« Le commerce mondial est en quasi-stagnation et nous anticipons une croissance de 5 % l’an prochain, ce qui restera en-dessous des niveaux d’avant crise », avertissait, le 24 octobre à Paris, Julien Marcilly (notre photo), responsable du risque pays chez Coface.
Les exportations en particulier, qui représentent 31 % du produit intérieur brut (PIB) mondial, « ne retrouveront pas les 7 % d’avant la crise, après les 3 % enregistrés ces deux dernières années », précisait-il. Auteur d’une étude sur le commerce mondial, Julien Marcilly pointe quatre freins au renouveau des échanges internationaux : la baisse durable de la crise, la montée du protectionnisme, le ralentissement de la demande de matières premières et la chute des ventes et achats de biens intermédiaires (biens importés, transformés et réexportés).
S’agissant de l’impact de la crise, une bonne partie du ralentissement de l’économie serait structurelle, même aux États-Unis où la croissance potentielle du PIB aurait reculé de 3 % au moment de la crise à 2 % en 2012. Quant aux grands émergents, confrontés à des contraintes de gouvernance ou d’infrastructures limitant de plus en plus les investissements, comme au Brésil ou en Russie, la croissance plonge. Elle va ainsi tomber au Brésil de 3,6 % en moyenne entre 2001 et 2011 à 0,4 % cette année et 1,5 % en 2015. Des taux encore inférieurs seraient enregistrés en Russie : 0 % en 2014 et 1 % en 2015, après 4,9 % pendant la période 2001-2011.
La montée du protectionnisme en Argentine, Russie et Inde
La dégradation de l’activité sur toute la planète a engendré un courant de protectionnisme général, mais deux fois plus élevé dans le trio de tête –Argentine, Russie, Inde – que dans des pays industrialisés comme les États-Unis, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l’Italie. D’après Global Trade Alert (GTA), ces trois pays auraient pris à eux seuls 250 mesures (anti-dumping, subventions, sauvegardes…) entre juillet 2008 et juillet 2014, soit avant la crise ukrainienne. Depuis, la Russie, engagée dans un bras de fer commercial avec les États-Unis et l’Union européenne (UE), est sans doute devenue le pays le plus protectionniste de la planète. Le plus touché par cette vague n’est pas une nation occidentale, mais la Chine, qui « a subi plus du double de mesures protectionnistes (1 200 depuis 2008) que n’importe quel autre pays », précise Julien Marcilly.
La Chine est, par ailleurs, le pays qui a l’impact le plus fort dans la diminution de la demande de matières premières. Dans leur panorama sur le Risque pays d’octobre, les économistes de Coface relèvent que ce ralentissement est corolé à celui de l’activité générale et que les besoins augmentent désormais moins rapidement qu’au moment où l’essor du commerce des matières premières était lié à l’expansion rapide de l’économie chinoise Or, la Chine compte pour « plus de la moitié de la demande mondiale de charbon ou de nickel, plus de 40 % de celle de cuivre ou encore de zinc et plus de 10 % de celle de pétrole ». Le frein apporté à ses achats influe ainsi sur les performances des pays producteurs, comme l’Afrique du Sud, le Pérou, la Colombie, l’Indonésie ou encore le Chili. A l’inverse, note Coface, en juin 2014, les États émergents bénéficiant d’une hausse de leurs exportations livrent tous des produits manufacturés, qu’il s’agisse de la Pologne, la Roumanie, la République tchèque, les Philippines ou l’Inde.
La chute de 25 % des échanges de biens intermédiaires
Autre raison de la faiblesse des échanges internationaux, la chute de 25 % des ventes et achats de biens intermédiaires. Or, avec la globalisation, la chaîne de production s’est complexifiée et diversifiée et aujourd’hui les biens intermédiaires représentent une grande partie de la chaîne de valeur mondiale. Ainsi en 2012, sur un montant d’importations mondiales supérieur à 16 millions de dollars, les biens intermédiaires comptaient pour près de 11 milliards, soit plus de deux fois le cumul des biens d’investissement et produits de consommation.
Les quatre freins au commerce international analysés par Coface n’ont pas été compensés par un regain des échanges intra-régionaux, «sauf en Asie, Japon compris, où le taux d’intégration a dépassé 50 % à partir de 2009 », mentionne Julien Marcilly. Ce continent, observe-t-il, « possède avec la Chine une locomotive qui représente une grande partie des flux commerciaux de certains de ses voisins ». Il y a également une certaine complémentarité entre des économies reposant sur les matières premières (Indonésie, Malaisie…), des coûts de production faibles (Vietnam, Cambodge…), une valeur ajoutée moyenne (Thaïlande…) ou plus forte (Corée du Sud, Singapour, voire Malaisie).
« En Amérique latine, s’il y a bien une locomotive, le Brésil, mais les différentes économies ne sont pas complémentaires. Et en Afrique, l’Afrique du Sud ne joue pas le rôle de locomotive. Le Nigeria le fera peut-être un jour. Mais il n’existe pas non plus de complémentarité », observe Julien Marcilly.
Pour autant, si le responsable du risque pays chez Coface juge « improbable le retour du commerce mondial aux niveaux d’avant crise », il estime que l’internationalisation des chaînes de valeur va être poursuivie, ce qui doit favoriser les échanges. De même, la montée des services dans l’économie va rejaillir dans les échanges. Le cas le plus emblématique est celui de l’Inde, devenu un géant des services informatiques.
Les Philippines, à leur tour, développent les services informatiques. Autre exemple, l’Australie qui exporte ses services en matière d’éducation. D’après Coface, « la vitesse du processus de tertiarisation dépendra notamment de la rapidité des progrès technologiques ». Et comme généralement les variations dans l’activité sont moins marquées dans les services que dans l’industrie, l’assureur crédit export estime aussi que les fluctuations du commerce seront plus modérées et moins volatiles.
François Pargny