Accord ou pas accord ? Faire des probabilités sur le Brexit à 16 jours de l’échéance du 31 octobre est un exercice périlleux, mais il a été osé par Ana Boata, senior economist Europe d’Euler Hermes, qui estime que la probabilité d’un accord a grimpé à 55 % alors que celle d’un non accord a chuté de 40 à 20 %.
De quoi remonter le niveau de l’optimisme ambiant, plombé depuis quelques semaines par la crainte d’un no deal, à la veille du début d’un marathon qui commence dès demain par le sommet européen des 17 et 18 octobre, au cours duquel les Vingt-sept chefs d’État et de gouvernement de l’UE se prononcer sur une nouvelle proposition britannique.
Un calendrier à la fois britannique et européen
Le calendrier est serré, il est à la fois britannique et européen : outre le Sommet européen, qui doit ou non accoucher d’un nouvel accord, il y a la date butoir du 19 octobre, dernière chance pour le Premier ministre britannique Boris Johnson de demander une prolongation des négociations avec l’Union européenne (UE) jusqu’à janvier 2020 si l’accord n’est pas définitivement scellé. Le Parlement britannique a voté une loi l’y obligeant. C’est sur ce scénario que parie Euler Hermes.
Si un accord est conclu, il faudra qu’il soit encore ratifié par le Parlement européen lors de sa session des 21-24 octobre.
Après ce marathon, des élections anticipées ont de fortes chances de se produire au Royaume-Uni en décembre. Si, comme les sondages le laissent entendre, c’est une coalition travailliste / libéraux qui prend les rênes de la Chambre des communes (les conservateurs et le parti du Brexit de Nigel Farage n’étant pas favoris dans les sondages), alors la possibilité d’un deuxième référendum pour confirmer – ou non – le Brexit, demande récurrente des travaillistes, deviendrait forte pour Euler Hermes.
Le 31 janvier 2020, avec la fin de la période de prolongation, s’ouvrirait une période de transition de deux ans durant laquelle un nouveau traité régissant les relations entre le Royaume-Uni et l’UE devra être négocié. Il devra être conforme à la déclaration politique qui accompagnera l’accord sur le Brexit. A moins que le ‘non’ l’emporte lors d’un nouveau référendum, avec une annulation du Brexit à la clé…
Des incertitudes coûteuses pour les Britanniques
Selon des études d’opinion effectuées par Euler Hermes, le Brexit est considéré par les PME, au niveau mondial, comme la deuxième menace la plus importante sur la croissance (35 %), juste derrière la situation politique aux États-Unis et loin devant l’augmentation des prix des matières premières (23 %) ou le protectionnisme (20 %). Mais, signe d’une amélioration, l’indice d’incertitude au
Royaume-Uni a fléchi depuis l’été.
Il était temps : le suspense autour du Brexit a déjà coûté cher, au Royaume-Uni bien sûr, mais aussi à plusieurs de ses partenaires européens, dont la France.
Pour le Royaume-Uni, la perte de croissance est estimée à 1,1 point avec un taux passé de 2,3 % avant le référendum de juin 2016 à 1,2 % actuellement. Si les marchés financiers ne se sont pas effondrés, la livre sterling a perdu 16 % de sa valeur par rapport à 2016. Les flux de migrants ont certes chuté (- 20,5 % pour les non ressortissants de l’UE, – 2,3 % pour les ressortissants de l’UE) mais la hausse des salaires s’est accélérée (+ 4 % actuellement, contre 2,6 % en 2016).
Entre 2016, année où tous les indicateurs étaient au vert, et aujourd’hui, les investissements des entreprises se sont effondrés (-1,1 % en 2019 pour le domestique, -88 % pour les investissements directs étrangers alors que les tendances étaient positives en 2016), l’activité manufacturière est en fort retrait (-0,9 %), de même que les marges (-3 %) et les défaillances d’entreprises accélèrent (+18 % par rapport à 2016).
Le retour à la croissance mettra du temps
Un accord sur un Brexit ordonné ne signifierait pas, d’ailleurs, un retour immédiat à la croissance : Ana Boata anticipe même une légère récession technique dans les 6 prochains mois.
En cause, un environnement mondial déprimé, mais aussi la nécessité d’alléger les stocks accumulés tant par les entreprises que par les ménages ces derniers mois pour se préparer à l’éventualité d’un non accord. Selon un sondage, les PME britanniques ont le moral en berne : seulement 39 % s’attendent à une hausse de leur chiffre d’affaires dans les 12 prochains mois, contre 46 % au niveau mondial.
Sans accord sur le Brexit, le taux de croissance tomberait à 0,8 % en 2019 et – 1 % en 2020; avec un accord de sortie ordonné, il serait de 1,2 % en 2019 et 0,8 % en 2020.
Gagnants et perdants en Europe
Pour ses partenaires européens, les frais sont également élevés : les incertitudes autour du Brexit auraient coûté 0,2 % de point de croissance à la zone euro, selon les calculs d’Euler Hermes, autant que la crise du secteur automobile en Allemagne et que le conflit commercial sino-américain. De 1,7 % initialement prévu fin 2018, le taux de croissance de la zone euros serait tombé à 1,1 % en 2019.
Les gagnants et les perdants s’analysent également en termes d’exportations. Les gagnants se trouvent principalement hors d’Europe : entre janvier et juillet 2019, les pays hors UE ont gagné 28,1 milliards d’euros (Md EUR) d’exportations nets vers le Royaume-Uni, contre seulement 2,8 Md EUR nets pour les pays membres de l’UE. A eux seuls, les États-Unis affichent 7,2 Md EUR de gains nets.
L’Allemagne est particulièrement touchée, son positionnement sur des produits et équipements technologiques l’exposant de plein fouet la baisse des investissements aux Royaume-Uni : elle a perdu 7 Md EUR d’exportation nets depuis 2016. Positionnés sur des produits de consommation, la France (+ 0,7 Md), la Belgique (+0,9 Md), les Pays-Bas (+5,5 Md) et l’Italie (+ 1 Md) ont tiré leur épingle du jeu tandis que l’Espagne a affiché une perte modeste (-0,8 Md).
En cas de non accord sur le Brexit, l’augmentation des droits de douane à la frontière de l’UE au niveau OMC sera immédiate. L’impact ne sera pas négligeable : ils passeront de 0 à 10 % pour l’automobile par exemple. Et cela pèsera sur la compétitivité britannique : la production des entreprises outre-Manche dépend à 50 % d’importations, lesquelles viennent principalement d’Europe. Des chaînes de valeur qui devront être reconstruites : le seront-elles avec l’Asie, malgré la distance ?
Tout dépendra de la conclusion d’un accord, ou pas. L’incertitude demeure à ce stade, même si les chances d’un accord sont remontées en flèche ces derniers jours. De loin, Euler Hermes pense préférable un accord, à l’instar d’une grande partie des milieux d’affaires de part et d’autre de la Manche. Mais quoiqu’il arrive le Royaume-Uni ne renouera pas avec des taux de croissance supérieurs à 2 % avant, au mieux, la signature d’un nouveau traité commercial avec l’UE.
Christine Gilguy