Cette question peut se poser lorsqu’une entreprises française a été dans l’incapacité d’honorer ses engagements contractuels vis à vis d’un client en Chine – respect du délais de livraison, par exemple- à la suite des mesures de confinement et de restrictions aux frontières qui se sont propagées dans le monde pour endiguer la propagation de la pandémie de Covid-19, perturbant les chaînes d’approvisionnement et la production.
La réponse est oui, si la survenance d’une épidémie est citée explicitement dans le contrat, dans la clause de force majeure.
Pour rédiger cette fiche, nous nous sommes appuyés sur les informations recueillies lors d’un webinaire organisé le 23 avril par le cabinet français d’avocats d’affaires DS Avocats, avec deux de ses experts : Anne Séverin, associée, responsable du bureau de Shanghai, et Sylvie Savoie, juriste associée, responsable du bureau de Pékin.
1/ Qu’est ce que le principe de la « force majeure » en droit chinois ?
Le principe de force majeure existe en Chine. Il est prévu à l’article 153 des « Principes généraux du code civil de la RPC » (promulgués le 12 avril 1986) et à l’article 117 de la « loi sur les contrats de la RPC ».
Définition : le concept de « force majeure » en droit chinois est présenté comme une situation qui est objectivement imprévisible, inévitable et insurmontable.
1.1 Comment puis-je recourir à ce principe ?
Dans l’hypothèse de la survenance d’un événement de force majeure, la partie qui ne peut pas exécuter son contrat – du fait de la survenance de l’événement de force majeure – doit notifier l’événement à l’autre partie :
– Elle doit le faire dans les meilleurs délais ;
– elle doit également apporter la preuve de l’existence de cet événement de force majeure.
À partir du moment où l’événement de force majeure est reconnu, cela ouvre des droits à la partie au contrat qui se fonde sur cet événement de force majeure pour modifier l’exécution de ce contrat.
1.2 Quels sont mes droits, si j’invoque la force majeure ?
Dès lors que l’événement de force majeure est reconnu, conformément aux lois, réglementations et interprétations de la Cour populaire suprême chinoise, la partie peut :
– demander la possibilité de modifier le contrat ;
– demander à retarder l’exécution de toutes ou partie de ses obligations contractuelles ;
– en dernier ressort, elle peut même résilier le contrat – lorsque les objectifs du contrat ne peuvent plus être atteints du fait de la survenance de l’événement de force majeure – et à ce titre, elle peut être exonérée de toute responsabilité.
2/ Le Covid-19 peut-il être considéré comme un événement de force majeure en Chine ?
À priori oui, si la survenance d’une épidémie est citée directement dans la clause de force majeure d’un contrat.
Si ce n’est pas le cas, il faut se référer à la précédente épidémie de SRAS de 2003. À cette date là, la Cour populaire suprême chinoise avait qualifié l’épidémie de SRAS de cas de force majeure.
On peut donc se référer à ce précédent pour estimer que le Covid-19 est un événement de force majeure.
Important : chaque situation impose néanmoins une analyse au cas par cas parce que les autorités chinoises ont le souhait de respecter l’équité des contrats et de ne pas mettre les deux parties en difficulté du fait de la survenance de l’événement de force majeure.
Donc, dans tous les cas, une analyse au cas par cas doit être faite.
2.1/ Exemple de cas pratique
Un organisateur de salons en Chine organise au mois de mai 2020 une grande exposition internationale à Shanghai.
Son contrat avec les exposants prévoit qu’en cas d’annulation de l’exposition ou de son report à une date ultérieure « suite à un événement de force majeure », les sommes payées par les exposants ne seront pas remboursées.
– En premier lieu, on pourrait se demander si cette clause est vraiment valable. Car s’il y a force majeure et s’il y a résiliation de contrat, on pourrait supposer que toutes les sommes doivent être remboursées.
Cette clause sera laissée à l’interprétation du juge qui pourra juger que si elle était considérée comme équitable au moment de la signature du contrat, elle pourra être respectée.
Mais en dehors même de cette clause, est-ce que le report ou l’annulation de l’exposition va être un cas de force majeure ?
La réponse va dépendre du cas de figure dans lequel on va se trouver.
Cas de figure n° 1 :
– Le centre d’exposition où devait se dérouler l’exposition reste fermé par ordre du gouvernement en raison de la crise sanitaire liée au Covid-19.
Y a-t-il force majeure dans ce cas ?
– Oui, dans ce cas là, nous serons clairement dans un cas de force majeure car l’exposition ne peut pas être tenue sur une décision gouvernementale.
Cas de figure n° 2 :
– Le centre d’exposition devrait rouvrir en mai. Mais l’organisateur décide quand même de reporter l’exposition car les exposants étrangers sont dans l’impossibilité de participer en raison de la fermeture des frontières chinoises.
Y a-t-il force majeure dans ce cas ?
– À priori, non, puisque l’exposition peut quand même se tenir avec 100 % d’exposants chinois.
En revanche, les exposants étrangers, eux, de leur côté, ont, très vraisemblablement, tous les moyens pour invoquer la force majeure :
– En indiquant qu’ils ne pourront pas venir puisque la Chine a fermé ses frontières ;
– Ils pourront donc annuler leur participation et demander le remboursement des sommes payées.
S’agissant des exposants chinois, il y a les concernant un problème qui peut se poser dans le contexte d’une exposition où sont exposés des produits très saisonniers comme les mooncakes (gâteaux de lune), pâtisserie chinoise en forme de lune consommée en Chine pendant la fête de la mi-automne, au mois de septembre.
Deux cas se présentent :
– L’exposition est maintenue en mai. Un salon en mai a beaucoup d’intérêt puisqu’il permet d’obtenir des opportunités de marché.
– L’exposition est reportée en septembre. Un salon en septembre n’a plus aucun intérêt pour ces exposants qui vendent des produits saisonniers commercialisés en septembre.
Dans le deuxième cas (report de l’exposition) :
Est-ce que les exposants chinois pourront annuler leur participation en invoquant la force majeure ?
À priori, non, puisqu’ils peuvent venir bien que l’exposition n’ait plus d’intérêt pour eux. Ils sont en mesure de participer.
Important : il n’y a pas de réponse claire qui permette de savoir si l’on va être dans un vrai cas de force majeure. Il faut donc à chaque fois étudier les intérêts de chaque partie et la situation factuelle, avant de pouvoir décider oui ou non est-ce qu’il y a force majeure.
À noter : si l’affaire est portée en justice, généralement, la décision du tribunal est de trouver un juste milieu entre les intérêts des deux parties.
2.2/ Exemple de décision judiciaire liée à la force majeure
Litige lié au remboursement du loyer d’un hôtel pour cause de force majeure
Le locataire en charge de l’exploitation d’un hôtel a été obligé de fermer l’hôtel conformément aux directives de la sécurité publique. Il a donc demandé au propriétaire une exonération du loyer et le remboursement de la caution, en invoquant la force majeure.
Il avait vraisemblablement tous les motifs pour pouvoir l’invoquer.
Décision judiciaire : mais le juge a préféré mener une conciliation de façon à aboutir à un accord amiable avec réduction du loyer dû.
Principe du juge : garantir les intérêts de chaque partie tout en prenant en compte le contexte particulier lié à l’épidémie.
2.3/ Puis-je demander l’émission d’une attestation de force majeure ?
Oui. Vous pouvez demander l’émission d’une attestation de force majeure délivrée par le China Council for the Promotion of International Trade (CCPIT), en français Conseil chinois pour le développement du commerce international.
C’est une attestation qui confirme l’existence d’un cas de force majeure. Il est possible d’obtenir en ligne en 24 heures des attestations de « force majeure » délivrées par le CCPIT.
Attention : le contenu de l’attestation est rédigé de manière très codifiée (voir ci-dessous).
Exemple de rédaction : « This is to certify that, according to the notice of the General Office of the People’s Government of Zhejiang Province on the Postponement of Production Recovery of Enteprises and Start of Schools issued by the People’s Government of Zhejiang Province on January 27, 2020, all Zhejiang based enterprises are forbidden to recover production until 24:00 February 9, 2020 ».
Important : le CCPIT peut aussi refuser de délivrer l’attestation dans certains cas.
2.4/ Exemple de cas pratique
En février dernier, une entreprise basée en France n’a pas pu envoyer d’expert français pour installer une machine en Chine. Elle se retrouvait donc en violation de son contrat et en retard dans l’exécution du contrat.
Elle a adressé au CCPIT une demande pour l’émission d’une attestation de force majeure.
Le CCPIT a refusé de faire l’attestation de force majeure puisque l’expert français aurait pu venir en Chine en février. Les frontières de la Chine n’étaient en effet pas encore fermées. ll y avait des préconisations de ne pas venir en Chine mais ce n’était pas une interdiction.
Plus d’informations :
– Replay du webinar de DS Avocats « Covid-19 et vos filiales en Chine » organisé le 23 avril : https://www.youtube.com/watch?v=95eHPe3JY10
Contacts utiles
– Desk DS Avocats à Paris-Shanghai : [email protected]
– Desk DS Avocats à Pékin : [email protected]