Le Japon a été victime d’une catastrophe naturelle causant une « crise nucléaire » rappelant tragiquement la catastrophe de Tchernobyl. Au-delà de l’émotion suscitée par ces événements, les importateurs, distributeurs et consommateurs s’inquiètent légitimement de l’éventuelle contamination des produits locaux par la radioactivité. Quelles sont les mesures prises par les gouvernements pour assurer la sécurité des produits et leur nature juridique ? Quelles sont les mesures contractuelles à mettre en place par les importateurs permettant de limiter l’engagement de leur responsabilité ?
L’importateur (1) est tenu de vérifier que les produits commercialisés sur le marché français sont conformes aux prescriptions en vigueur relatives à la sécurité et à la santé des personnes, et doit pouvoir justifier auprès des agents habilités des vérifications et contrôles effectués (art. L. 212-1 C. Consommation).
L’importateur sera dès lors responsable en cas d’introduction sur le territoire de produits qui seraient contaminés par la radioactivité. À cet effet, il doit prendre toutes les mesures nécessaires afin de gérer ce risque.
Le 11 mars 2011, un tremblement de terre suivi d’un tsunami d’une intensité sans précédent endommage la centrale nucléaire de Fukushima, au Japon.
Compte tenu de la gravité de la catastrophe, le législateur communautaire est intervenu en urgence dans le secteur alimentaire, laissant les autres produits sous le régime de droit commun dont nous rappellerons les principes.
I/ Les mesures prises en matière alimentaire
Comme elle l’avait fait pour l’importation des produits agricoles à la suite de la catastrophe de Tchernobyl, la Commission européenne a adopté un Règlement le 25 mars 2011, modifié par un règlement du 11 avril, imposant jusqu’en juin 2011 des conditions particulières à l’importation de denrées alimentaires et d’aliments pour animaux originaires du Japon.
Ces dispositions prévoyaient des contrôles au Japon au moment de l’exportation et à l’importation dans les États membres. Différents niveaux de contrôle avaient été définis, selon la proximité géographique de la zone d’origine des marchandises avec la centrale de Fukushima. Pour assurer une sécurité maximale des consommateurs, les autorités françaises, par un communiqué commun associant les directions de la consommation, des douanes et de l’alimentation ont en outre décidé de maintenir un taux de contrôle de 100 % sur toutes les denrées alimentaires d’origine animale produites après le 11 mars et les produits frais en provenance du Japon.
II/ Les autres produits importés
Les industriels, notamment dans le secteur automobile, s’inquiètent que des composants fabriqués au Japon soient contaminés par la radioactivité et exigent de leurs fournisseurs de prendre toutes les dispositions nécessaires.
Ce risque ne semble pas hypothétique puisque des « voitures japonaises radioactives » ont fait l’objet d’une saisie à la douane russe au début du mois d’avril. Ces véhicules ont été considérés comme contaminés avec des niveaux dépassant de deux à six fois la norme et isolés dans l’attente d’une décision des autorités sanitaires.
En France, s’agissant des importations de produits japonais non alimentaires et transportés par voie aérienne, la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) a émis des recommandations auprès des compagnies aériennes leur imposant de contrôler leur cargaison. Les compagnies se voient imposer de mener un contrôle par palette avec des compteurs Geiger utilisés habituellement pour le fret radioactif réglementé (Règlement 3954/87 du Conseil fixant les niveaux maximaux admissibles après un accident nucléaire).
Selon ces recommandations, toutes les palettes sont vérifiées et tracées après conditionnement. Ce contrôle consiste à réaliser une mesure directement sur les conteneurs, soit avant chargement, soit après déchargement. Si le contrôle a lieu au départ, le fret au résultat négatif est tracé et considéré comme du fret normal à l’arrivée. Sinon, le contrôle s’effectue à l’arrivée après déchargement dans un hangar dédié.
Si la palette contient une teneur radioactive trop importante par rapport aux normes définies, elle est isolée et traitée selon un processus spécifique défini par la sécurité civile en lien avec l’Autorité de sûreté nucléaire et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire.
S’agissant du contrôle du fret maritime, un contrôle par échantillonnage des conteneurs maritimes est également en place depuis le 20 avril par les agents des douanes sur les ports du Havre et de Marseille.
III/ Responsabilité et mise sur le marché
1/ Le blocage d’une marchandise contaminée
La question se pose de savoir sur qui pèse le risque de la marchandise contaminée devenue inutilisable et bloquée en douane.
Le moment du transfert des risques est souvent envisagé dans le contrat conclu entre les parties. À défaut, dans les relations internationales, le transfert des risques est considéré comme ayant lieu au moment où l’acheteur retire les marchandises ou à partir de la remise des marchandises au premier transporteur pour transmission à l’acheteur (convention de Vienne de 1980 sur la vente internationale des marchandises).
L’un des outils dont disposent les importateurs pour se prémunir contre les conséquences d’un blocage en douane de marchandises est dès lors de prévoir un Incoterm (règle définissant les responsabilités et les obligations d’un vendeur et d’un acheteur, éditée par l’International Chamber of Commerce) qui leur est favorable, prévoyant à tout le moins le dédouanement export (l’Incoterm EXW – Ex-Works, sortie d’usine – est dès lors à proscrire), voire allant jusqu’au dédouanement import (l’Incoterm DDP – Delivered Duty Paid, rendu droits acquittés – est dès lors le plus protecteur).
Ainsi, en cas de blocage en douane pour contamination radioactive, la marchandise serait considérée comme non livrée et l’importateur n’aurait pas à payer le prix des marchandises.
Si un blocage en douane intervient alors même que le transfert de propriété de la marchandise a déjà été effectué, l’acheteur ne sera pas démuni de recours contre le vendeur, mais il devra demander la nullité de la vente pour non-conformité ou vices cachés, et, dans l’attente de l’annulation de la vente, pourra être contraint de payer le prix de la marchandise.
En tout état de cause, il convient d’aménager les contrats ou de vérifier les contrats afin de s’assurer que les conséquences d’un blocage en douane sont encadrées, notamment les pénalités de retard dans la chaîne de distribution.
2/ La mise sur le marché d’une marchandise contaminée
En cas d’importation de produits radioactifs, la sécurité et la santé des salariés des entreprises intervenant dans la chaîne de distribution jusqu’à la mise à la consommation, ainsi que celles des consommateurs peuvent être affectées. Toutes les mesures de précaution doivent être prises. À défaut, l’importateur pourrait voir sa responsabilité civile et/ou pénale engagée, notamment au titre des infractions de mise en danger délibéré d’autrui (article 223-1 du Code pénal), d’atteinte involontaire à l’intégrité de la personne (article 222-19) et d’homicide involontaire en cas de décès de la victime (article 221-6). Les personnes morales encourent à ce titre une amende pouvant aller jusqu’à 375 000 euros pour une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence, ainsi que des peines complémentaires telles que la fermeture définitive.
L’importateur pourra tenter de s’exonérer de sa responsabilité du fait d’un manquement des transporteurs, du fait des obligations précitées qui sont mises à leur charge. Il devra néanmoins s’assurer auprès de ses fournisseurs que l’ensemble des contrôles ont été faits régulièrement et d’en demander la preuve.
Crise sanitaire, éruption volcanique, séisme, radioactivité, chaque catastrophe rappelle que l’aménagement contractuel de ces événements reste l’instrument de bonne gestion des risques permettant d’anticiper les conséquences d’un tel événement.
Ainsi, les entreprises doivent être vigilantes dans la rédaction de leurs contrats afin de se prémunir efficacement contre les risques qu’elles ont expérimentés à travers ces expériences.
Matthieu Dary, avocat, Fidal et Thierry Titone, avocat associé, Fidal
1) Défini comme toute personne physique ou morale établie dans l’Union européenne qui est responsable de
l’introduction du produit sur le territoire douanier de l’Union.