L’exécutif européen a présenté, mercredi 16 septembre, ses propositions pour un mécanisme révisé de règlement des différends investisseurs/Etats, l’un des points les plus controversés des négociations de libre-échange en cours avec les Etats-Unis dans le cadre du TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership/ PTCI-Partenariat transatlantique de Commerce et d’investissement PTCI).
Le système d’arbitrage privé (ISDS/ Investor-State Dispute Settlement) défendu par les Américains dans l’actuel projet sur la table, compte de nombreux détracteurs au sein de l’Union européenne (UE). Motif ? Il risque de donner aux multinationales la possibilité de remettre en cause des politiques publiques lorsque celles-ci vont à l’encontre de leurs intérêts. « Nous avons pris en compte les critiques », a précisé Cecilia Malmström, la Commissaire européenne en charge du Commerce promettant « un système transparent ».
Exit donc l’ISDS, place à l’Investment Court System (ICS), composé d’un tribunal de première instance et d’une cour d’appel. Le premier comptera 15 juges indépendants – 5 Européens, 5 américains et 5 de pays tiers – la seconde six magistrats, nommés selon les mêmes critères (2 Européens, 2 américains et 2 de pays tiers). Si la proposition entre en vigueur, le traité de partenariat transatlantique deviendrait le premier accord de libre-échange à intégrer un mécanisme d’appel pour les décisions du tribunal d’arbitrage.
Autre nouveauté : trois des quinze juges seront tirés au sort lors de chaque nouvelle affaire et non pas choisis par les parties. Une façon bien sûr de garantir une plus grande transparence et d’éviter les arrangements entre les arbitres et les parties concernées. Enfin, pour éviter que des multinationales puissent contester des politiques nationales, « le droit des gouvernements à réglementer sera inscrit et garanti dans les dispositions des accords de libre-échange », a promis l’exécutif européen.
A terme, la Commission souhaite aussi créer une cour de justice internationale pour régler ce type de différends. Elle serait amenée à trancher, non pas seulement dans le cadre du TTIP, mais aussi pour des accords en cours de négociation, notamment avec la Chine. Concernant le pacte de libre-échange conclu en 2014 avec le Canada (CETA), l’équipe de Malmström est restée ferme : pas question de rouvrir les pourparlers et de remettre en cause le mécanisme « ISDS amélioré », inclut dans l’accord.
Des réactions contrastées au sein de l’UE
« Il est désormais clair que le mécanisme d’arbitrage investisseur-Etat a vécu. L’invention au niveau européen d’un mécanisme totalement neuf et respectueux des choix démocratiques est en marche », s’est félicité le Français Matthias Fekl, par voie de communiqué. Le secrétaire d’Etat français au Commerce extérieur s’est également réjoui que la Commission ait repris à son compte une série de propositions françaises. « La France a fait bouger les lignes en Europe. Chacun peut mesurer le chemin parcouru depuis un an ».
Soutenue par les socialistes et Démocrates, l’initiative de l’exécutif européen a également été saluée par l’ensemble des groupes politiques à droite de l’hémicycle au Parlement européen (PE). « Nous ouvrons un nouveau chapitre dans la politique de protection des investissements », a commenté Daniel Caspary (PPE, Allemagne), membre de la commission du Commerce international (INTA) au PE.
Parmi les plus fervents opposants au système ISDS, depuis le lancement des négociations de libre-échange avec les Etats Unis, les Verts ont quant à eux dénoncé une initiative qui vise « à repeindre la façade mais qui ne résout rien ». Pour Yannick Jadot (Verts, France), vice-président de la commission INTA : « l’ISDS devenu l’ICS demeure un système juridique parallèle aux juridictions nationales, offrant la possibilité aux entreprises de les contourner. Les arbitres ne sont toujours pas des juges publics et les conflits d’intérêts ne sont pas réglés puisque les arbitres continueront de provenir de sociétés d’avocats d’affaires strictement intéressées par un système très lucratif ».
Très attentif, eux aussi, à l’évolution du dossier, les patrons européens se sont montrés prudents. Favorable à un système « équilibré qui protège les droits des investisseurs tout en répondant aux préoccupations légitimes de l’opinion publique », Markus Beyrer, directeur général de Business Europe, estime néanmoins qu’il faut rester vigilant. « Introduire trop de conditions peut réduire l’ampleur de la protection et rendre le système ingérable dans la pratique », a souligné le patron des patrons européens.
Si les réactions sont à ce stade plutôt positives, reste à savoir comment elles seront accueillies de l’autre côté de l’Atlantique. Cecilia Malmström a indiqué qu’elle discuterait d’abord avec les parlements nationaux et les législateurs européens avant d’inclure à nouveau ce volet dans les négociations avec Washington. Mais elle doit rencontrer le 22 septembre son homologue américain, Michael Froman, représentant du commerce aux Etats-Unis (USTR).
Kattalin Landaburu à Bruxelles
Pour prolonger :
–TTIP/ISDS : les pistes de Cecilia Malmström pour éteindre l’incendie de la clause d’arbitrage Investisseurs/États
–TTIP : la clause ISDS rejetée par six commissions parlementaires, dont celle des affaires juridiques
–UE-Etats-Unis : rejet massif de la clause ISDS du projet de partenariat transatlantique TTIP