« Les tarifs américains représentent un risque mineur sur le plan économique mais majeur sur le plan politique » : ce titre d’une note d’analyse publiée par Oxford Economics dès le 17 mai* résume bien le choc que provoque la décision de la Maison blanche d’imposer le 1er juin, au nom de la sauvegarde de la sécurité national (section 232 du Trade Expansion Act de 1962), des droits de douanes de 25 % sur l’acier et de 10 % sur l’aluminium à ses principaux partenaires et alliés commerciaux que sont l’Union européenne, le Canada et le Mexique. Le risque d’une escalade et donc d’une guerre commerciale n’a jamais été aussi proche tant la riposte a été immédiate, quoique pour le moment proportionnée.
Pour l’Union européenne, dont la valeur des exportations concernées est de l’ordre de 6,7 milliards d’euros en 2017, cela représente à peine 0,1 % du total des exportations de la zone (et entre 0,2 et 0,3 % des exportations des pays les plus exposés comme l’Allemagne), observe Oxford Economics. Sur le plan économique, la vraie crainte pour la sidérurgie européenne provient plutôt du risque d’afflux de produits à prix cassés suite à la fermeture du marché américain. Un risque pris très au sérieux puisque pressé par les industriels européens, la Commission européenne, qui a tenté en vain de convaincre la Maison Blanche que l’origine des surcapacités mondiales n’était pas européenne, avait lancé dès le 26 mars une enquête en vue de l’adoption éventuelle de mesures de sauvegarde sur l’acier et mis en place un système de surveillance des importations d’aluminium.
« Aujourd’hui est un jour sombre pour le commerce mondial »
Les pires dégâts causés par la décision américaine, dont les objectifs relèvent de la politique intérieure à 5 mois des élections de mi-mandat, seront sur le climat des relations transatlantiques, déjà passablement dégradées par la diplomatie chaotique du président Donald Trump. Sa décision unilatérale de se retirer de l’accord sur le nucléaire iranien et de rétablir les sanctions américaines levées en 2015 avait déjà jeté un très sérieux coup de froid dans les rangs de ses alliés le 8 mai. Celle sur l’acier et l’aluminium, à laquelle on s’attendait depuis quelques jours*, est intervenue après plusieurs semaines de discussions avec ses alliés pour trouver un accord. « Aujourd’hui est un jour sombre pour le commerce mondial. Nous avons tout fait pour éviter ce résultat » a lâché Cecilia Malmström, commissaire au Commerce.
Signe que les partenaires des Etats-Unis ont abandonné tout espoir d’obtenir quoique ce soit de l’administration Trump sur ce dossier à ce stade, ils ont tous enclenché un arsenal de contre-mesures tarifaires : le Canada, premier fournisseur extérieur d’acier et d’aluminium des Etats-Unis a annoncé l’instauration de droits de douane sur quelque 12,8 milliards de dollars américains (11 milliards d’euros) de biens importés des Etats-Unis et le Mexique, sont deuxième fournisseurs d’acier, des droits « équivalents » sur les produits sidérurgiques et agricoles américains.
« Il s’agit de protectionnisme pur et simple »
La réaction des Européens a été tout aussi immédiate, avec l’annonce de la mise en œuvre d’un plan de riposte annoncé depuis plusieurs semaines. Le ton ne laisse aucun doute sur le fait que la diplomatie économique n’est désormais plus de mise à Bruxelles.
«L’UE estime que ces droits de douane unilatéraux américains sont injustifiés et contraires aux règles de l’Organisation mondiale du commerce, a réagi Jean-Claude Junker, le président de la Commission européenne, dès le 31 mai. Il s’agit de protectionnisme pur et simple » a-t-il lancé, résumant une position largement partagée au sein des Etats membres. Aujourd’hui, les États-Unis ne nous laissent donc pas d’autre choix que de procéder à un règlement des différends devant l’OMC et d’instituer des droits de douane supplémentaires sur un certain nombre de produits originaires des États-Unis. Nous veillerons à défendre les intérêts de l’Union, en respectant pleinement le droit international du commerce.»
Même son de cloche dans les Etats membres : le président français, Emmanuel Macron, a qualifié la mesure d’ « illégale », considérant que c’était une « erreur ». « Cette décision unilatérale est mauvaise et, à mon avis, bafoue la législation internationale » a déclaré pour sa part le ministre allemand des Finances, Olaf Scholz.
Dans un communiqué commun inhabituel publié dans la soirée du 31 mai, les ministres français Jean-Yves Le Drian (Europe et affaires étrangères) et Bruno Lemaire (Economie et finances) et allemand Peter Altmaier (Economie et énergie) ont emboité le pas à la Commission européenne, assurant que nous «prendrons toutes les mesures appropriées pour répondre aux décisions américaines» et assurant que « la France et l’Allemagne continueront de travailler de façon étroite et coordonnée sur le sujet ».
« Procédure à l’OMC et mesures de rééquilibrage »
La riposte européenne va être enclenchée dès aujourd’hui. « Maintenant que les choses sont claires, la réaction de l’UE sera proportionnée et conforme aux règles de l’OMC, a précisé Cecilia Malmström. Nous allons déclencher une procédure de règlement des différends au sein de l’OMC, car ces mesures américaines vont clairement à l’encontre des règles internationales convenues. Nous imposerons également des mesures de rééquilibrage et prendrons toutes les mesures nécessaires pour protéger le marché de l’Union d’une réorientation des échanges provoquée par ces restrictions américaines.»
Les mesures de rééquilibrage sont une allusion à la liste de produits ciblées dite « moto-bourbons » sur lesquels seront instaurés des droits de douane, qui comprend quelque 300 produits américains importés, allant des jus d’orange aux motos Harley-Davidson en passant par les jeans… Pour l’entrée en vigueur, la date du 21 juin est la plus fréquemment avancée. A Paris, Bruno Lemaire, a fait savoir qu’une réunion au sommet se tiendrait dès le 4 juin avec les industriels concernés pour « examiner avec l’ensemble de nos partenaires européens quel est l’état de la situation, quelles sont les conséquences au-delà de la France qui peuvent en résulter pour tous les pays européens et quelles sont les mesures qui pourraient être prises ».
Mais ce branle-bas de combat ne semble pas pour le moment ébranler l’administration américaine, qui reste également insensibles aux critiques des élus républicains qui ont dénoncé cette stratégie du rapport de force. « Nous sommes impatients de poursuivre les négociations, d’une part avec le Canada et le Mexique, d’autre part avec la Commission européenne, car il y a d’autres questions qui doivent être réglées », a déclaré en toute sérénité Wilbur Ross, le secrétaire d’Etat américain au Commerce, en visite à Paris le 31 mai, lors d’une conférence téléphonique avec des journalistes. Pas sûr que cette fois-ci, il fasse l’économie d’une escalade tant redoutée …
Christine Gilguy
* Cette note en anglais est dans le document Pdf attaché à cet article.
**UE / Etats-Unis : les Européens se préparent à un échec des négociations sur l’acier et l’aluminium