Comme on pouvait s’y attendre, le 10 mai à Washington, les négociations commerciales entre la Chine et les États-Unis n’ont pas avancé, chacun campant sur ses positions, sans, pour autant, fermer la porte à la poursuite des discussions.
Comme on pouvait aussi s’y attendre, les deux adversaires ont tourné leur regard vers l’Union européenne (UE), les Américains pour faire pression sur les Européens dans le cadre des négociations commerciales transatlantiques, les Chinois pour convaincre des Européens sceptiques de leur volonté de leur donner toute leur place dans le décollage de la grande initiative One Belt, one road (Obor, une ceinture, une route) ou Route de la soie, lancée en 2013 par le président Xi Jinping.
Reste que depuis le 10 mai, l’escalade de la guerre commerciale est bel est bien déclenchée. Comme le président américain l’avait annoncé, 200 milliards de dollars de produits chinois ne sont plus taxés à 10 %, mais à 25 %*, s’ajoutant ainsi aux 50 milliards de marchandises chinoises déjà imposées à ce taux. Donald Trump a, toutefois, indiqué que les nouvelles mesures « pourraient être levées, ou pas », en fonction de l’avancée des « négociations futures ». Le locataire de la Maison Blanche a également tweeté que « la Chine ne devrait pas exercer de représailles, elle ne fera qu’empirer ! »
La riposte de la Chine à Trump
Certes, la réponse de Pékin a, dans un premier temps, été prudente. A Washington le 10 mai, le négociateur en chef chinois, Liu He, s’est ainsi contenté de réfuter le fait que les négociations se seraient achevées sur un constat d’échec. Il a considéré comme « inévitable » qu’il y ait des obstacles et a indiqué que les pourparlers se poursuivraient à Pékin à une date indéterminée.
Mais il n’a fallu que quelques jours pour que Pékin passe à l’offensive. Le ministère chinois des Finances vient ainsi d’annoncer qu’un nouveau taux de 25 % pourrait s’appliquer à 2 493 produits américains à compter du 1er juin et que des droits de douane entre 5 % et 20 % pourraient frapper les autres biens importés des États-Unis.
Cette détermination chinoise peut être considérée comme une réponse directe aux propos de Robert Lightizer, le Représentant américain au Commerce (USTR), lequel, dans un bref communiqué, avait confirmé que Donald Trump avait « ordonné de démarrer le processus d’augmentation des droits de douane sur quasiment tout le reste des importations de Chine, évalué à environ 300 milliards de dollars».
Les technologies particulièrement ciblées par les États-Unis
La guerre entre les deux géants mondiaux fait rage depuis que Washington a imposé des tarifs douaniers sur les panneaux solaires et machines à laver importées de Chine en janvier 2018. Puis ce fut le tour de l’acier et l’aluminium.
S’agissant des nouveaux produits chinois taxés à 25 % aux Etats-Unis, la palette est large allant de la chimie aux matériaux de construction, en passant par le mobilier et l’électronique grand public. Soit au total 5 700 catégories de produits, comme encore les légumes cuits, les guirlandes lumineuses de Noël ou encore les chaises hautes pour bébés. La liste précise doit être publiée dès cette semaine au Journal officiel federal (Federal Register).
Dans la liste constituée par la Commission du commerce international des États-Unis, figurent en bonne position des biens technologiques : équipements de télécommunications, carte de circuits informatiques, unités de traitement, pièces d’ordinateur, etc. Freiner l’avancée technologique de la Chine est devenu une obsession de l’Administration Trump, qui n’a de cesse de dénoncer le plan Made in China 2025, visant, selon elle, à asseoir la domination sur le monde de l’ex-Empire du Milieu.
Un impact encore incertains sur l’économie et le commerce mondiaux
Pour connaître l’impact économique de cette nouvelle escalade du conflit commercial entre les deux premières économies du monde, différents observateurs se sont essayés à des prévisions.
Le Fonds monétaire international a ainsi calculé que l’activité aux États-Unis reculerait au minimum de 0,2 point. Pour Oxford Economics, des tarifs en hausse de 25 % représenteraient un coût de 29 milliards de dollars pour l’économie des États-Unis, soit 0,3 % du produit intérieur brut (PIB). Enfin, l’organisation Trade Partnership vient d’annoncer que l’augmentation des droits de douane depuis le 10 mai allait renchérir les dépenses annuelles d’une famille américaine de quatre personnes de 767 dollars.
En février dernier, la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced) a estimé dans une étude que la guerre américano-chinoise n’apporterait pas de gains aux belligérants mais pourraient profiter à d’autres acteurs. Selon la Cnuced, elle pourrait déboucher pour les Européens sur des gains à l’export de 70 milliards de dollars vers ces deux pays. Automobiles, chimie, machines-outils et équipements médicaux européens seraient devenus plus compétitifs en Chine. De leur côté, les Américains auraient besoin de se tourner vers l’UE pour obtenir certains produits, dont certains importés de Chine par les Européens.
L’agriculture au cœur des négociations avec l’automobile
S’agissant des 300 milliards d’importations supplémentaires que les Etats-Unis menacent de taxer à 25 %, le travail des services de Robert Lightizer risque d’être long. Outre le fait que Washington et Pékin peuvent toujours aboutir à un accord, des taxes supplémentaires devraient faire l’objet d’une notification publique, suivie d’une période de consultations et de commentaires qui prendrait des mois.
Les protagonistes de cette lutte commerciale disposent ainsi de temps pour trouver un accord et éviter le pire. L’Administration américaine, en particulier, pourrait y réfléchir deux fois. D’après Oxford Economics, si le reste des importations d’origine chinoise, soit 325 milliards de dollars au total, étaient imposées à 25 % et si la Chine contre-attaquait, le coût pour les États-Unis pourrait atteindre 350 dollars par ménage et la perte d’emplois serait de l’ordre de 300 000.
Le 10 mai, Donald Trump a aussi évoqué le cas de l’agriculture. Après les premières sanctions générales de Washington (les 50 milliards d’importations à 25 %), Pékin avait, en effet, riposté en ciblant plus particulièrement trois produits sensibles pour l’économie américaine, à savoir le soja, le porc et le coton. L’Administration Trump avait dû alors dégager des aides aux fermiers américains pour un montant de 12 milliards de dollars. Les producteurs de lait sont également à la peine, leur exportations ont chuté de près de moitié.
Or, l’agriculture est considérée comme un enjeu vital par un Donald Trump, qui se projette déjà vers sa réélection à un an et demi du prochain scrutin (3 novembre 2020). Preuve en est la pression mise sur les Européens.
Agriculture, automobile : montée de la pression sur les Européens
Le 10 mai lors d’un sommet d’affaires à Bruxelles, c’est l’ambassadeur américain auprès de l’UE, qui a évoqué les négociations transatlantiques et la volonté d’y intégrer le volet agricole. « Pour qu’un accord final soit ratifié par le Congrès, il devra inclure une partie sur l’agriculture », a prévenu ainsi Gordon Sondland.
Or, pour les Européens, l’agriculture (et la reconnaissance des indications géographiques) constitue une ligne rouge à ne pas dépasser. Lorsque Jean-Claude Juncker était venu pour jeter les bases des futures discussions transatlantiques, en juillet 2018 à Washington, le président de la Commission européenne avait rétorqué à ses interlocuteurs qu’il ne possédait pas de mandat pour discuter d’agriculture.
Il en est de même depuis que l’exécutif européen a reçu formellement le feu vert pour négocier. Seule la France s’y était opposée, avançant plusieurs arguments : d’abord, que Washington s’était retiré à l’Accord international sur le climat, ensuite qu’il n’était pas question de pourparlers sur l’agriculture. Au final, l’agriculture ne fait pas partie du mandat de négociation de la Commission.
Mais un autre dossier risque vite de tourner à l’aigre entre Bruxelles et Washington, celui de l’automobile européenne que les États-Unis pourraient aussi sanctionner à hauteur de 25 % à compter du 18 mai. Ce jour-là marque en effet la fin du délai de 90 jours déclenché à la remise par le département au Commerce US de son rapport préconisant des tarifs douaniers à l’encontre des véhicules européens pour des raisons de « sécurité nationale ».
L’Administration Trump pourrait, toutefois, reporter sa décision sur l’automobile. Cecilia Malmstrom devrait rencontrer Robert Lightizer la semaine prochaine. La commissaire européen en charge du Commerce extérieur a rappelé que l’UE était prête à répliquer en cas de taxation de l’automobile européenne.
Une Europe plus forte face à la Chine
Malgré l’incertitude qui domine sur tous ces dossiers, le bras de fer transatlantique pourrait favoriser dans l’immédiat un rapprochement entre Pékin et Bruxelles. Confrontée au ralentissement de son économie, alors que l’activité aux Etats-Unis affiche un dynamisme surprenant, la Chine a plus besoin que jamais de l’Europe. Sa rhétorique vis-à-vis des Vingt-Huit a d’ailleurs récemment évolué.
Bruxelles a durci ses positions politiques, en même temps que son arsenal commercial défensif et offensif, ce que ne peut ignorer Pékin. Un signe frappant de cette Europe plus forte, malgré le Brexit, a été donné par Emmanuel Macron, qui, lors de la visite de son homologue chinois Xi Jinping fin mars dernier, a invité Jean-Claude Juncker et la chancelière allemande Angela Merkel à participer à un mini-sommet improvisé à Paris avec le président chinois.
Signe de ce changement de ton côté chinois, lors du sommet d’affaires auquel participait le 10 mai à Bruxelles Gordon Sondland (cité plus haut), son homologue chinois, Zhang Ming, a invité l’UE à « construire un partenariat mondial sur la connectivité », grâce aux « synergies » rendues possibles par la nouvelle route de la soie. Le directeur du projet, Zhai Dongsheng, a renchéri sur le « bel espace d’échange » que crée l’initiative. Une allusion à peine voilée à l’unilatéralisme et au protectionnisme fièrement brandi outre-Atlantique.
Faute de réciprocité, à part quelques pays et entreprises qui y participent, Pékin n’a pas convaincu dans l’UE. A Bruxelles, on attend plus que des promesses en matière d’ouverture économique. Sur ce point, Américains et Européens restent par essence unis.
François Pargny
* La liste est disponible au lien suivant : https://ustr.gov/sites/default/files/enforcement/301Investigations/Tariff%20List-09.17.18.pdf