Tout était en place pour que le Forum d’affaires France-Éthiopie, premier du genre organisé à Paris par Ubifrance le 17 novembre, soit un événement remarquable et remarqué. D’abord, la présence de Matthias Fekl, secrétaire d’Etat français chargé du Commerce extérieur, et de Michael Debretsion, vice-Premier ministre éthiopien en charge de l’Économie et des finances, ministre des TIC. Le premier, tout sourire, a délivré un message très politique, le second, très sérieux, a répondu en abondant dans son sens.
De façon concrète, Matthias Fekl a évoqué les dossiers « chauds » qui unissent Paris et Addis-Abeba : l’instabilité régionale à laquelle échappe l’Éthiopie et le réchauffement climatique. Avant les ministres, le forum avait été ouvert par l’hôte du lieu, la directrice générale d’Ubifrance, Muriel Pénicaud, également présidente de l’Afii.
Les deux orateurs français n’ont pas manqué de rappeler que jamais une mission éthiopienne de ce niveau ne s’était déplacée. La délégation, constituée autour du vice-Premier ministre, du président de la Chambre de commerce éthiopienne et des associations sectorielles (Eccsa), Solomon Afework, et de la commissaire à l’investissement, Wizero Likyelesh Abay, comprenait 17 sociétés, dont l’opérateur Ethio Telecom, les compagnies publiques Ethiopian Airlines (EAL), numéro un en Afrique, Ethiopian Electricity Power (EEP) ou encore Metal Engineering Corporation (Metec) et Ethiopian Shipping & Logistics Services Enterprise (ESLSE). Côté français, 58 entreprises s’étaient déplacées et 115 rendez-vous B to B avaient ainsi pu être organisés, a précisé Ubifrance.
L’an prochain, l’agence publique française organisera une mission multi-sectorielle d’une quinzaine d’entreprises en Éthiopie pour rencontrer, du 2 au 4 février, les bailleurs de fonds du pays (Banque mondiale, Bad, AFD…), des organes d’exécution et des partenaires potentiels locaux.
Évoquant la diplomatie économique mise en place par Laurent Fabius, Matthias Fekl a rappelé, en présence de l’ambassadrice de France en Éthiopie, Brigitte Collet (notre photo), également représentante permanente auprès de l’Union africaine (UA), que le commerce extérieur est désormais piloté par le Maedi. Et donc Paris entend bien, alors que sa présence en Éthiopie est modeste (179,5 millions d’euros d’exportations en 2013), profiter du boom économique dans un grand pays agricole de près de 90 millions d’habitants, avec de grands projets d’infrastructure (rail, route, électricité…).
Le revers de la médaille : une Administration encore très tatillonne
La croissance économique de l’Éthiopie, pays qui peut aussi servir de plateforme en Afrique de l’Est, a dépassé 8 % en moyenne pendant dix ans. Une performance pour un pays africain non producteur de pétrole. L’enthousiasme des dirigeants français était réel ce 17 novembre. Par exemple, cet homme d’affaires, marié à une Éthiopienne ayant acquis un grand terrain agricole, expliquant au Moci qu’il s’est associé à des agriculteurs français et éthiopiens pour développer un projet de l’amont (agriculture) à l’aval (transformation) au cœur du pays. Ou le représentant Afrique d’une grande enseigne internationale d’hôtellerie qui va gérer, pour sa part, un nouvel hôtel à Addis-Abeba pour répondre à « une demande exponentielle ».
L’enthousiasme n’excluait pas, au demeurant, un certain réalisme, le séminaire organisé en présence d’officiels éthiopiens « ayant laissé volontairement de côté des zones d’ombre », reconnaissait un familier de la Corne de l’Afrique. L’Éthiopie a notamment conservé de sa longue période socialiste une Administration « très construite, mais tatillonne », soulignait l’interlocuteur du Moci. Le président de la société Vergnet, Jérôme Douat, qui s’exprimait lors du séminaire, ne cachait pas que les discussions avaient été âpres avant de lancer son projet de ferme éolienne au nord du pays. Des observateurs ont confié en aparté au Moci que la société française « avait rencontré dès le départ des difficultés pour se faire payer ».
De même, la Suédoise Lean Atmani-Södergren, directrice du Développement des affaires et du marketing du groupe britannique de certification Intertek, se félicitait de la préférence de l’Éthiopie pour des normes internationales plutôt que pour des normes spécifiques locales, « ce que font plus, selon elle, le Kenya et la Tanzanie ou à l’ouest le Nigeria ». Quelque 10 000 normes internationales ont été recensées dont 124 ont été rendues obligatoires l’an dernier avec des tests de laboratoires pour des produits très variés, allant du savon aux engrais. Une volonté normative qui a parfois un revers : selon un logisticien, « le système, en fait, fonctionne mal parce qu’il est trop compliqué à appliquer ».
Sans doute les Éthiopiens auraient-ils dû adopter un système de contrôle plus simple, avec des listes obligatoires par catégorie de produits (par exemple, le matériel électrique) et non pas par produit. Mais encore faut-il que l’État veuille l’entendre. « L’Éthiopie demeure un pays très nationaliste, qui n’entend pas se laisser déborder », indiquait un représentant d’entreprise. Si elle a ouvert l’an dernier le secteur de l’énergie électrique aux investisseurs étrangers, Addis-Abeba laisse aussi fermée toute une série d’activités : commerce de gros et de détail, banque et assurance, logistique et transport, télécommunications.
François Pargny
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