La nouvelle Commission Juncker enlèvera-t-elle le très controversé mécanisme de règlement des différends (ISDS) de la négociation sur l’accord de Partenariat transatlantique (TTIP/Transatlantic Trade and Investment Partnership) ? Pas si sûr. D’une part, elle n’en a pas directement le pouvoir : elle peut proposer aux vingt-huit Etats membres de modifier le mandat de négociation mais eux seuls auront le dernier mot. D’autre part, son nouveau président, Jean Claude Juncker laisse planer le doute sur ses intentions.
Le Luxembourgeois a ainsi tenu à « clarifier » sa position lors de son allocution devant les Eurodéputés le 22 octobre à Strasbourg, quelques heures avant l’approbation de la composition de sa Commission. Au cours de son discours d’investiture mi-juillet, il avait en effet pris le contre-pied de son prédécesseur atlantiste José Manuel Barroso, en montrant ses réticences à l’inclusion de l’ISDS. Mais la nomination au portefeuille commerciale de la très libérale suédoise Cécilia Malmström, favorable à la mesure et l’incertitude politique révélée lors de son audition devant les parlementaires fin septembre* ont contribué à brouiller les pistes.
Ainsi, l’ancien Président de l’Eurogroupe entend régler la controverse en introduisant dans l’équation son « ami » et vice-président de la Commission, Frans Timmermans. « Il n’y aura aucune clause dans le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement si Frans ne le soutient pas aussi » a-t-il déclaré devant les parlementaires. L’ex-ministre néerlandais des Affaires étrangères prend ainsi la position d’arbitre. A première vue, il pourrait soutenir l’inclusion de la clause. Selon une étude demandée en juin 2014 par le gouvernement néerlandais, les Pays Bas seraient plutôt favorables à l’inclusion de l’ISDS mais à condition que ce dernier soit accompagné des gardes-fous nécessaires**.
Dans l’attente des résultats de la consultation
A cela s’ajoute la consultation publique sur l’ISDS lancée par la Commission en mars 2014. La publication de ses résultats pourrait bien scellée le sort du chapitre investissement gelé depuis son lancement. Elle a jusqu’ici été repoussée à fin septembre, puis à une date non déterminée avant la fin de l’année, la Commission Barroso laissant la patate chaude à son successeur. Car l’ISDS divise autant les Etats membres que les investisseurs.
Ses partisans y voient un instrument efficace pour les entreprises contre l’injustice de certaines mesures gouvernementales et rappellent à l’instar de l’ex commissaire Karel de Gucht que les Etats européens ont déjà « 1400 accords de ce type ».
A l’inverse, ONGs et investisseurs dénoncent la mise en place d’un principe à grande échelle – l’UE et les Etats Unis représentent près de 40 à 50% du commerce mondial – qui imposerait la jurisprudence américaine et limiterait le pouvoir des Etats face aux multinationales. L’Allemagne, suivi par la France, l’Autriche et le Luxembourg ont ainsi exprimé avec beaucoup de nuances leurs réserves à l’inclusion de l’ISDS dans le TTIP comme dans l’accord avec le Canada (CETA/Canada EU Trade Agreement). Tandis que les 24 autres restent étonnamment silencieux.
Face à la montée de la contestation, le nouveau Président de la Commission se veut rassurant. « Il est évident que nous ne pouvons unilatéralement imposer notre seule volonté à nos amis américains » a-t-il affirmé en conférence de presse, ajoutant tout sourire qu’il n’y avait pas lieu d’en faire un « drame ». Lui qui conçoit le mandat de négociation comme un « guide » a répété une promesse faite lors de son investiture : l’accord soumis en dernière instance au Parlement européen « ne prévoira rien qui limiterait l’accès des parties aux juridictions nationales ou qui permettrait à des juridictions secrètes d’avoir le dernier mot ».
Mais cette clause n’est pas la seule à susciter la controverse dans les négociations avec les Américains. La question de la protection des données personnelles comme celles des services ou des produits chimiques font partie des autres dossiers brûlants surlequels devra plancher la nouvelle Commission dés son entrée en fonction le 1er novembre.
Loreline Merelle à Bruxelles
*UE-libre échange : la nouvelle commissaire au Commerce se débat avec l’ISDS
**Pour lire l’étude commissionnée par le gouvernement des Pays-Bas, cliquez ICI