Votée le 9 décembre 2016, sous l’ancien gouvernement, cette loi sur la moralisation de la vie économique inquiète les entreprises qui doivent encore en comprendre « la complexité », a expliqué Hervé Guyader, avocat au barreau de Paris, lors d’un atelier (notre photo*) sur la loi Sapin II et la conformité aux lois et règlements (compliance, en anglais), proposé lors de la 8e édition du Forum Moci Risques et opportunités à l’international, le 30 juin à Paris.
Le texte, défendu alors par le ministre de l’Économie et des finances de l’époque, Michel Sapin, concerne directement les sociétés de plus de 500 salariés et de 100 millions de chiffre d’affaires, et indirectement les sous-traitants et fournisseurs obligés de s’adapter à de nouvelles exigences de la part de leurs donneurs d’ordre ou clients. Les parlementaires ont ainsi décidé que les grandes entreprises devront établir un plan de détection des fraudes et de sensibilisation sur la probité.
Un programme en huit points
Le programme tient en huit points, selon Hervé Guyader :
- Mise en place d’un code de conduite assez directif, dans lequel doivent être mentionnés les différents types de comportements susceptibles d’être assimilés à des faits de corruption ou de trafic d’influence.
- Installation de mécanismes internes de signalement.
- Réalisation d’une cartographie des risques.
- Établissement d’une procédure d’évaluation des risques et des clients.
- Introduction d’une procédure de contrôle comptable par un expert indépendant.
- Implantation d’un dispositif de formation.
- Conception d’un règlement de discipline à l’usage des salariés.
- Création d’un contrôle et d’une évaluation internes.
« C’est du droit pénal, a martelé Hervé Guyader, qui a, toutefois, indiqué qu’il était possible de transiger, à condition que l’entreprise qui n’est pas en règle coopère « activement » et accepte de verser une amende lourde. A noter que la formation n’est pas un aspect à prendre à la légère : d’après le témoignage d’un entrepreneur, a précisé Hervé Guyader, « pour un plan de 18 000 heures, sa force de travail a été mobilisé de 15 jours à trois semaines et, pour être totalement carré, il faut compter deux à trois ans ».
La loi française introduit, cependant, « une originalité par rapport à d’autres législations dans le monde », puisque l’autorité de régulation créée n’a pas seulement un devoir de contrôle, mais « elle possède aussi une mission d’accompagnement et de conseil auprès des entreprises », a souligné Baptiste Pécriaux, responsable Secteur privé de Transparency International France. « L’idée, a-t-il soutenu, c’est vraiment d’amener les entreprises à adopter des procédures de prévention ». Enfin, cette autorité « ne va pas sanctionner tout de suite, il y aura au moins un premier rappel », a-t-il précisé, avant d’indiquer les montants des sanctions : 200 000 euros pour le chef d’entreprise, 1 million pour la personne morale.
A noter que Transparancy International France a élaboré un guide pratique à l’intention des entreprises pour mettre en œuvre cette nouvelle loi. Il est proposé gratuitement aux entreprises*.
Des solutions de monitoring pour évaluer les partenaires et surveiller l’ensemble des contreparties
Selon Daniel Pinazo, manager Solutions compliance chez Bureau van Dijk (BVD), « il y a eu un resserrement de la législation internationale depuis 2008 », les États se dotant de textes de plus en plus contraignants, un mouvement qui devrait perdurer et donc inciter le secteur privé à augmenter encore ses investissements dans des solutions de compliance.
« C’est à partir de 2008, a-t-il poursuivi, qu’il y a vraiment eu une montée en puissance des sanctions » et que les très grandes entreprises françaises ont vraiment commencé à se prémunir contre le risque de corruption avec la mise en place de solutions de compliance internes et externes, via l’acquisition de certains outils. Les sociétés ont ainsi adopté des solutions de monitoring pour pouvoir évaluer leurs partenaires et surveiller l’ensemble des contreparties.
Ce mouvement est vraiment « monté en puissance début 2010 avec l’arrivée des lois extraterritoriales chinoise, brésilienne et russe », a relaté Daniel Pinazo. Puis sont sorties des directives européennes et « maintenant » la loi Sapin II avec le devoir de vigilance. Les entreprises françaises doivent absolument éviter de se mettre dans des situations susceptibles de constituer des actes de corruption ou de trafic d’influence. L’extraterritorialité du droit américain a déjà frappé lourdement certains groupes étrangers, comme BNP Paribas (8,9 milliards de dollars pour avoir travaillé en Iran, pays sous embargo).
« N’oubliez pas une chose, c’est que l’extraterritorialité américaine ne fonctionne pas du tout comme le droit français », a insisté Hervé Guyader. Mieux a-t-il ajouté, « certains actes répréhensibles dans certaines régions du monde ne le sont pas dans d’autre pays ». « L’objectif général est, selon lui, de donner une petite once de moralité au business international et faire en sorte que certains comportements qui sont fortement répréhensibles ne passent plus ». Mais quoi qu’il en soit, lors d’une audience, l’entreprise devra toujours démonter son sérieux et « sa parfaite bonne foi ».
Les entreprises qui sont en dessous du seuil de la Loi Sapin II doivent-elles s’en exonérer ? Elles ont en tout cas intérêt à être vigilantes et à s’y intéresser de près, car un jour ou l’autre, leurs clients ou leurs partenaires pourraient bien leur demander d’être « conformes »…
François Pargny et Venice Affre
*Sur la photo de gauche à droite : Daniel Pinazo, Baptiste Pécriaux, Christine Gilguy, rédactrice en chef du Moci, Hervé Guyader.
**Ce guide est téléchargeable au lien suivant : https://transparency-france.org/wp-content/uploads/2017/06/guide-pratique-entreprises-loi-sapin2.pdf
Pour prolonger :
Forum Moci 2017 / Risques et opportunités : le commerce reprend, malgré le protectionnisme et la compliance
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