Selon une règlementation
initiée par l’Organisation maritime internationale (l’OMI dépend de l’ONU) et
avalisée par une directive de la commission européenne, les armateurs devront
diviser par dix les émissions de soufre de leurs navires (soit un taux de 0,1 %
contre 1 % actuellement) à compter du 1er janvier 2015.
Cette mesure, adoptée en
2008, concerne en priorité les zones environnementales identifiées comme sensibles à la pollution au soufre, en raison de leurs sols calcaires et d’un
trafic maritime intense. Elle s’appliquera donc aux navires circulant dans la mer
du Nord et Baltique. La directive sera sans doute très vite étendue aux unités
naviguant en mer Méditerranée. A priori, rien que de plus normal. L’industrie
automobile, les entreprises de transport aérien et routier, déjà astreintes à
des normes assez comparables, ne s’y sont-elles pas adaptées ?
Le texte touchera le trafic
de cabotage, dit « short-sea », les ports, les trafics ferry et
rouliers. Il représente un coût important, aussi bien pour les acteurs du
trafic passager que du commerce maritime européen. Car il place les exploitants
de navires devant une alternative : soit remplacer le fioul par le gazole,
soit s’équiper d’un épurateur de fumée. Cela inquiète les armateurs, mais ils
ont réagi bien tard, organisant une conférence de presse le 18 janvier 2012.
Selon ces derniers, le saut au 0,1% de soufre est brutal. Parce que le gazole coûte 40 % plus
cher (950 $ la tonne) que le fioul (550 $) actuellement utilisé dans les
soutes. S’y ajoute le coût d’une modification des moteurs. Enfin, parce que la
seule nouvelle technologie d’épuration proposée est jugée extrêmement coûteuse
et d’une faible efficacité.
Il s’agit du dispositif, dénommé « scrubber », dont l’objet est l’épuration
des gaz d’échappement. Le scrubber est un engin très encombrant et qui
nécessite une reconfiguration très lourde des cargos et ferry, impactant leur
capacité de chargement et leur motorisation. Ils sont aussi très coûteux, soit
une fourchette de prix comprise entre 6 et 10 millions l’unité, somme à laquelle s’ajoute un
coût d’exploitation de l’ordre de 500 000 à 750 000 euros par an et
par navire. Les armateurs, qui nous ont fourni ces chiffres indiquent qu’ils ne concernent que
les ferrys.
Les motoristes fabricants de « scrubber » (Alfa Laval, Clean Marine,
Belco …), regroupés au sein de l’EGCSA (Exhaust gas cleaning systems
association) contestent l’ensemble de cette argumentation. Cependant, le seul
utilisateur de ce dispositif (livré par la société Krystallon), la compagnie
P&O, qui l’a expérimenté sur l’un de ses navires (le ‘Pride of Kent’) n’a pour
l’heure pas souhaité l’étendre au reste de sa flotte. Bien que l’installation
de ce scrubber ait valu aux deux entreprises de se voir décerner en 2011 le
premier prix pour la protection de l’environnement maritime et atmosphérique
(Seatrade Award).
« Nous avons tout intérêt
à ce que ces scrubber fonctionnent bien, puisque nous pourrions alors acheter
du fioul à 3,5 % de soufre, donc moins coûteux » assure-t-on chez
Armateurs de France, l’association qui fédère la profession.
« Nous n’avons rien contre cette directive soufre, motivée par des
raisons de santé humaine. Nous avons déjà diminué une première fois le taux de
soufre à 3,5 %, puis à 1 %, mais passer à 0,1 % en l’espace de moins de
trois ans, nous paraît irréalisable en l’état actuel des technologies qui nous
sont proposées », déclarait hier lors d’une conférence de presse Fernand
Bozzoni, président du comité environnement d’Armateurs de France. Ce dernier
redoute particulièrement un impact sur l’emploi en France et en Europe.
D’autant plus que, « 2011
a été plutôt morose pour les armateurs, qui ne sont pas franchement
bénéficiaires. Le shipping, activité placée en amont et en aval de l’économie
réelle, éprouve de façon anticipé les mouvements de la conjoncture économique.
Ainsi, l’activité du transport maritime conteneurisé a-t-il enregistré un
deuxième trimestre 2011 catastrophique. Nous sommes dans un climat où le client,
chargeur ou logisticien, négocie les prix pied à pied», souligne Anne-Sophie
Avé, délégué général d’Armateurs de France.
D’ailleurs, hors d’Europe,
les autres grandes puissance ont refusé ou contourné la règlementation de
l’OMI. Ainsi, les Etats-Unis ont-ils ajouté tant de clauses d’exemptions, que
le texte est vidé de sa substance. Quant aux Chinois, ils ont refusé de signer.
La Commission européenne reste campée sur sa position. L’attitude du
gouvernement français est plus ambigüe.
« Que penser d’une règlementation qui renchérit de 40 % à 70 % les
coûts d’exploitation d’un navire, qui risque de remettre sur les routes les
poids lourds que nous avons fait embarquer à bord des autoroutes de la mer ?
Que penser d’une réglementation qui impose d’ici trois ans de faire naviguer
vos navires avec un carburant ou des équipements qui n’existent pas encore»,
s’interrogeait Thierry Mariani, secrétaire d’Etat aux Transports, aux assises
de la mer, le 29 novembre dernier, devant un public tout acquis, mais pas dupe.
En effet, les armateurs pensent que le gouvernement compatit, mais n’agira pas,
pour des raisons d’affichage, tant vis-à-vis de la Commission européenne,
qu’eu égard à la prochaine échéance électorale de mai prochain. 2015 est encore
loin.
Gilles Naudy
MOCI Pratique :
■Pour en savoir plus, vous trouverez ci-joint
(fichiers PDF) :
♦Le règlement de l’OMI datant de 2008 : Marpol Annexe 6
♦La directive européenne
♦L’analyse de l’université d’Anvers
sur la question
♦Le dossier de presse
d’Armateurs de France
■Vous pouvez également suivre les sites suivants :
♦Le site de l’OMI :
www.imo.org/ourwork/environment/pollutionprevention/airpollution/pages/air-pollution.aspx
♦Le site des armateurs français :
www.armateursdefrance.org
♦Le site des fabricants de
scrubber :