C’est sans grandes convictions que les représentants des 162 membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ont ouvert aujourd’hui à Nairobi, capitale du Kenya, la 10ème conférence ministérielle de l’organisation, la première qui se tient sur le continent africain. Car nul ne mise sur un accord global pour sauver le cycle de négociations de Doha ouvert en 2001, enlisé depuis 2008, malgré les tentatives de relance -notamment en 2011. « Les résultats que nous obtiendrons à Nairobi et la voie que nous emprunterons après seront essentiels pour déterminer le futur rôle de cette Organisation en tant qu’enceinte de négociations commerciales », avait averti son directeur général d’origine brésilienne Roberto Azevêdo il y a quelques semaines.
Rappelons que ces négociations multilatérales, qui visent à réduire les barrières aux échanges internationaux, couvrent un vaste éventail de sujets, notamment les trois grands piliers que sont le commerce des biens industriels, celui des produits agricoles et celui des services. L’amélioration de la transparence des règlementations nationales, l’établissement de règles de discipline dans les échanges ou encore l’amélioration de la protection des indications géographiques sont également au menu des discussions. Lors de la dernière conférence ministérielle il y a deux ans à Bali, en Indonésie, c’est à l’arrachée qu’avait été conclu, début décembre 2013, un accord partiel sur des volets plutôt secondaires du cycle de Doha, dont la facilitations du commerce. Surnommé le « Paquet de Bali », il intégrait une quinzaine de textes un peu disparates sur des points techniques, des sujets agricoles tels que les stocks alimentaires*.
Mais, alors que les négociations de libre échange entre pays ou entre grands blocs économiques -à l’instar de l’accord Corée du Sud/Union européenne de 2010 ou encore du Partenariat Transpacifique signé le 5 octobre 2015- se sont multipliés depuis 2008, les négociations pour parvenir à un accord global dans le cadre du cycle de Doha patinent. Début décembre, la commissaire européenne au Commerce -qui négocie au nom des 28 Etats membres de l’UE- s’était elle aussi montrée sceptique : rappelant les efforts de la Commission pour sceller un compromis avec les pays les moins avancés, Cecila Malmström avait déploré le manque de volonté politique des autres acteurs « qui ne semblent pas disposés à apporter leur contribution à un accord global ». La proposition de réduire le soutien national à l’agriculture aurait ainsi obtenu le soutien de plusieurs pays, comme le Brésil, le Mexique ou la Nouvelle-Zélande, « mais on ne sait pas vraiment si cet élément sera accepté en bout de course », avait commenté la commissaire au Commerce, ajoutant que « la possibilité d’un accord semble très mince à ce stade ».
Son homologue américain, Michael Froman, a été encore plus radical dans une récente tribune parue dans le Financial Times**: pour le représentant américain au Commerce, le cycle de Doha a tout simplement échoué à répondre aux espoirs mis en lui initialement. Selon lui, en 2001, les préoccupations étaient dominées par « les soutiens à l’agriculture des Etats-Unis et de l’Union européenne » mais entre-temps, ‘les pays émergents sont devenus les plus grands pourvoyeurs d’aide à l’agriculture, mais seraient exemptés de toute réduction » dans le cadre du projet d’accord actuel. Une analyse que confirme l’OCDE dans son récent examen des politiques agricoles, cité par le quotidien Les Echos (15/12/2015) : la Chine est ainsi devenu le premier pourvoyeur d’aides à l’agriculture, totalisant 41 % des soutiens sur la période 2012-2014, devant l’Union européenne (15%), les Etats-Unis (13 %) et le Japon (9 %)…
Avant de s’envoler pour la capitale kényane, Matthias Fekl, le secrétaire d’Etat français au Commerce extérieur, à la promotion du tourisme et aux Français de l’étranger, se montrait très mesuré. « A l’issue des négociations préparatoires tenues à Genève, il est manifeste que des efforts significatifs devront être consentis par les membres de l’OMC à Nairobi pour atteindre un accord large et équilibré qui couvre l’ensemble des aspects du Cycle de Doha, commentait-il dans un communiqué. Des progrès sont possibles, notamment pour mieux encadrer les interventions publiques qui faussent la concurrence sur les exportations de produits agricoles (crédits export, entreprises commerciales d’Etat, aide alimentaire), alors que l’Union européenne s’est déjà mise en conformité avec les règles de l’OMC en la matière ».
Pour sa part, le secrétaire d’Etat français, qui devait profiter de ce déplacement en Afrique orientale pour assister, après la conférence, à un forum d’affaires franco-éthiopien organisé à Addis Abeba, a annoncé qu’il veillera tout particulièrement à ce que la Commission européenne « porte des positions offensives pour la préservation des intérêts agricoles européens » et au « maintien d’exigences fortes sur les autres aspects du cycle, dans la perspective des négociations qui suivront la ministérielle de Nairobi, en particulier en ce qui concerne la protection des indications géographiques ».
C.G
*OMC : les engagements du « Paquet Bali » sur la facilitation du commerce restent à préciser
**We are at the end of the line on the Doha Round of trade talks