Chaque année, des centaines d’entreprises françaises sont impliquées dans des litiges aux États-Unis. Ces entreprises peuvent parfois être poursuivies par d’anciens distributeurs, des agents commerciaux ou des représentants locaux, et doivent parfois poursuivre leurs clients américains qui n’ont pas réglé le prix des biens qui leur ont été vendus et livrés. Si la voie judiciaire peut s’avérer ruineuse, l’arbitrage peut être une solution. Voici une analyse d’expert.
Si un contentieux judiciaire dans n’importe quel pays étranger peut s’avérer coûteux sur le plan financier et sur le plan des ressources internes de l’entreprise, les procédures judiciaires aux États-Unis posent des problèmes particuliers.
Les avocats américains ont, en effet, des taux horaires plus élevés que ceux des avocats du reste du monde (à l’exception, peut-être, de ceux du Royaume-Uni). Par ailleurs, certaines spécificités procédurales (telles que, par exemple, les recherches de preuves avant procès (pre-trial discovery), ou les dépositions de témoins) n’ont pas d’équivalents en droit processuel français.
Risque supplémentaire pour l’exportateur français
En outre, le système judiciaire américain confie à des jurys populaires la tâche de trancher les questions de fait dans de nombreux litiges commerciaux, ce qui implique pour les parties d’avoir recours à des experts dont les honoraires sont comparables à ceux des avocats et doivent être acquittés par les parties. Enfin, il est possible, dans de nombreuses affaires civiles, que le demandeur obtienne la condamnation du défendeur à lui payer des dommages-intérêts dits « punitifs » (en particulier lorsque le défendeur est une société commerciale).
Ces difficultés peuvent être rencontrées par tout justiciable non-américain impliqué dans un litige devant un tribunal américain. Cependant, pour les entreprises françaises qui vendent des produits sur le marché américain, il existe un autre problème majeur.
Aux États-Unis, lorsqu’un exportateur français poursuit son client devant un tribunal américain pour le non-paiement des biens qui lui ont été livrés, ce client forme souvent lui-même une demande dite « reconventionnelle ». Dans une telle situation, le client pourra, par exemple, soutenir que le produit vendu était défectueux et que cette défectuosité lui a causé un préjudice. En conséquence, en poursuivant son client aux États-Unis pour non-paiement du prix des biens livrés, l’exportateur français peut se retrouver dans une procédure où il sera lui aussi accusé et devra défendre son produit, ce qui rendra la procédure encore plus longue et coûteuse.
Des institutions arbitrales plus accessibles
Pour pallier ces inconvénients, il existe des options qui permettent à un exportateur français de réduire considérablement la probabilité d’être impliqué dans un contentieux judiciaire en rapport avec ses affaires aux États-Unis. Et ces options ne compromettent pas la capacité de ces exportateurs à recouvrer les montants dus. Elles améliorent, en réalité, leur capacité à percevoir ces paiements. Le principal outil dans le cadre d’une telle stratégie est l’utilisation d’une clause d’arbitrage que l’on appelle aussi clause « compromissoire ».
Bien entendu, le recours à l’arbitrage dans les contrats commerciaux internationaux n’est pas nouveau. Mais ce qui l’est, c’est qu’un certain nombre d’institutions arbitrales ont tenté de rendre leurs services plus abordables pour les petites et moyennes entreprises. L’existence d’institutions arbitrales plus accessibles, combinée à une rédaction et à une analyse attentive des clauses de résolution des litiges et de limitation de responsabilité des exportateurs et de celles de leurs cocontractants et concurrents, peut réduire de façon significative, sinon éliminer, la possibilité de devoir porter ses différends commerciaux devant les tribunaux américains.
Différentes institutions possibles
La Chambre de commerce internationale (communément appelée « CCI ») est l’une des institutions arbitrales les plus appréciées et les plus prestigieuses dans le domaine du commerce international. Bien que le montant des frais administratifs de la CCI (ainsi que les honoraires des arbitres) dépende des réclamations financières des parties, les sommes à régler sont souvent importantes et la CCI ne propose pas (encore ?) de solutions dédiées aux litiges non-complexes ou aux réclamations de faible montant. Or, en pratique, les demandes d’un exportateur français envers son client américain pour non-paiement des biens livrés sont, le plus souvent, d’un (relativement) faible montant et ne posent pas de questions juridiques particulièrement complexes. Dans une telle hypothèse, une société française qui souhaiterait insérer une clause compromissoire dans ses contrats avec ses clients américains pourrait envisager de recourir à d’autres institutions arbitrales basées aux États-Unis.
L’American Arbitration Association (« AAA ») et le Judicial Arbitration and Mediation Services (« JAMS ») disposent, par exemple, toutes deux de règles particulières pour les litiges « non-complexes ».
Au cours des dernières années, nos clients français qui ont insérés des clauses compromissoires dans leurs contrats avec leurs clients américains ont constaté une diminution sensible des difficultés de paiement et ceux qui ont stipulé une clause limitative de responsabilité ont constaté une diminution sensible des réclamations formulées par des clients insatisfaits.
Qui paye quoi dans la procédure ?
De nombreux lecteurs se demanderont – Mais l’arbitrage n’est-il pas coûteux ? Après tout, les parties à une procédure d’arbitrage ne doivent-elles pas payer les honoraires de l’arbitre (ce qui n’est pas le cas lorsqu’une action est portée devant un tribunal).
La réponse est triple :
Même si les parties doivent payer les honoraires de l’arbitre (et en général les frais administratifs de l’institution arbitrale), le contrat peut – et devrait presque toujours – prévoir que la partie perdante devra rembourser à l’autre partie ses frais de conseil raisonnables, ainsi que les frais administratifs de l’institution et les honoraires de l’arbitre. En tout état de cause, les tribunaux arbitraux allouent très généralement à la partie gagnante au moins une partie de ces frais et honoraires.
En outre, et bien souvent dans un contentieux devant les juridictions américaines, les parties n’auront d’autre choix que de recourir à des experts qui témoigneront au procès pour permettre au jury de comprendre les enjeux techniques du dossier. Au contraire, au cours d’une procédure d’arbitrage, il n’y a pas de jury et les parties s’assurent, au stade de la sélection des arbitres, que ces derniers disposent des compétences techniques nécessaires pour comprendre les enjeux factuels et/ou techniques du litige, ce qui permettra aux parties d’économiser des ressources qu’elles devraient autrement engager dans le cadre d’un contentieux devant les juridictions américaines.
Enfin, dans le cadre d’un arbitrage international, contrairement à une procédure judiciaire classique, la partie française ne sera généralement pas obligée de recourir aux services d’un avocat américain et pourra travailler avec son conseil habituel, français ou étranger, mais spécialiste de l’arbitrage international.
Des délais qui peuvent être plus rapides
D’autres lecteurs pourraient se demander – L’arbitrage ne prend-il pas autant de temps, ou peut-être plus de temps, qu’une procédure devant un tribunal judiciaire ? L’arbitrage peut s’avérer plus rapide que les procédures judiciaires dans la mesure où il n’existe généralement pas d’appel des sentences (il existe en revanche un recours en annulation mais dont les moyens sont encadrés par une convention internationale – la Convention de New York adoptée par plus de 156 pays à ce jour –). Néanmoins, et pour s’assurer de la célérité de la procédure, il est important pour un exportateur français ayant des clients aux États-Unis de choisir une institution arbitrale disposant de règles pour les litiges non-complexes. Ces règles sont élaborées dans le but de limiter la possibilité pour une partie (en général le défendeur) de retarder la procédure.
Par ailleurs, dans le cadre d’une procédure judiciaire, le client américain multipliera souvent des moyens de défense infondés en sachant qu’ils seront rejetés par le tribunal, mais dans le seul but de les soumettre à un jury et de retarder le règlement du contentieux, rendant ainsi plus longue et plus onéreuse la procédure pour le fournisseur français. Ces moyens de défense du client américain peuvent ainsi rendre ce mode de résolution des litiges économiquement non-viable et non-attractif pour les exportateurs français.
Au contraire, l’expérience montre que, lorsqu’un exportateur forme une demande en paiement de factures impayées dans le cadre d’une procédure d’arbitrage, le client-défendeur est moins susceptible d’invoquer des moyens de défense infondés car il n’y a pas de jury et qu’il risquerait de se décrédibiliser auprès des arbitres et d’augmenter son risque de condamnation. En tout état de cause, même lorsque ces moyens de défense sont soulevés, les arbitres y répondent généralement plus rapidement que le ferait un tribunal judiciaire américain.
Une localisation plus souple
Certains lecteurs pourraient encore penser : « J’ai des clients un peu partout aux États-Unis, et je n’ai pas envie de devoir engager un avocat américain dans ces différentes villes ». Précisément, le recours à une clause compromissoire permet d’éviter ce type de problématiques. Un exportateur français qui a des clients en Californie, au Texas et en Floride pourrait choisir New York ou Paris comme siège de l’arbitrage avec ses clients américains. Même si le client du Texas ou de Californie n’a pas d’actifs à New York, il est relativement simple d’exécuter une sentence arbitrale d’un état américain à l’autre (et ces dernières années, nous avons fréquemment recommandé aux exportateurs vers les États-Unis d’envisager la ville d’Atlanta comme siège de l’arbitrage, alternative plus abordable que New York).
En résumé, une clause compromissoire convenablement rédigée peut apporter une dose de réalisme à une relation d’affaires internationale, et limiter les risques associés aux procédures judiciaires, particulièrement aux États-Unis. L’examen par votre conseil des clauses de résolution des litiges contenues dans vos contrats, ainsi que celles contenues dans les contrats de vos concurrents lui permettra de vous recommander l’institution d’arbitrage la plus adaptée à vos besoins, et partant, de vous proposer une clause compromissoire appropriée à votre situation.
Eric S. Sherby, Sherby & Co.
Vice-Président du Comité du Contentieux International de l’American Bar Association
et Raphaël Kaminsky, Raphael Kaminsky/Litigation & Arbitration, avocat aux Barreaux de Paris et New York
Et pourquoi pas un tribunal français ?
Des lecteurs pourraient se demander : pourquoi ne pas simplement utiliser une clause attributive de juridiction qui obligerait à résoudre les litiges devant un tribunal français ? La réponse est que, même si un exportateur français pourra souvent convaincre son distributeur, licencié ou agent commercial américain de désigner les tribunaux français dans une clause attributive de juridiction, il ne sera généralement pas en mesure d’obtenir un tel accord de la part de ses clients américains. Les clients – qu’ils soient des entreprises ou des consommateurs – chercheront souvent à acheter des biens ailleurs si une clause attributive de juridiction les oblige, en cas de litige, à se déplacer en Europe, particulièrement en France.