Lors du Sommet des chefs d’État et de gouvernement « Union européenne-Balkans occidentaux », à Sofia le 17 mai, les dirigeants des pays représentés (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Monténégro, Macédoine, Serbie) ont obtenu des Vingt-huit un soutien à « la perspective européenne » des Balkans, mais plutôt à long terme. Il est vrai que deux sujets brûlants mais non prévus de l’actualité internationale s’étaient invités à ce sommet : l’accord sur le nucléaire iranien et les relations commerciales avec les États-Unis, mises à mal par l’annonce en mars de Donald Trump de nouveaux droits de douane sur les importations d’acier et d’aluminium en provenance de l’UE qui s’en trouve exemptée jusqu’au 1er juin.
Si le sommet a néanmoins permis de relancer la dynamique des relations entre les deux blocs, la perspective d’une adhésion, elle, demeure pour le moins incertaine. Pour le moins, elle se fera en ordre dispersé. En témoigne une intéressante étude de Coface publiée à la veille du sommet de Sofia. Ses auteurs estiment ainsi que ce scénario est susceptible de se produire, favorisé par le positionnement géographique stratégique de la région, mais à échéance plus ou moins lointaine selon les pays. En effet, la Commission européenne a proposé en février 2018 une échéance à 2025 pour l’adhésion de la Serbie et du Monténégro, les négociations avec ces deux pays étant déjà bien avancées, tandis que pour la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo, dont les déficiences sont les plus criantes, l’échéance pourrait être très tardive.
Une intégration économique forte mais un déficit commercial important
« Cette région est très intégrée à l’Union européenne (UE) au niveau économique », a rappelé Dominique Fruchter, économiste chez l’assureur-crédit Coface, spécialiste CEI (communauté des États indépendants), Russie et Balkans, lors d’un point presse téléphonique. L’UE est le premier partenaire commercial de la région des Balkans, représentant 83 % de ses exportations et 67 % de ses importations.
Les relations commerciales entre l’UE et les pays des Balkans ont été renforcées par les Accords de stabilisation et d’association (ASA) qui sont progressivement entrés en vigueur entre 2004 et 2016. Depuis 2008, les échanges de biens entre les deux blocs ont augmenté de 80 % selon Coface (+89 % pour les importations des Balkans et +42 % pour leurs exportations). Mais les échanges extérieurs comptent assez peu dans le PIB de la région. Les exportations de biens ne représentent que 37 % du PIB régional, la Serbie et la Macédoine ayant le pourcentage le plus élevé (44 %) en raison de l’importance de leurs secteurs manufacturiers.
Souffrant d’une faible base productive et de la production de biens à faible valeur ajoutée, la balance des biens avec l’UE enregistre chaque année depuis 2006 un déficit supérieur à 8 milliards d’euros, allant de 9 % du PIB pour la Serbie à 45 % pour le Monténégro. Les pays des Balkans exportent principalement des équipements lourds (machinerie), des produits automobiles, des produits chimiques, des vêtements, des produits agricoles et alimentaires, des minerais, des combustibles et de l’électricité, ainsi que des produits métalliques et en plastique.
Néanmoins, le déficit commercial de la région demeure élevé car les économies balkaniques importent beaucoup pour couvrir leurs besoins en produits pharmaceutiques, textile (fils et tissus), équipements de télécommunication et de traitement de données, métaux non ferreux, verre et produits d’origine animale. Le déficit est principalement financé par des transferts de fonds effectués par les émigrés (presque un quart de la population vit à l’étranger) et par des investissements directs étrangers (IDE), majoritairement en provenance d’Europe de l’Ouest.
Autre constat, les pays des Balkans occidentaux ont une économie « très ‘euroisée’ », selon Dominique Fruchter. L’usage massif de l’euro dans la région signifie, d’après l’étude, que les pays ont une grande dépendance au cycle économique de la zone euro et à ses politiques monétaires.
De nombreux défis à relever : manque d’infrastructures, corruption, chômage…
Malgré une forte intégration géographique, des liens commerciaux et monétaires, « il sera très difficile de les intégrer dans l’UE car ces pays manquent d’infrastructures de transport, c’est dommage », déplore l’économiste. La zone des Balkans occidentaux est très intégrée à l’UE au niveau géographique, mais le manque de réseaux ferroviaires ne permet pas à la région de profiter de cette proximité géographique pour intensifier ses échanges.
À cet égard, le sommet de Sofia était justement axé sur le thème de la connectivité, en vue d’améliorer les liaisons avec les Balkans occidentaux et dans la région elle-même. L’UE, qui en fait une priorité pour ses soutiens financiers la région (environ 7 milliards d’euros pour la période 2014-2020), va créer un fonds spécial Connectivité pour 2019-2020 qui sera intégré ensuite dans le cadre financier pluriannuel 2020-2027. Elle s’est engagée à améliorer encore la connectivité dans toutes ses dimensions, à savoir : les liaisons de transport, la sécurité énergétique, l’économie numérique, le climat des affaires et les perspectives pour la jeunesse.
Outre le manque crucial d’infrastructures (transport, santé, communication, éducation), la corruption est un problème majeur dans les secteurs public et judiciaire, ce qui place les Balkans occidentaux en bas de l’indice 2017 de Transparency International en Europe. Cette situation est confirmée par les indicateurs de gouvernance de la Banque mondiale qui mettent en avant la faible stabilité politique en Albanie, en Macédoine, au Kosovo et au Monténégro, la fragmentation institutionnelle en Bosnie-Herzégovine et les faiblesses juridiques en matière de faillites et d’insolvabilité.
De plus, la région est confrontée à « un chômage important », selon Dominique Fruchter. Le taux de chômage se situe à 16,2 % du total de la population active et atteint 37,6 % parmi les jeunes actifs. Étant donné les taux de croissance actuels du PIB (à peine supérieurs à 3 % en moyenne), la Banque mondiale estime qu’il faudrait six décennies pour que le PIB moyen par habitant dans les Balkans occidentaux atteigne les niveaux européens.
Trouver une solution intermédiaire entre les accords d’association et l’adhésion
« Il y a beaucoup à faire », a reconnu l’économiste. En conséquence, malgré cette proximité géographique, compte tenu d’importantes failles de la gouvernance, « le processus d’adhésion de la région à l’UE va être long », estime Dominique Fruchter.
Toutefois, selon lui « une adhésion est plausible », notamment de par le positionnement stratégique de la région, pont entre l’Europe centrale et l’Europe du Sud-Est, mais aussi pour ne pas laisser se développer de nouveaux conflits entre pays de la région susceptibles de déborder sur les membres de l’UE voisins. Il faudrait, d’après l’économiste, trouver une situation « intermédiaire » entre les actuels Accords de stabilisation et d’association et une adhésion, et donner à ces pays un « statut de préadhésion » afin qu’ils puissent bénéficier de fonds structurels européens sans être adhérent.
L’UE pourrait de cette manière augmenter ses concours financiers, tout en contrôlant leur utilisation, et favoriser les réformes qu’il est nécessaire de mettre en œuvre.
Venice Affre
Pour en savoir plus :
Consulter l’étude (en anglais) de Coface sur les pays des Balkans occidentaux en fichier PDF ci-dessous