« Gouvernants français, prenez vos responsabilités. A quelques exceptions près, il y a très peu d’implications en Asie centrale », a lancé, Gilles Rémy, le P-dg de Cifal (notre photo), devant Thierry Mariani, député de la 11e circonscription des Français à l’étranger (49 pays d’Europe orientale, d’Asie et d’Océanie), lors d’un petit déjeuner de l’institut Jean Lecanuet et de la revue France Forum, le 25 mars, intitulé « Asie centrale, une autre Asie ».
Gilles Rémy préside également la Chambre de commerce France-Turkménistan qu’il a cofondé. Dans ce pays, sa société de commerce international et de services industriels est active depuis 20 ans. «François Mitterrand a été le dernier président français à se rendre sur place en 2014. Cette impulsion très positive donnée à l’époque n’existe plus, alors que pour y conclure des grands contrats il faut des contacts au plus haut niveau de l’État. Nos concurrents, Japon, Corée, Chine ou Turquie l’ont compris », rapportait le P-dg de Cifal, qui jugeait « essentielle » une nouvelle visite d’un président français au Turkménistan.
La Chambre de commerce France-Turkménistan y a évalué à environ 10 milliards d’euros sur cinq ans le potentiel d’affaires pour les entreprises françaises dans les infrastructures, la construction, le transport, le gaz ou encore l’espace.
Gilles Rémy a rappelé que « Bouygues y a réalisé des ouvrages de prestige » : stade olympique, palais présidentiel, parlement, hôtel Yyldyz à Achgabat, mosquée à Kipchak, etc. Pour leur part, Vinci y a présenté de nouveaux projets (ville nouvelle, conservatoire, école de musique…) et Thales est actif dans le domaine aérien et spatial (centre de contrôle, satellite).
Enfin, Total regarde le Turkménistan, numéro 4 mondial par ses réserves de gaz derrière la Russie, le Qatar et l’Iran, mais s’est retiré du projet géant d’énergie entre le Turkménistan, l’Afghanistan, le Pakistan et l’Inde (Tapi) au coût faramineux (10 milliards de dollars). Avec 17,5 trillions de m3, le Turkménistan dispose de 9,4 % des réserves de la planète. Il a également produit 62,3 milliards de m3 en 2013, soit 1,8 % du total mondial.
Lancement le 1er janvier d’une Union eurasienne
Le pays d’Asie centrale où la France est la plus présente est le Kazakhstan, ce qui est normal puisqu’il représente les deux tiers de l’économie d’une région aussi vaste que l’Europe de l’Ouest, mais seulement peuplée comme la France. « Le Kazakhstan est notre première source d’approvisionnement sécurisée d’uranium », a souligné Gilles Rémy. Total est aussi partenaire technique sur Kashagan, le plus grand gisement pétrolier de la planète.
Dans l’Union eurasiatique, née le 1er janvier dernier, le Kazakhstan joue un rôle central, d’autant qu’il en a été l’initiateur. Cette communauté qui a succédé à l’Union douanière, fondée en 2010, rassemble également la Russie, la Biélorussie, l’Arménie, le Kirghizistan. Le Tadjikistan devrait les rejoindre. Dans ce pays, de grandes sociétés françaises comme Vinci et Alstom marquent en ce moment leur intérêt pour des programmes d’infrastructure, alors que Total est positionné sur le champ d’hydrocarbures de Bokhtar.
« La jeune génération en Asie centrale est beaucoup plus méfiante vis-à-vis de la Russie. Au Kazakhstan, on souhaite clairement que la souveraineté du pays soit respectée. Mais c’est en Ouzbékistan, la nation la plus jalouse de son indépendance et de sa souveraineté, que l’on est le plus réticent à tout espace d’intégration », notait de son côté Bayram Balci, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (Ceri).
« Astana va aussi accueillir l’exposition universelle de 2017 », a observé, pour sa part, Ivan Prostakov, conseiller auprès du secrétaire général au Bureau international des expositions. Le thème retenu étant l’énergie du futur (énergies renouvelables, efficacité énergétique…), elle offrira des ouvertures aux entreprises spécialisées dans les technologiques de pointe et les modèles de gestion.
Une Union européenne en ordre dispersé face à la Chine
Tous les grands voisins devraient être présents, comme la Chine, « qui est une machine de guerre très efficace, sans visée politique », pointait Gilles Rémy, qui regrettait, par ailleurs, « l’absence de politique européenne ». Ce qui intéresse les Chinois, « c’est d’installer des infrastructures pour écouler leurs produits et leur grand projet à long terme de Route de la Soie vers l’Europe », selon Bayram Balci. Au Kazakhstan, a rapporté Gilles Rémy, « l’acquisition de baux à long terme dans l’agriculture intéresse aussi les Chinois ».
L’Union européenne se présente en ordre dispersé. Comme chaque État membre joue sa carte, la France est confrontée à la concurrence de l’Allemagne ou de l’Italie, en plus de celle du Japon ou de la Corée du Sud. « Tous ces pays proposent des financements supérieurs aux nôtres et bénéficient de l’appui de leurs dirigeants qui s’impliquent », a encore martelé Gilles Rémy. Du coup, la France perdrait trop facilement de belles affaires.
François Pargny