Au regard des développements de la Chine et de quelques autres pays émergents -Inde, Turquie- en Afrique, certains s’inquiètent et parlent même de déclin de la France sur ce continent. Mais pour nombre d’observateurs économiques qui se sont exprimés lors du 4e Forum Afrique organisé par Le Moci en partenariat avec le Cian (Conseil français des investisseurs en Afrique) et la CCI de Paris Région Île-de-France et de nombreux partenaires, le 20 janvier, cette affirmation relève plus du mirage que de la réalité. La France, disposant de multiples atouts (connaissance du terrain, proximité culturelle…), peut réagir et s’adapter à l’arrivée de nouveaux compétiteurs, dont beaucoup viennent d’Afrique, comme certains acteurs le font déjà.
En ouverture du Forum, Alexandre Vilgrain, qui préside le Cian, a ainsi adressé un message très clair aux 600 dirigeants d’entreprises et d’institutions françaises présents. « Il ne peut pas y avoir d’adversaire, il n’y a que des partenaires et des sous-traitants », a-t-il affirmé. Et, prenant l’exemple de son groupe dans l’agroalimentaire, Somdiaa, implanté notamment en Afrique centrale, il a indiqué qu’il était « obligé, pour construire une sucrerie, de travailler avec des Chinois et des Indiens, avec des financements indiens et chinois ».
En outre, le gâteau s’agrandit : par exemple, le marché des importations africaines -plus de 600 milliards de dollars en 2013- a été multiplié par 3,5 depuis le début du millénaire, croissant sur un rythme de l’ordre de 15 % par an entre 2002 et 2013, et les flux annuels d’investissement ont triplé, d’après Thierry Apoteker, fondateur du cabinet de conseil éponyme (Tac). Dans ce contexte, les exportations françaises en valeur ont augmenté. Et même si les investissements européens, notamment français, sont moins importants, comme le montre l’exemple de Somdiaa, les partenariats se multiplient avec des opérateurs étrangers, chinois mais aussi africains, qui sont demandeurs de savoir-faire.
La Chine en pole position
Au regard de l’analyse détaillée des chiffres des exportations françaises et chinoises, Thierry Apoteker a du reste dressé un panorama nuancé de la percée chinoise. Certes, entre 2002 et 2013, la Chine est passée d’une part de marché (PDM) de 10,2 % à 14,5 %, pendant que celle de la France chutait de plus de 10 % à plus de 5 %. Mais, a-t-il précisé, les pertes de PDM « ne sont pas homogènes » selon les secteurs. La France, par exemple, a gagné dans les céréales (+ 5 %) et le transport (+ 2 %) et perdu dans la pharmacie (- 13 %) et les véhicules routiers (- 8 %). En outre, un examen encore plus approfondi montre que si les compétiteurs dans la pharmacie et les véhicules routiers sont des nations émergentes, dans les céréales, il s’agit surtout des États-Unis. Enfin, de façon plus générale, des pays développés comme l’Espagne réussissent à renforcer leur présence commerciale et physique.
« La concurrence est protéiforme », a observé également Alexandre Maymat, directeur délégué de la Société Générale IBFS (International Banking & Financial Services), qui est confrontée à de nouveaux compétiteurs des pays émergents (Chine, Brésil, Turquie…) et africains (Nigeria, Afrique du Sud, Maroc…). Dans la banque, la SG a été la seule enseigne française à se renforcer ces dernières années en Afrique. Elle a même embauché des responsables de clientèle chinoise pour aider ses établissements en Chine et en Afrique à développer le corridor d’affaires entre ces deux territoires.
Le spécialiste de la logistique Necotrans développe, quant à lui, un partenariat capitalistique avec des privés et l’État sénégalais pour le terminal vraquier de Dakar, au Sénégal. « Avec nos 80 sociétés de droit local sur le continent, nous cherchons nos financements localement », a précisé Grégory Quérel, P-dg de Necotrans, dont le groupe, pour surfer sur le regain de croissance que connaît le continent, a remis à plat sa stratégie pour se renforcer dans des spécialités – mines, pétrole et gaz, entre autres – et s’étendre vers l’Afrique anglophone et lusophone, notamment orientale et australe.
La France doit mieux valoriser sa diaspora
Pour la France, c’est le moment de se renforcer et de s’étendre en Afrique avec de nouvelles approches et stratégies dont de nombreux exemples concrets ont été fournis lors du Forum du 20 janvier. Le continent bénéficie maintenant d’une croissance économique solide. Le produit intérieur brut (PIB) devrait ainsi augmenter de 4,6 % en 2014, selon la Banque mondiale, 5,5 % sans l’Afrique du Sud ; et, cette année, de 4-4,5 %, 5,5 % sans l’Afrique du Sud.
Les entreprises déjà investies sur le continent ont une longueur d’avance. D’après le baromètre du climat des affaires du Cian issu du dernier Rapport Afrique, « Les entreprises françaises et l’Afrique », édité par Le Moci, dans 36 pays évalués, 59 % des entreprises françaises anticipent une hausse de leurs chiffres d’affaires cette année et 51 % une augmentation de leurs investissements. Une bonne nouvelle encore, la nette dégradation de l’environnement des affaires observée l’an dernier est enrayée. « Nous restons dans le baromètre avec une note moyenne de 2,39 sur 5, le pic étant de 3,4 à Maurice et le plancher de 1,78 en République démocratique du Congo (RDE) », a délivré Alix Camus, secrétaire générale adjointe du Cian.
Selon le Mauricien Richard Arlove, président d’Abax Corporate Services (administration de fonds, structuration d’investissement…), parmi les atouts dont la France dispose, figure la diaspora franco-africaine, qui est « extraordinaire ». La France « a l’amitié des Africains, ce que n’ont pas les Chinois, pas plus que les Américains et les Indiens », a-t-il affirmé. « Il faut seulement aujourd’hui passer d’une logique de coopération franco-africaine et une conception afro-française afin d’encourager une véritable politique de colocalisation », a renchéri Patrice Passy, directeur associé du cabinet DB Conseils, à Paris. « Il est indispensable d’introduire en France les concepts de coproduction et de copartage », estime encore Élie Nkamgueu, président de Club Efficience, une association qui regroupe une partie de la diaspora africaine dans l’Hexagone.
La France a une « connaissance intime de notre continent », a encore insisté Richard Arlove, selon lequel le fait qu’elle soit bien positionnée en Afrique de l’Ouest doit l’aider maintenant à s’étendre vers l’est et le sud. La France est, au demeurant, déjà le premier partenaire de Maurice, « commercialement et, avec l’Inde, culturellement » et son pays, bien qu’étant une île d’un million d’habitants, gère quelque 450 milliards de dollars d’actifs pour des entreprises qui travaillent dans le monde, notamment en Asie et en Afrique. Selon le président d’Abax, les Français devraient plus souvent s’interroger sur la façon d’utiliser la plateforme financière mauricienne, « alors qu’il y a plus de business aujourd’hui à l’est et au sud qu’à l’ouest ».
François Pargny
Pour prolonger :
– Le dernier Rapport Afrique Cian/Moci « Les entreprises françaises et l’Afrique », cliquez ICI
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