A la veille d’un vote crucial au Parlement européen (PE), les partisans et détracteurs de l’accord de libre échange (ALE) UE/Colombie et Pérou intensifient leurs pressions pour rallier les eurodéputés à leur cause. Le Conseil de l’UE ayant ratifié l’accord en juin dernier, c’est en effet au tour du PE de trancher, processus de co-décision oblige. Mais avant d’être soumis au vote des parlementaires européens en plénière, probablement avant la fin de l’année, le pacte commercial doit d’abord être adopté par la commission Commerce international (INTA) du PE lors de sa prochaine réunion à Bruxelles, le 6 novembre.
Les milieux d’affaires favorables à l’ALE
Côté partisans, les milieux d’affaires. Dans une lettre adressée aux membres de cette commission, cette semaine, BusinessEurope, une association qui rassemble les représentants des patronats européens, rappelle l’importance de cet ALE alors que l’Europe entière est menacée de récession. « Nous vous demandons d’adopter cet accord et de permettre ainsi aux entrepreneurs européens de jouer pleinement leur rôle dans le retour de la croissance », conclut la missive co-signée par une alliance d’associations représentant les secteurs les plus concernés par la mise en œuvre rapide de ce pacte commercial (1).
Ils rappellent ainsi les opportunités qui en découleront : élimination des taxes douanières sur les produits industriels et de la pêche, meilleur accès aux marchés des produits agricoles, des contrats publics, des services ainsi que la réduction des barrières non tarifaires.
« Tous ces éléments permettront depromouvoir les meilleures pratiques à l’international et un climat des affaires plus favorables aux opérateurs et investisseurs de l’UE », insistent les membres de l’organisation patronale européenne rappelant également les économies de « 270 millions d’euros par an de droit de douane » que pourront réaliser les exportateurs dès l’entrée en vigueur de l’accord. Côté européen, l’ALE bénéficiera particulièrement aux secteurs de l’automobile, des télécommunications, de la construction, de la distribution, des services financiers et de transports, du textile, de la chimie. Ayant obtenu le respect des indications géographiques et appellations d’origine, les producteurs de vins et de spiritueux sortiront également gagnants de ce deal commercial.
Syndicats et ONG contestent le caractère « gagnant-gagnant »
Côté détracteurs, les organisations syndicales et autre associations de la société civile d’Europe et d’Amérique latine. Selon eux, le pacte est loin d’instaurer une relation gagnant-gagnant. Il instituerait plutôt une « violation grave des droits humains, en particulier économiques, sociaux, culturels et environnementaux», expliquent diverses organisations dans un communiqué, largement diffusé à la presse européenne cette semaine.
Pour Wolfgang Kaleck du Centre européen pour les droits constitutionnels et droits humains (ECCHR), l’attitude de l’UE est à ce regard « surprenante » sachant qu’en Colombie près de 3.000 syndicalistes ont été tués et beaucoup d’autres intimidés, menacés et harcelés au cours des trois dernières décennies. Spécialiste des relations commerciales entre l’UE et l’Amérique Latine, Lourdes Castro, elle, souligne l’asymétrie de ces accords : l’UE en serait le véritable bénéficiaire, tandis que les pays d’Amérique centrale, la Colombie et le Pérou, obtiendraient essentiellement des avantages en termes d’accès au marché européen pour ses matières premières.
De concert tous dénoncent la résolution « cosmétique » votée par les eurodéputés en juin dernier. Cette dernière encourage les gouvernements colombiens et péruviens à élaborer un plan d’action, en parallèle à l’accord, dans lequel ils s’engageraient à respecter les droits humains, du travail et environnementaux. « Mais la résolution n’a aucune valeur contraignante », confirme une spécialiste du commerce international du PE, « il s’agit surtout d’alléger la conscience des Européens », ajoute-t-elle. En réponse d’une lettre envoyée par les syndicats européen, Catherine Ashton aurait en effet confirmé qu’il n’était pas question de conditionner la signature de l’accord à ces plans d’action.
Si les deux camps continueront certainement à se livrer bataille d’ici au vote des membres de la Commission INTA, le 6 novembre, les espoirs de la société civile s’amenuisent de jour en jour. Soucieux de relancer une croissance européenne en berne, les Etats membres et la Commission se limitent à des déclarations de principe en matière de défense des droits fondamentaux. Et même si le rapport de force est plus serré au sein de l’hémicycle européen, l’accord commercial devrait, sans surprise, être adopté avant la fin de l’année, autorisant sa mise en œuvre provisoire dès l’an prochain.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
(1) Parmi les signataires de la lettre figurent : Business Europe ; l’Association des constructeurs automobiles européen (ACEA); le Conseil européen de l’industrie chimique (CEFIC); le Comité européen des entreprises vin (CEEV) ; l’Organisation européenne des spiritueux (CEPS); Pernod-Ricard ; Digitaleurope ; le Forum européen des services ; Euratex (textile); le Réseau européen des opérateurs de télécommunications (ETNO) ; la Confédération européenne des industries du papier (CEPI).
Pour en savoir plus :
Nos dernières informations sur les ALE de l’Union européenne ici
Notre dernier dossier sur les zones de libre échange ici