A l’occasion de la
sortie d’un ouvrage de réflexion collectif sur la question de la
réindustrialisation de la France*,
l’économiste Jean-Louis Levet, proche de François Hollande, nouveau président
de la République
française élu le 6 mai, a livré au Moci sa vision de quelques uns des enjeux du
commerce extérieur aujourd’hui et laissé entrevoir ce que pourrait être une stratégie globale du nouveau pouvoir pour le redresser.
Le Moci :
Pourquoi le déficit commercial a-t-il remis au goût du jour l’industrie ?
Jean-Louis
Levet : Nous avons eu trois modes successives qui, d’une certaine
façon, ont marginalisé l’industrie dans les priorités des politiques publiques.
La première mode à été celle de la société post-industrielle
dans les années 80, qui postule que l’avenir est dans les services et pas
l’industrie. Ensuite on a eu dans les années 90 la mode de la nouvelle
économie, qui nous vient de Wall Street et qui nous explique que Internet et la
finance sont les nouveaux leviers de la prospérité de demain : on a vu où
ça nous a amené avec la bulle Internet des années 2000 et la crise de
2007. Et enfin la mode des entreprises
sans usines à partir du début des années 2000.
A partir du moment où on a en même temps cette financiarisation
de l’économie et l’extension de ces valeurs à l’industrie, essentiellement via
les fonds de pensions, on passe d’un modèle d’ingénieur, issu des années 60 et
70, à un modèle totalement financier.
Quelles sont ces valeurs de la finance ? La liquidité, le court terme,
exactement l’inverse de celles de l’industrie où on a besoin d’investissement
et de long terme. Avec la financiarisation, la rentabilité financière prend le
pas sur la rentabilité économique de l’entrepreneur. Le changement de modèle
est radical.
Il faut rappeler que c’est l’industrie qui structure nos
exportations, que 80 % du commerce international ce sont des échanges de
produits, de biens –les services pèsent moins de 10 %- . A partir du moment où
l’industrie n’est plus considérée comme une priorité nationale, que le tissu
industriel se fragilise, le déficit va s’accroître. La crise de 2007 va arriver
là-dessus et révéler nos faiblesses structurelles : un pays qui n’innove
pas assez en termes de ruptures technologiques, un déficit d’entreprises
moyennes, des relations grands groupes-PME qui ne sont pas équilibrées…
« Nous cumulons
un double inconvénient : un coût du travail qui a augmenté et un niveau
d’innovation qui a baissé »
Le Moci :
Eurostat vient de publier les résultats préliminaires d’une étude comparative
des coûts horaires du travail moyens dans les 27 Etats-membres. La France est mal placée, plus
chère que l’Allemagne ou les Pays-Bas. C’est un point qui reste problématique.
Jean-Louis
Levet : Le coût du travail a effectivement augmenté de plus de 30 %
depuis les années 80 vis-à-vis de l’Allemagne, ce qui nous met aujourd’hui à
peu près au niveau du coût du travail allemand dans l’industrie, sachant qu’il
est plus important dans les services. Je me souviens que lorsque j’ai commencé
ma vie professionnelle au ministère de l’Industrie, en 1982-83, on devait avoir
un coût du travail de 25 % inférieur au coût du travail allemand. Le problème
est qu’on cumule un double inconvénient : un coût du travail qui a
augmenté et un niveau d’innovation qui a baissé. Le lien est rompu entre coût
du travail élevé et haut de gamme. L’Allemagne a toujours lié coût du travail
élevé et produits haut de gamme. Les pays scandinaves comme la Suède aussi. Ces pays ont
beaucoup moins de difficultés que nous. A partir du moment où nous n’avons pas
cette production intensive en capital et en savoir, l’augmentation du coût du
travail devient un problème. La réponse à la désindustrialisation ne peut donc
pas passer que par une baisse du coût du travail.
(…)
Lire la suite de l’interview de Jean-Louis Levet dans Le
Moci N° 1914, à paraître le 10 mai 2012. Pour se le procurer :
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*« Réindustrialisation,
j’écris ton nom », par Jean-Louis Levet, Fondation Jean-Jaurès, mars 2012, 12 euros.