Tous les troisièmes jeudis de novembre, le beaujolais nouveau arrive. Tous les dix ans, les Incoterms arrivent. Ou plutôt, les règles Incoterms CCI 2010 sont arrivées, selon la terminologie appropriée. Que nous réserve cette cuvée ?
Selon les termes mêmes de Charles Debattista, qui présidait le groupe de travail pour la version 2000 des Incoterms et co-présidait, avec Christophe Martin Radtke, le groupe de travail pour la version 2010, celle-ci est « raisonnable et pas radicale ». L’idée majeure, qui semble sous-tendre cette révision, est de faciliter la bonne utilisation de cette boîte à outils. Par exemple, lorsque Charles Debattista précise que, pour utiliser une des quatre règles maritimes, il faut que « le point de départ et le point d’arrivée » soient des ports, sinon il est préférable d’utiliser une des sept autres règles. Pour cela, cette nouvelle version nous réserve quelques évolutions intéressantes, sur le fond et sur la forme.
I/ Les grands changements de fond
1/ Les évolutions générales
• On note l’apparition de la possibilité, pour toutes les règles, de transmettre les documents, des dossiers ou réaliser une procédure par voie numérique, que cela soit admis par les parties ou usuel.?C’est une avancée remarquable vers la dématérialisation des documents. Relevons que cette possibilité est, soit laissée à l’appréciation des acteurs (acheteur/vendeur), soit d’application automatique parce que passée dans les usages habituels.
• Nous voyons disparaître les « 4 familles » traditionnelles d’Incoterms, à savoir départ, transport principal non acquitté, transport principal acquitté et arrivée, dont l’utilité pratique n’est toujours pas apparue à bon nombre de praticiens, acheteur et vendeur, mais que certains théoriciens regretteront sans doute.
• Sans que ce soit une mise au ban, il y a une mesure d’ostracisme, héritière d’un « antimaritimisme primaire » : on assiste au regroupement des 4 règles Incoterms 2010 dédiées au transport par voies maritime et fluviale pour du fret non conteneurisé. FAS, FOB, CFR et CIF se retrouvent en queue de peloton, sans autre changement par rapport à leur version 2000, si l’on excepte la perte du bien connu et redouté bastingage au profit du pont. Cela signifie que les transferts de risque et de frais ne s’opéreront plus à la verticale de ce parapet du pont d’un navire, mais une fois la marchandise sur le pont dudit navire.
Incoterms pour tout mode de transport
EXW = Ex Works
FCA = Free Carrier
CPT = Carriage Paid To
CIP = Carriage And Insurance Paid To
DAT = Delivered At Terminal (remplace DEQ)
DAP = Delivered At Place (remplace DDU, DES, DAF)
DDP = Delivered Duty Paid
Incoterms applicables au transport maritime et fluvial
FAS = Free Alongside the Ship
FOB = Free on Board
CFR = Cost and Freight
CIF = Cost Insurance And Freight
2/ Les disparitions
• Le DAF n’est plus ! Que les anciens négociateurs d’accords franco-russes, puis franco-soviétiques, boivent un verre de vodka à sa santé. S’il avait été utile, voire très judicieux de l’inventer puis de le formaliser, il était depuis quelques décennies inutilisé ou, pire, mal utilisé. J’ai même vu une expédition routière en DAF passer en aérien, sans changer d’Incoterm.
• Autre disparition, le DES, très peu utilisé. Force était de constater que cette règle était source de nombreux problèmes, surtout lorsque le port de destination était un port congestionné où l’attente pouvait fréquemment durer plus d’une semaine. Qui ne se souvient de livraisons à Ho Chi Min Port ou Danang !
3/ Les (re) naissances
• Le DAT (Delivered At Terminal) : phénix des Incoterms 2010, le DEQ a opéré sa renaissance en DAT. En effet, le DAT, rendu au terminal, offre l’avantage de reprendre les caractéristiques du DEQ, pays de destination, marchandise déchargée. Il a le grand intérêt de rendre cette règle multimodale, donc utilisable quel que soit le mode de transport principal choisi par le vendeur.
• Le DAP (Delivered At Place) : il semble que la notion de « droits non acquittés » n’était pas suffisamment claire. La Chambre de commerce internationale (CCI) a été assaillie de questions concernant ces droits. De quels droits s’agissait-il ? Qui devait les payer ? Et à propos des taxes ? Parce que les « droits non acquittés » ont, depuis leur création, toujours nécessité des explications quant aux coûts précis que ces droits regroupaient, le DDU est remplacé par le DAP, plus facilement compréhensible parce que les marchandises sont livrées non dédouanées à l’importation.
4/ Extension au trafic intracommunautaire
Enfin, tant attendue parce que le reflet de ce qui se passe sur le terrain, l’extension clairement définie de l’usage des règles Incoterms 2010 au trafic domestique, national ou intracommunautaire. Dans un pays comme la France, une communauté comme l’Union européenne ou – bienvenue au club – les États-Unis, les règles Incoterms pourront enfin être utilisées sans que l’on passe pour un iconoclaste. Avec la règle EXW, cet usage est clairement exprimé.
Il est dommage que ce ne soit pas le cas avec le DDP. Car la situation est exactement inverse. : en EXW, le vendeur ne fait rien, l’acheteur fait tout y compris la douane à l’export. En DDP, l’acheteur ne fait rien, le vendeur fait tout, y compris la douane à l’import. Enfin, n’oublions pas l’utilisation possible de la règle EXW lorsque l’acheteur utilise un expressiste*, et la règle DDP lorsque c’est le vendeur qui utilise l’expressiste.
Bon à savoir
Qui charge ? Qui décharge ? Qui doit payer les frais de manutention au départ et, surtout, à l’arrivée ? Parce qu’il était fréquent que ces frais aient été payés par le vendeur et par l’acheteur, il était nécessaire que ce point soit clarifié. Les articles A4/B4 et A6/B6 déterminent précisément la répartition de ces frais entre l’acheteur et le vendeur à chaque fois que cela est utile. A4 en EXW, FCA, DAT, DAP, DDP, FAS et FOB, A6 b)/B6 c) en CPT, CIP, CFR et CIF.
II/ Les changements sur la forme
1/ Deux groupes clairement séparés
On reconnaît la présentation en deux groupes clairement séparés :
• le premier concerne l’ensemble des 7 règles Incoterms 2010 applicables quel que soit le mode de transport, y compris en maritime : EXW, FCA, CPT, CIP, DAT, DAP et DDP ;
• le deuxième concentre les 4 règles Incoterms 2010 dédiées au transport maritime et par voie fluviale : FAS, FOB, CFR et CIF.
2/ Du conseil
On voit également apparaître des notes-conseils au début de chaque règle qui présentent leurs principales caractéristiques.?En fait, la fonction existait dans la présentation de 2000, mais la version 2010 est plus pragmatique et se veut résolument tournée vers le conseil, le guidage tel qu’il est exprimé par l’anglais guidance.
3/ Un glossaire
L’introduction se termine par un glossaire qui permet de partager la terminologie, même si certains termes sont discutables dans la version française et même anglaise. Ainsi, l’anglais packaging est traduit par « emballage », ce qui ravira tout le monde, mais pas par « conditionnement », ce qui énervera les marchandiseurs qui voient dans le conditionnement le contenant immédiat du produit, rarement prévu pour que le produit soit transporté.
Enfin, l’emballage dans la définition de la CCI englobe également l’arrimage en conteneur ou dans un autre moyen de transport, définition un peu large mais le Syndicat de l’emballage industriel appréciera. Une amélioration nette, à défaut d’une révolution. Mais rien n’indiquait que la révolution était utile ou souhaitable.
Michel Abgrall-Lévy
*Spécialiste des livraisons express.
Quelques critiques de l’expert et du praticien
Point noir, la traduction française. Elle avait déjà souffert en 2000, cette cuvée est encore pire. Des manques, des copier-coller hasardeux, des contre-vérités, des méconnaissances flagrantes et difficilement compréhensibles. Quand, par exemple, le, ou les traducteurs français ignorent la différence entre sécurité et sûreté. Un stage de reconversion est à prévoir d’urgence !
Pour mémoire, la sûreté se rapporte à la protection des personnes, fret, installations et matériels contre les actes de malveillance volontaire et la sécurité relève du respect des règles d’exploitation des aéronefs et des installations par les personnels qui en ont la charge. Si l’on excepte cette (pas si) petite défaillance de la version française, cette version qui sera applicable le 1er janvier 2011 est la bienvenue en ce qu’elle devrait encore davantage faciliter la tache quotidienne des acteurs du commerce international.
M. A.-L.