L’Accord commercial anti-contrefaçon* (ACAC en français ou en anglais ACTA pour Anti-Counterfeiting Trade Agreement), qui vise à protéger les droits de propriété intellectuelle (DPI) vis-à-vis de la contrefaçon classique (vêtements, médicaments etc…) et de la contrefaçon numérique (téléchargement illégal par exemple), sur la base de normes internationales harmonisées, a été signé fin janvier au Japon par l’Union européenne (UE) et 22 de ses membres. Il est maintenant entre les mains du Parlement européen : sans son aval, l’accord ne peut entrer en vigueur dans l’Union européenne (UE).
Or ce traité anti-contrefaçon est l’objet de fortes controverses depuis qu’il a été proposé. Les opposants au projet pensent notamment qu’il favorisera les grandes entreprises au détriment des droits des citoyens et qu’il menace les libertés publiques. D’ailleurs, une pétition de 2,5 millions de signataires appelant les députés européens à « défendre un Internet libre et ouvert » est en cours d’analyse par le Parlement. A cela s’ajoute la saisine par la Commission européenne de la Cour européenne de justice le 22 février, afin de vérifier si l’ACTA est compatible avec les droits fondamentaux de l’UE.
Les articles controversés
En pratique, ACTA concerne tous les biens contrefaits, notamment la violation des droits d’auteur sur Internet. Et c’est là que le bât blesse. Beaucoup critiquent le fait que ce traité utilise un vocabulaire vague et flou, laissant une large marge de manœuvre aux Etats signataires qui l’appliqueront. Et qu’il ait été négocié « en dehors de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et à huis clos, provoquant une forte suspicion », comme l’indique le blog des droits européens Eu-logos.org.
« Des Etats créent cette machine qui décide de ce qui est du ressort de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) et de l’OMC. Ils contournent les institutions internationales pour instaurer une vision répressive, » témoigne Jérémie Zimmermann, cofondateur et porte-parole de La Quadrature du Net, organisation de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet. Pour lui, le problème de base est la gouvernance démocratique. Ce qu’il considère d’autant plus grave que cet accord commercial contient des sanctions pénales. Notamment l’article 9 stipulant que les autorités judiciaires « seront habilitées à ordonner au contrevenant de verser au détenteur du droit des dommages-intérêts adéquats en réparation du dommage que celui-ci a subi du fait de l’atteinte portée à son droit de propriété ». Et le calcul du préjudice sera laissé au libre-arbitre de l’industriel, « comme si un ado qui a téléchargé des films en aurait acheté autant », s’indigne Jérémie Zimmermann.
Autre article dénoncé, le 27, qui induit une coopération entre les fournisseurs d’accès Internet (FAI) et l’industrie du copyright pour « prévenir les infractions futures ». Les FAI auront l’obligation de fournir l’identité du propriétaire d’une adresse IP, sans mandat judiciaire, aux organismes de défense des ayants-droit. « On sort du judiciaire au profit de mesures répressives. Les entreprises vont gérer cela entre elles et privatiser la justice. Les citoyens se retrouvent à la merci des industries du divertissement, qui ne vont pas se soucier du respect des libertés fondamentales, ce n’est pas leur métier ! », analyse le porte-parole de l’association.
« Et à quoi sert ce rapport sans la participation de la Chine, de l’Inde, de la Russie et du Brésil ? » interroge-t-il.
Pour d’autres, le débat n’a pas lieu d’être. Clarisse Le Salver (expert du MOCI Club), conseillère en propriété intellectuelle, critique le fait « qu’on ne parle que de la partie sur les questions de téléchargement sur Internet (films et musique notamment), alors que les ¾ du traité concernent la contrefaçon. Le débat n’est plus juridique mais idéologique. L’appropriation d’un bien immatériel demeure illégitime ! » D’après Jean-Christophe Hamann (expert du MOCI Club), avocat associé chez Schmit-Chrétien, ces articles ne font que reprendre sous une forme synthétique des dispositions déjà présentes dans le code de la propriété intellectuelle français. « En cas d’atteinte à la propriété intellectuelle, donc de contrefaçon, on risque trois ans d’emprisonnement, la confiscation de ses biens, ce n’est pas nouveau ! Et même dans le numérique ! Une personne qui télécharge un film porte atteinte aux droits d’auteur. Les gens ne comprennent pas, car ils assimilent la contrefaçon aux pratiques mafieuses. » Même si, reconnaît-il, ce genre de piratage est moins grave que de faire de faux médicaments. Et la remontée des filières est déjà prévue dans le code français, avec révélation de l’identité du contrefacteur. « Ce qui me semble nouveau est l’implication des fournisseurs d’accès, même s’il s’en tirent à bon compte au niveau de leur responsabilité… »
Une décision entre les mains du Parlement européen
Le pouvoir de décision incombe désormais au Parlement européen. L’institution résume bien les enjeux qui mettent le feu aux poudres. « Les opposants craignent que cet accord ne favorise les intérêts des multinationales, au détriment des droits fondamentaux des citoyens européens. Ils ont ensuite peur que l’application d’ACTA sur Internet ne constitue une menace à la vie privée et aux droits de l’homme. Enfin, les négociations ont été fortement critiquées pour leur manque de transparence : les représentants de la société civile et des pays émergents n’ont jamais été invités à la table des discussions. »
Déjà en mars 2010, le Parlement avait déploré l’absence de transparence des négociations et « le choix délibéré des parties de ne pas négocier au travers d’instances internationales bien établies telles que l’OMPI et l’OMC. » En effet, le contenu du traité ACTA et les négociations sont restées confidentielles entre 2007 et 2010 et le texte n’a été rendu public qu’en 2010, de quoi susciter une certaine méfiance. « Mais ce n’est qu’un accord cadre, que les Etats appliqueront ensuite comme ils veulent et là cela se précisera », argue Clarisse Le Salver. Le bon côté selon elle, vient de « l’ouverture de cette porte » et de l’instauration de la coopération douanière au niveau mondial afin de lutter contre la contrefaçon. « Derrière les montres et dvd contrefaits se cachent des réseaux mafieux surpuissants et de l’argent sale. C’est normal de vouloir coopérer au niveau mondial pour éradiquer ces filières mafieuses. »
Et de relativiser : « il y a une telle culture de la liberté individuelle en France que je ne pense pas que ce sera Big Brother. Les dispositifs législatifs sont déjà là ! A la base il y a un droit de propriété intellectuelle à ne pas spolier. Je ne comprends pas le rapport avec les libertés individuelles, c’est idéologique ». Le commissaire européen au Commerce, Karel De Gucht, a pour sa part tenu à rassurer : « aucune action punitive n’est possible en l’absence d’action à une échelle commerciale. (…) Les personnes qui sont derrière des sites comme Megaupload ou qui en tirent profit sont légalement visées, et non les dizaines de milliers de ses utilisateurs », a-t-il souligné. Reste maintenant à attendre la décision du Parlement prévue d’ici le mois de juin.
Alix Cauchoix
*Accord commercial négocié entre l’Union européenne, ses Etats membres, l’Australie, le Canada, la république de Corée, les Etats-Unis, le Japon, le Maroc, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, Singapour et la Suisse.
Pour en savoir plus :
Lire le rapport complet : http://register.consilium.europa.eu/pdf/fr/11/st12/st12196.fr11.pdf
http://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/content/20120220FCS38611/html/Tout-ce-que-vous-devez-savoir-sur-l’accord-ACTA
http://www.laquadrature.net/fr/ACTA
http://europe-liberte-securite-justice.org/