Le Roquefort français, le jambon de Parme italien ou le Manchego espagnol pourraient bien faire les frais des négociations en cours sur le ‘Brexit’. Alors que le volet des Indications géographiques (IG) – système mis en place par l’UE pour protéger le nom de certains produits régionaux, fabriqués selon des procédés traditionnels – n’avait pas, jusqu’ici, éveillé l’intérêt des négociateurs britanniques, il pourrait rapidement devenir l’une des pierres d’achoppement dans le cadre de ces pourparlers, s’inquiète-t-on à Bruxelles. Explications.
« Des propositions inacceptables pour l’UE »
Le plan de sortie ou plan Chequer, adopté avant l’été par le chef du gouvernement britannique Theresa May, envisage, sur ce dossier, « des propositions inacceptables pour l’UE », indique un négociateur européen. Le Royaume-Uni suggère de mettre en place son propre système de protection des IG, ‘post-Brexit’, qui ne reconnaîtrait pas automatiquement les produits inscrits sur la liste européenne.
L’idée est de garantir le meilleur niveau de protection aux produits nationaux dans le cadre d’un système « ouvert à de nouvelles candidatures provenant du Royaume-Uni ou de pays tiers », précise le white paper britannique. En résumé : le Champagne ou le vin de la Rioja ne seront pas de facto protégés une fois le divorce prononcé.
Résultat : « Toutes les IG aujourd’hui reconnues par l’UE devront donc à nouveau entamer la procédure d’enregistrement », déplore un membre de la Commission. « C’est une tactique de Londres. Ils veulent retarder au plus possible les discussions sur ce sujet pour bénéficier d’une monnaie d’échange et obtenir des concessions de l’UE en bout de parcours, sur un ou d’autres volets des pourparlers », analyse cette même source, évoquant l’immigration ou l’accès au marché unique.
Des lignes rouges européennes
D’où le refus des négociateurs britanniques d’inscrire le thème au menu des discussions lors de la session organisée le 16 juillet dernier à Bruxelles. Au cours de la suivante, le 22 août, les Européens ont cette fois rappelé leur ligne rouge : il ne peut y avoir d’accord sur le système britannique de protection des IG, tant que celui-ci n’inclura pas les produits made in EU. « Le sujet a donné lieu à d’intenses tractations », confie un diplomate reconnaissant « une manœuvre habile de Londres pour faire pencher la balance de son côté ». Et avec un Français en face, Michel Barnier, négociateur en chef pour la Commission, la stratégie a toutes les chances de fonctionner.
Ce dernier a récemment rappelé que la défense des IG restait un intérêt offensif pour l’UE, dans toutes ses négociations commerciales. « C’est l’une des pierres angulaires des accords de libre-échange scellés au cours de ces dernières années », rappelle l’un de ses proches collaborateurs, citant les pactes conclus avec le Canada, le Japon ou le Mexique.
Dans un article publié début septembre, Michel Barnier indique que 20 % des sujets, inscrits dans les négociations avec Londres, n’avaient fait l’objet d’aucun accord à ce stade. Parmi ceux-ci, figurent bien sûr les IG qui « visent la protection des produits agricoles et alimentaires locaux tels que le whisky écossais, le parmesan, où la protection de l’UE a permis de générer des profits significatifs pour les agriculteurs et producteurs européens », insiste-t-il.
Dans ce sprint final chaque camp affûte ses armes
Ses équipes seraient en train d’analyser la conformité de la proposition britannique avec l’article 3 du traité de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) sur les « aspects de la propriété intellectuelle liés au commerce ». Il stipule en effet que les acteurs engagés dans des pourparlers commerciaux doivent « accorder une protection ‘non moins favorable’ de la propriété intellectuelle aux ressortissants étrangers qu’à leurs propres ressortissants ».
Dans ce sprint final – l’accord doit en théorie être scellé au cours du mois d’octobre – chaque camp affûte ses armes. Alors que, coté européen, les négociateurs déplorent cette passion soudaine du Royaume-Uni pour les IG, et explorent les moyens légaux pour contrecarrer la stratégie de ses négociateurs, Londres ne cesse désormais de louer les vertus de ces noms protégés pour le secteur agro-alimentaire britannique. « Le système des IG est un élément clé pour notre pays, d’un point de vue économique et culturel. C’est pourquoi nous tenons à mettre en place notre propre mécanisme qui garantira le meilleur niveau de protection aux IG britanniques dans le futur », a insisté un porte-parole à l’issue du dernier round de discussion…
Kattalin Landaburu, à Bruxelles