour autant, estimait Alain Bentéjac, « il ne faut pas mettre tous ses œufs dans la fête des voisins. Artelia a, certes, parmi ses quatre grands marchés extérieurs, l’Italie et le Royaume-Uni, mais aussi Dubaï et le Vietnam ». Pour lui, il n’y a donc « pas de logique géographique », ce qui compte c’est le marché qui se présente. L’Asie, en particulier, demeure une zone « très porteuse ».
François Pargny