Comme d’autres pays européens, l’Espagne a mis en place des mesures de soutien aux entreprises pour lutter contre les effets économiques négatifs de la pandémie Covid-19 : chômage partiel, mesures fiscales et financements.
Les sociétés françaises qui sont établies de façon permanente en Espagne sous la forme de filiales ayant un siège social dans le pays peuvent en bénéficier.
Important : la situation outre-Pyrénées est différente de celle qui prévaut en France pour plusieurs raisons :
-D’abord, en raison de la décentralisation et du transfert de compétences au profit des régions (« communautés autonomes », 19 en tout). C’est le cas, par exemple, de la santé. Les aides proviennent essentiellement du gouvernement central mais elles sont complétées par celles des régions, voire de certaines municipalités.
-Par ailleurs, le gouvernement central a publié un nombre très important de textes, principalement sous la forme de décrets-lois royaux, publiés au Journal officiel espagnol (Boletin Oficial del Estado, BOE). Le dispositif a évolué au cours des dernières semaines, de nouveaux textes venant parfois compléter, préciser ou modifier des décisions plus anciennes.
-Enfin, il convient de rappeler que le gouvernement espagnol a présenté, le 28 avril 2020, le « Plan pour la transition vers une nouvelle normalité » qui organise le déconfinement progressif en 4 étapes, qui a commencé le 2 mai. L’« état d’alarme », annoncé le 14 mars 2020, est prolongé régulièrement par périodes de quinze jours, après un vote du Parlement, et le sera en fonction de l’évolution de la pandémie. Il est actuellement en vigueur jusqu’au 24 mai 2020.
La rédaction du Moci a interrogé le cabinet d’avocats espagnol AGM Abogados, qui dispose d’un bureau à Paris, sur les mesures d’appui adoptées par le gouvernement central. Voici les réponses en détail fournies par trois membres du cabinet : Luis San José Gras (avocat associé, droit du travail), Jordi Rovira (avocat associé, droit fiscal) et Luis Fernando Conde Berné (économiste et auditeur, financements).
1/ Chômage partiel
La législation espagnole prévoit que le dispositif de chômage partiel (Expediente de Regulación Temporal de Empleo, ERTE) peut être activé pour des raisons dites « ETOP » (économiques, techniques, organisationnelles, liées à la production) ou en cas de force majeure.
La crise sanitaire a ouvert la possibilité de motiver le recours au chômage partiel sur la base du critère de la force majeure. Cependant, la procédure est strictement encadrée. Les textes de référence sont le décret-loi royal 463/2020 du 14 mars 2020 (BOE du 14 mars 2020) et le décret-loi royal 8/2020 du 17 mars 2020 (BOE du 18 mars 2020).
Comment invoquer la force majeure ?
L’article 22 du décret-loi royal 8/2020 précise les conditions de recours au concept de force majeure et indique la procédure à suivre. L’entreprise devra joindre à sa demande un « rapport » (informe), qui établira le lien entre le Covid-19 et la perte d’activité, accompagné des pièces justificatives nécessaires.
Les demandes doivent être adressées à l’autorité compétente au sein des régions, qui ont le pouvoir de décision, sauf si le personnel concerné travaille dans des unités installées dans au moins deux régions. Dans ce cas, c’est le ministère du Travail et de l’Économie solidaire qui est compétent.
Important : si 85% des salariés travaillent dans au moins une région, la demande devra être déposée auprès de l’autorité de cette région. A Madrid, par exemple, il s’agit de la Direction générale du travail de la Communauté de Madrid ; à Barcelone, de la Direction générale des Relations du travail, du travail indépendant, de la Sécurité et de la santé au travail de la Généralité de Catalogne. Il convient de noter que les procédures peuvent varier selon les régions.
La législation prévoit que les autorités compétentes doivent répondre dans un délai de 5 jours. Passé ce laps de temps et si l’entreprise n’a pas reçu l’avis, positif ou négatif, de l’autorité compétente, la demande d’ERTE est automatiquement validée.
Important : les administrations concernées se réservent le droit, en cas de validation automatique, d’effectuer un contrôle ex post. Il est donc conseillé aux entreprises, qui sollicitent le chômage partiel, de présenter un dossier complet et solidement charpenté.
Une fois l’autorisation obtenue, l’entreprise doit engager la procédure pour que chaque salarié puisse bénéficier de la prestation au titre du chômage partiel. Le décret 8/2020 prévoit l’exonération de la part patronale des cotisations à la sécurité sociale pour les entreprises employant moins de 50 salariés, à condition de maintenir l’emploi. Pour les entreprises employant au moins 50 salariés, l’exonération est de 75%. Le texte prévoit le maintien du personnel pendant six mois près le redémarrage de l’activité.
Important : Le 12 mai 2020, le gouvernement a approuvé le décret-loi royal 18/2020 (BOE du 13 mai 2020) qui apporte plusieurs modifications. Le dispositif est prolongé jusqu’au 30 juin 2020.
Le texte ouvre la possibilité d’incorporation de salariés concernés par le chômage partiel à mesure que l’activité redémarre et confirme l’obligation de maintien de l’emploi pendant six mois après le redémarrage de l’activité.
Par ailleurs, le décret-loi royal introduit une clause relative à l’interdiction du paiement de dividendes pour les entreprises bénéficiaires d’ERTE pour force majeure. Celles qui ont leur domicile fiscal dans les paradis fiscaux ne pourront pas recourir au dispositif.
Plus d’informations :
-Ministère du Travail et de l’Economie sociale : www.mitramiss.gob.es/index.htm.
-Fiche explicative AGM Abogados : www.agmabogados.com/faq-ertes/.
2/ Mesures fiscales et sociales
Concernant les reports des charges patronales et des échéances fiscales, le gouvernement a agi avec prudence et parcimonie, en raison principalement de la situation délicate des finances publiques espagnoles avant l’éclatement de la crise sanitaire.
2.1 Report des échéances fiscales
Le décret-loi royal 7/2020 en date du 12 mars 2020 (BOE du 13 avril 2020) prévoit un report partiel et différencié selon la taille des entreprises. L’article 14 établit plusieurs cas de figure :
– Les entreprises qui ont réalisé un chiffre d’affaire inférieur ou égal à 600 000 EUR en 2019 peuvent reporter le paiement de leurs échéances fiscales comprises entre le 13 mars et le 30 mai 2020 sur 6 mois, dont trois sans intérêt de retard. La dette fiscale (TVA, acompte IS et retenues du prélèvement à la source sur les salaires et les loyers) ne devra pas dépasser 30 000 EUR. Si la somme est supérieure à ce montant, aucun report n’est accordé.
– Les entreprises qui ont réalisé un chiffre d’affaires supérieur à 600 000 EUR mais inférieur ou égal à 6 M EUR en 2019 bénéficieront du même dispositif. La dette fiscale ne devra pas non plus être supérieure à 30 000 EUR.
-Celles qui ont réalisé un chiffre d’affaires supérieur à 6 M EUR en 2019 n’ont droit à aucun report.
2.2 Report des charges sociales
En ce qui concerne la part patronale des cotisations à la sécurité sociale, le décret-loi royal 11/2020 du 31 mars 2020 (BOE 1er avril 2020), qui fixe des mesures urgentes complémentaires dans le domaine social et économique pour faire face au COVID-19, prévoit pour les entreprises :
– Dans son article 34, un moratoire du paiement des cotisations patronales à la sécurité sociale et au titre du recouvrement conjoint, de six mois, sans intérêt, pour la période comprise entre les mois d’avril et juin 2020.
– Dans son article 35, le report du paiement des dettes envers la Sécurité Sociale dont le délai réglementaire de recouvrement s’étend entre les mois d’avril et juin 2020, avec un taux d’intérêt applicable de 0,5 %.
Plus d’informations :
– « Agencia Tributaria », agence autonome des impôts et des douanes : www.aeat.es.
-Fiche explicative AGM Abogados : www.agmabogados.com/wp-content/uploads/2020/04/Ampliacion-plazo-presentacion-autoliquidaciones-tributarias-2020_AGM_150420-1.pdf.
-Sécurité sociale : www.seg-social.es/wps/portal/wss/internet/Inicio (en français).
3/ Les aides financières
3.1 Dispositif de garantie de prêts bancaires
Le ministère des Affaires économiques et de la Transformation digitale a mis en place un dispositif de garantie de prêts bancaires ou de rénovation de prêts d’un montant maximum de 100 milliards d’euros ( Md EUR) jusqu’au 31 décembre 2020 « pour faciliter le maintien de l’emploi et pallier les effets économiques du COVID-19 » (décret-loi royal 8/2020 du 17 mars 2020, BOE du 18 mars 2020).
Le dispositif est géré par l’Institut de Crédit Officiel (ICO), une banque publique espagnole
Le dispositif a été mis en route le 6 avril 2020. Trois sections de la ligne de garantie ont été activées, pour un montant total de 64,5 Md EUR, avec quatre sous-parties :
–40 Md EUR pour les renouvellements et les nouveaux prêts accordés par les banques aux PME et aux travailleurs indépendants.
–20 Md EUR pour les renouvellements et les nouveaux prêts accordés par les institutions financières aux entreprises qui ne sont pas des PME.
–4 Md EUR pour garantir les émissions de billets à ordre par des sociétés non financières sur le Marché Alternatif des titres à Revenu Fixe (MARF).
– 500 M EUR pour renforcer les contre-garanties accordées par la Compagnie Espagnole de Contre-garantie (CERSA) et augmenter la capacité des sociétés de garantie mutuelle des différentes régions espagnoles afin de faciliter la concession des prêts aux PME.
Important : pour la définition des PME, l’Espagne reprend les critères de la Commission européenne (moins de 250 salariés, chiffre d’affaires inférieur ou égal à 50 M EUR, bilan inférieur ou égal à 43 M EUR).
Comment y accéder ?
Les filiales de sociétés françaises qui souhaitent bénéficier du dispositif doivent s’adresser aux banques commerciales espagnoles qui ont signé un accord avec l’ICO. Ce sont elles qui ont le pouvoir d’autoriser ou pas l’opération de prêt.
La garantie de l’ICO concerne exclusivement le principal (les intérêts sont exclus) avec des pourcentages variables : 80 % pour les PME et 70 % pour les autres entreprises.
Le point délicat concerne l’avis de la banque, qui procède bien évidemment à une analyse de risque. Il convient de rappeler que les intérêts ne sont pas couverts. Par ailleurs, il n’est pas rare que des garanties soient demandées pour la partie du prêt qui ne bénéficie pas de la garantie publique.
Le « bon profil » est celui d’une entreprise en bonne santé économique et financière mais ayant subi le contrecoup de la pandémie et qui, une fois la crise passée, sera en mesure de rembourser le prêt accordé.
Important : les informations disponibles montrent que la mobilisation du système bancaire est réelle. Fin avril, lors de la présentation des résultats du 1er trimestre 2020, le Banco Santander a fait état de 60 000 opérations en cours ou approuvées pour une valeur totale de 9,6 Md EUR.
Selon le dernier pointage officiel, à la date du 6 mai 2020, 293 387 opérations avaient été approuvées, dont 98 % au bénéfice de PME et de travailleurs indépendants. Le montant total des garanties accordées s’élève à 30 Md EUR (dont 20,87 Md EURpour les PME et les travailleurs indépendants) pour des financements totaux de 39,8 Md EUR (26,1 Md EUR).
3.2 Les autres financements
– Lignes de financement de l’ICO : l’ICO propose d’autres lignes de financement comme Acelera Pyme (200 M EUR) pour financer la transformation digitale et une ligne spécifique pour le tourisme.
– Lignes de garanties export : l’assureur-crédit CESCE a ouvert, le 7 avril 2020, pour le compte de l’État, une ligne de 2 Md EUR de garanties pour les entreprises exportatrices, PME et non cotées en bourse, avec des procédures simplifiées d’examen et d’évaluation du risque (décret-loi royal 8/2020 du 17 mars 2020).
A la date du 1er mai 2020, soit au bout de trois semaines, 149 dossiers ont été présentés et le montant des crédits bancaires mobilisés grâce à cette facilité s’élève à 389 M EUR. Selon CESCE, 66 opérations ont été approuvées.
– Les financements régionaux : à cela s’ajoutent les instruments financiers créés par les régions. En Catalogne, par exemple, l’Institut catalan de finances (ICF), qui dépend de la Généralité, le gouvernement régional, a mis en place une ligne de 1 Md EUR (prêts : 700 M EUR ; garanties : 300 M EUR) dont peuvent bénéficier les PME et les travailleurs indépendants. A Madrid, le gouvernement régional a mis en place le « Plan Confianza Avalmadrid » (300 M EUR).
Plus d’informations :
-Ministère des Affaires économiques et de la transformation digitale : www.mineco.gob.es
-Institut de Crédit Officiel (ICO) : www.ico.es.
-Fiche explicative AGM Abogados : www.agmabogados.com/preguntas-frecuentes-lineas-avales-ico-covid-19/ et www.agmabogados.com/segundo-tramo-linea-avales-ico-covid19/.
-CESCE : www.cesce.es.