Le scandale du
« chevalgate » a mis en lumière un grave problème de traçabilité et
de contrôle des trafics de marchandises –en l’occurrence des produits
alimentaires- dans l’Union européenne. Un problème qui se pose bien au-delà de
ce que l’on peut imaginer. Lemoci.com vous fait partager, dans le texte qui suit, le point de vue de deux experts de la
société Conex, société française spécialisée dans la dématérialisation des procédures
douanières, également éditrice d’une encyclopédie douanière numérique.…
Il y a déjà vingt ans, l’Union européenne décidait d’ouvrir ses frontières intérieures pour faciliter les flux de marchandises entre ses états membres. De ce fait, depuis 1993, les contrôles vétérinaires effectués jusqu’alors au passage des frontières intérieures de l’UE ont été supprimés, tout comme les déclarations douanières qui reprenaient le code douanier de la marchandise. Ces déclarations ont alors été remplacées par une Déclaration d’échanges de biens, tenue chaque mois à des fins purement statistiques. On mesure aujourd’hui à l’occasion de l’affaire
du « Chevalgate » les conséquences directes de la facilitation des échanges
intracommunautaires au plan sanitaire. Faute de contrôles systématiques, un
certain laxisme s’installe qui autorise les acteurs du commerce à prendre
certaines libertés avec les règlements.
Un parallèle avec la mise en place de la réglementation ICS (Import control system)
Si l’on fait un parallèle de cette affaire avec
la mise en œuvre, depuis 2011, de la nouvelle réglementation douanière ICS (Import control system) à vocation sécuritaire et
applicable aux marchandises pénétrant sur le sol communautaire en provenance
des pays extérieurs à l’Union, on mesure toute l’importance de faire respecter
scrupuleusement le dispositif prévu par les textes afin d’éviter de connaître
un «Chevalgate» international.
Or Conex, spécialiste de la dématérialisation des
données douanières et sécuritaires en Europe, présent dans 21 des 27 Etats de
l’UE, fait un constat alarmant. Les données inscrites dans les messages de
déclaration d’entrée sur le territoire européen, ne respectent pas les
obligations du code des douanes : la plupart du temps la désignation de la
marchandise est partielle, voire erronée, et la désignation des acteurs de la
chaine est tronquée. Qui s’étonnera alors qu’un « chevalgate » ou autre
transgression des règles d’un commerce « fiable » n’ait pas éclaté plus tôt au
plan international et que nous réserve l’avenir ?
Bien que
juridiquement transposée, l’application de l’amendement « sûreté-sécurité » du
code des douanes communautaire est défaillante dans les faits
L’UE a développé un corpus de
règles destinées à renforcer la sécurité des marchandises entrant sur le
territoire douanier de la Communauté. Cependant, l’entrée en vigueur
juridique des textes au 1er janvier 2011 n’a pas été suivie d’une mise en œuvre
effective sur le terrain. L’affaire du Chevalgate Findus, bien qu’européenne,
soulève des questions de sécurité transposables à l’ICS.
Les règlements (CE) n° 648/2005 et 1875/2006 dits
« amendement sûreté » modifiant le code des douanes communautaire constituent
la première mesure douanière prise en matière de sûreté/sécurité. Les
obligations liées au projet ICS (Import Control System)
sont entrées en vigueur au 1er janvier 2011. Depuis cette date, les opérateurs
ont l’obligation de transmettre aux services douaniers des déclarations
sommaires d’entrée (ENS), contenant des données
logistiques et commerciales, permettant une analyse de risque et un ciblage des
contrôles.
Or, deux ans après l’entrée en vigueur des
nouvelles dispositions, l’expérience montre que les messages ENS
ne sont toujours pas conformes aux dispositions définies par le code des
douanes communautaires, empêchant dans les faits, un contrôle des risques
efficace. Conex est présente dans 21 des 27 Etats de l’UE. Partout le constat
est le même : les données inscrites dans les messages ENS
ne respectent pas les obligations du code des douanes. La plupart du temps la
désignation de la marchandise est partielle, voire erronée.
De plus, il est impossible de vérifier qui est
l’expéditeur, le destinataire, le propriétaire de la marchandise, faute de
données fiables. Ainsi, souvent, dans les cases dédiées aux expéditeurs ou
destinataires, se trouvent régulièrement des noms de transitaires qui ne sont
pas les opérateurs vraiment concernés par le message envoyé. Cependant, pour
simplifier les démarches (et en l’absence de sanction), le nom du transitaire
est utilisé à la place du véritable exportateur/importateur de la marchandise.
Cette réalité pose un enjeu de sécurité.
Ainsi, alors que tout est mis en place pour que
le système de gestion commune des risques dans l’Union européenne fonctionne,
faute de données fiables, l’objectif même de sécurité est remis en question
puisque les autorités douanières n’ont pas les éléments leur permettant
efficacement de réaliser une analyse de risque sûreté/sécurité utilisant ces
procédés informatiques.
Comment dans ces conditions assurer la
réalité du système harmonisé de gestion des risques mis en place par les
institutions européennes ?
Chevalgate Findus
: un cas d’école
« Ce code à huit chiffres, 02050080,
correspondrait à une norme internationale pour de la viande de cheval surgelée.
» Ces mentions jugées « inhabituelles » dont il est question dans
l’affaire Findus correspondent en fait au code douanier de la viande de
cheval congelée (Ndlr : ce paragraphe fait référence à un article de presse paru le 14 février (1)).
Cette méconnaissance est le reflet d’un symptôme plus grave :
la mauvaise application de l’amendement “sûreté-sécurité” du code des douanes
communautaires. Les dispositions imposent aux opérateurs de se conformer
à un ensemble de règles et de procédures permettant aux autorités douanières un
contrôle efficace. Cependant, faute de sanction, de pénalité financière
ou juridique en cas de non-respect des règles, les opérateurs économiques ne
sont pas incités à appliquer correctement l’ICS,
empêchant le système de produire les effets attendus.
Aussi, en l’absence de mise en œuvre des
règles adoptées, les partenaires de l’UE avec lesquels elle mène actuellement
des négociations pour faire reconnaître ses dispositifs, pourraient
légitimement faire obstruction et remettre en cause la capacité de l’UE à être
un partenaire fiable dans la sécurisation des flux de marchandises au niveau
international.
Pour Conex, il est indispensable – pour
garantir la sécurité et la sûreté – que les autorités douanières contrôlent
réellement la qualité des données et rejettent systématiquement les messages
partiels. Ainsi, les opérateurs économiques seront incités à se
conformer aux règles fixées. Les opérateurs économiques doivent aussi être
mieux sensibilisés afin de bien comprendre l’utilité de ces nouveaux messages
et l’importance de leur qualité afin de ne pas voir ces règles comme
une contrainte supplémentaire dont ils s’affranchissent faute de sanction. Un
système d’amende pour non-respect des règles pourrait également assurer un
meilleur respect des obligations par les opérateurs économiques.
Irina Movileanu,
International development manager
et Alban Gruson,
P-dg de Conex
(1) NDLR : Il s’agit d’une phrase extraite d’un article paru sur le
site d’information www.challenges.fr le 14 février intitulé : « Scandale de la
viande de cheval : Spanghero principal coupable ? ». Le paragraphe complet indique : « Concernant les factures du fournisseur, reçues
plusieurs jours après chaque livraison, Spanghero explique qu’elles
comprenaient des mentions inhabituelles, notamment huit chiffres « qui ne
figurent usuellement pas sur les factures ». Ce code à huit chiffres, 0205
0080, correspondrait à une norme internationale pour de la viande de cheval
surgelée…»
Pour prolonger :
Lire également sur notre site : Boeuf ou cheval ? Et si vous en parliez à « Rita » ?