Le drame du 24 avril, marqué par l’effondrement à Savar, une bourgade près de Dacca, d’un bâtiment qui abritait des ateliers de confection et qui a fait quelque 411 morts (dernier décompte du 30 avril), n’a pas fini d’éclairer sous un jour très sombre les conditions dans lesquelles certaines filières d’approvisionnement du textile-habillement basées sur le « low cost » continuent à prospérer.
Elle éclabousse au passage l’image des grands donneurs d’ordre, enseignes de distribution ou marques, qui ont contribué à les bâtir (dans le cas d’espèce, des vêtements ou bons de commandes émanant du Canadien Loblaw, des Américains Walmart et Gap, du Néerlandais H&M, des Espagnols Mango et El Corte Ingles, de l’Italien Benetton… ont été retrouvés dans les décombres). D’autant qu’il s’agit de la troisième catastrophe de ce genre en cinq mois dans ce pays – après deux gros incendies meurtriers dans d’autres ateliers textiles – devenu le deuxième exportateur mondial de textile-habillement, juste derrière la Chine.
Cette affaire et l’onde de choc qu’elle provoque sont-elles susceptibles d’entraîner une modification en profondeur des règles de fonctionnement de ces filières bâtie sur un sourcing qui, malgré les dénégations des donneurs d’ordre, repose uniquement sur le plus bas-prix quels qu’en soient les coûts humains ? Deux faits montrent en tout cas que les ouvriers de ces ateliers, payés environ 38 euros par mois, auront payé de leur vie le fait de provoquer des décisions que l’on pensait aller de soi depuis les scandales qui ont éclaboussé, il y a quelques années, de grandes marques de chaussures ou d’ordinateurs pour les conditions de travail des ouvriers de leurs sous-traitants en Asie !
Premier coup de semonce : la réaction des autorités européennes, l’UE étant le premier débouché commercial du Bangladesh.
Le 30 avril, 6 jours après cette catastrophe, dans un communiqué conjoint, la haute représentante pour les Affaires étrangères Katherine Ashton et le Commissaire au commerce Karel de Gucht ont menacé les autorités du Bangladesh de remettre en question les avantages douaniers dont bénéficie ce pays dans le cadre du système de préférences généralisées et du programme « tout sauf les armes » si elles ne s’assuraient pas que les usines sur leurs territoires respectent les normes de l’Organisation internationale du travail (OIT). Les préférences dont bénéficie ce pays lui permette d’avoir un accès illimité (sans droits de douane, sans quotas) pour ses produits textiles.
Deuxième coup de semonce : la réaction des donneurs d’ordre eux-mêmes.
Il ne s’agit pas du fait que certains d’entre eux – le Canadien Loblaw et l’Espagnol El Corte Inglès – ont proposé d’indemniser les familles des victimes. Il s’agit surtout de constater qu’ils prennent enfin au sérieux leurs responsabilités dans ces filières, préservation de leur image de marque oblige. Et les Allemands sembles être leader dans la démarche.
Ainsi, le 28 avril, trois géants de la distribution et du prêt-à-porter – Gap, Walmart et H&M – ont participé près de Francfort à une rencontre avec une trentaine de détaillants, des syndicats de travailleurs, des ONG au siège de GIZ (Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit GmbH), une structure fédérale allemande chargée de conseiller le gouvernement allemand dans le domaine du développement durable et d’élaborer des solutions clés en main. D’après un article du site d’information en ligne du Wall Street Journal, cette réunion visait à mettre sur pied un plan d’action pour éviter que de telles catastrophes se reproduisent , avec, à l’étude, un programme pour améliorer les infrastructures industrielles du Bangladesh et leur contrôle.
Un vrai tournant dans les pratiques de sourcing des filières textile-habillement ? L’avenir le dira.
Christine Gilguy