Personne ne peut y échapper. La conformité au droit américain s’impose à tous. A Cuba, comme en Iran, en Syrie, au Soudan ou en Libye, les entreprises du monde entier sont soumises aux lois d’extraterritorialité des États-Unis (loi Helms-Burton contre Cuba…).
« C’est le musée des horreurs. Les États-Unis gèrent la conformité dans le monde », a dénoncé ainsi Fabien Buhler, le président de la société de commerce Devexport, en ouvrant la table ronde « Risque de conformité : les bonnes pratiques pour éviter l’impact des sanctions internationales (Iran, Russie, Ukraine, Cuba, etc.) », lors du 10e Forum Moci Risques et Opportunités du 28 juin à Paris.
« Un demi-siècle après la création de l’Organisation des Nations Unies, les règles de l’Onu sont bafouées », a poursuivi cet expert du commerce international, qui a illustré ses propos sur l’unilatéralisme américain à travers plusieurs exemples. Ainsi, une société française vendant aux Émirats arabes unis des produits fabriqués en Inde a été sanctionnée parce que le bateau transportant la marchandise a fait escale en Iran.
Les banques frileuses depuis l’affaire BNP Paribas
Avec les États-Unis, le diable est dans les détails. Le pays de l’Oncle Sam joue sur du velours, car aucune société ne peut faire l’impasse sur son grand marché, le premier au monde. Y compris les banques.
Ainsi, le géant BNP Paribas a bien été puni d’avoir contourné l’embargo décrété par Washington sur l’Iran, le Soudan et la Libye. Pour ne pas se voir retiré sa licence outre-Atlantique, le groupe tricolore a dû se résoudre à payer une amende de plus de 9 milliards de dollars. Plusieurs autres banques françaises et européennes ont été sanctionnées par la suite.
Du coup, les banques sont devenues frileuses et appliquent la conformité – ou compliance en anglais- jusqu’à l’extrême. « Elles ont tendance à l’over compliance », a confirmé Fabien Buhler.
Il a raconté, devant les hommes d’affaires réunis par Le Moci, une autre histoire particulièrement édifiante : celle d’une banque qui avait rejeté le paiement d’une livraison de matières premières à Cuba, adossée, pourtant, à un financement international qu’elle avait validé. L’exportateur français a dû recourir à la Banque de France et au médiateur du crédit pour avoir gain de cause. Si sa banque a finalement accepté de mener à terme les dossiers en cours, elle a, toutefois, refusé d’en ouvrir de nouveaux.
La loi américaine de 1972, arme de guerre commerciale
Dans le cas de l’Iran, l’initiative européenne Instex, en réaction à l’embargo américain sur ce pays, peine a voir le jour de façon opérationnelle, les banques refusant d’y souscrire. Allemands, Français et Britanniques pensaient, pourtant, avoir trouvé la parade à l’interdit américain. Instex avait été créée en janvier dernier. Cette société devait, sans utiliser le dollar, proposer un système de compensation permettant d’échanger des produits hors sanctions (médicaments, denrées alimentaires). Mais les banques n’ont pas suivi, de peur d’être poursuivies par la justice américaine.
Pour imposer ses règles, Washington s’appuie sur une loi de 1977, le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), dont l’usage par les Etats-Unis s’est amplifié dans les années 2000 et est devenue sous Donald Trump « une loi de guerre commerciale », selon Thomas Perathoner, directeur Marketing France de Bureau van Dijk, spécialiste mondial des informations financières et commerciales.
Dans les faits, le FCPA permet aux États-Unis de traquer les malversations d’une entreprise dans le monde entier, dès lors que ses transactions transitent par le circuit financier américain. Une chose est sûre : « dans les deux tiers des cas, ce sont les Européens qui sont les victimes », a pointé Thomas Perathoner.
Quel schéma logistique adopter ?
La conformité touche des domaines assez divers. « C’est de la douane, avec de l’Export Control, de la lutte contre la corruption et le terrorisme, c’est aussi du respect de l’environnement et de l’éthique », énumérait Alexandre Cuvelier, président de la société de conseil en compliance Archilog.
Selon ce spécialiste, la question à se poser est celle du schéma logistique à adapter à un environnement instable. En l’occurrence, rien n’est simple. On peut se montrer vigilant, adopter des systèmes de contrôle que l’on pense efficaces, bien que lourds, et être confronté, quand même, à des conséquences inattendues et négatives. Il faut donc aussi savoir dire non à une opération.
Pour illustrer à son tour ses propos, Alexandre Cuvelier a relaté l’histoire suivante : à la demande d’une société américaine produisant au Mexique pour le marché américain et en Pologne pour le marché européen, Archilog a réalisé une étude d’impact en prévision de sanctions commerciales que menaçaient de prendre les États-Unis contre le Mexique – sanctions qui n’ont finalement pas été prises.
La solution trouvée était alors d’importer de Pologne aux États-Unis et de livrer l’Europe à partir du Mexique. Si elle avait été appliquée, le bilan en aurait été catastrophique à plusieurs titres : d’abord, en termes de coût de transport et d’environnement, donc de marges ; ensuite, d’emploi ; sans compter, enfin, la débauche d’énergie et le temps passé à mettre en place le nouveau circuit commercial.
Être conforme est obligatoire même pour les PME
En matière de compliance, les États-Unis ne sont pas seuls à prendre des mesures. Ainsi, l’Onu, à travers les résolutions du Conseil de sécurité, l’Union européenne ou encore ses États membres peuvent agir dans ce sens. Mieux vaut donc examiner à deux fois les risques et bien connaître le destinataire économique final de l’opération.
A cet égard, à côté de prestataires d’informations et de conseils spécialisés, des sources d’information fiables et gratuites existes sur les pays et entités sous sanction.
La carte interactive de la Douane française donne un aperçu des restrictions commerciales prises à l’encontre de certains pays.
La Direction générale du Trésor a aussi listé sur son site www.tresor.economie.gouv.fr des sanctions à l’encontre de 28 pays et entités. Les cinq mesures qui peuvent être prises sont le gel d’avoirs (personnes physiques ou morales), les embargos sectoriels et militaires, les interdictions touchant les équipements de répression interne et les pays.
« Vous n’avez pas le choix. Vous devez vous adapter, car le coût serait sans doute plus important si vous étiez éjecté du marché », a répondu Thomas Perathoner à un entrepreneur qui l’interrogeait lors du forum Moci sur la nécessité pour une PME de respecter les règles de conformité. « La meilleure solution, c’est la prévention. Ça coûte moins financièrement que de faire du curatif », a renchéri Alexandre Cuvelier.
A cet égard, Thomas Perathoner s’est réjouit que le secteur privé en France commence à prendre au sérieux les lois anti-corruption. La loi Sapin 2 de 2017, relative à la transparence, la lutte contre la corruption, la modernisation de la vie économique, l’incite de plus en plus à se doter de codes de bonne conduite et de responsables de la compliance, ce qui est positif. Pour une entreprise, estimait-il, « cette politique peut se transformer en atout compétitif, car c’est l’image de la société qui en ressort renforcée ».
Éviter les pièges, adopter les bonnes pratiques
Attention toutefois à ne pas se faire imposer les règles du jeu. Selon Alexandre Cuvelier, il faut ainsi se méfier des groupes « qui transfèrent leurs achats aux PME » et « passent ainsi aux sous-traitants la patate chaude en leur transférant notamment le risque douanier ». Le dirigeant d’Archilog conseille très sérieusement à ces sociétés qui sont, de toute façon « moins bien outillées et dotées en facilités que les donneurs d’ordre » de refuser ce qu’il considère comme « un piège ».
En revanche, une PME peut très bien mutualiser certains moyens, notamment des audits sectoriels, pour réduire ses dépenses en particulier. Mais dès qu’une société a décidé de s’engager dans une démarche proactive, elle n’a d’autre choix que de maîtriser son environnement réglementaire.
Dans ce cas, le screening de l’entreprise peut s’imposer. Encore une fois, le diable est dans les détails. Une entreprise s’est vue quasiment interdire d’exporter des stations d’épuration d’eau en Iran pendant six mois parce que sa documentation mentionnait « centrifugeuses ».
De même, il faut que l’utilisation finale d’un produit corresponde à l’emploi déclaré. Il convient donc de vérifier si une licence d’exportation est requise, s’il y a un risque de détournement à des fins autres – militaire, chimique, nucléaire, biologique – si un certificat d’utilisation finale doit être fourni ou encore si le produit risque d’être transféré à un tiers.
Évidemment, de façon générale, les lois en vigueur et règlementations en matière de contrôle des exportations, quand les pays de destination sont autorisés, doivent être consultées. Attention notamment à ce que certains produits ne figurent pas dans les listes de biens à double usage. Dans un monde global, la compliance est devenue ainsi une obligation. Mais aussi un atout pour ceux qui s’adaptent.
François Pargny