La signature le 15 novembre du Regional Comprehensive Economic Partnership Agreement (RCEP) – en français Partenariat régional économique global (PREG )-, vaste accord commercial associant l’Asean et cinq pays partenaires, marque la relance des accords de libre-échange multilatéraux à une échelle régionale, menaçant l’influence américaine en Asie.
Conclu à l’issue du quatrième sommet RCEP, organisé en visioconférence par le Vietnam, qui assure actuellement la présidence tournante de l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (Asean), en raison de la pandémie Covid-19, cet accord a été signé par dix Etats membres de cette organisation – Indonésie, Thaïlande, Singapour, Malaisie, Philippines, Vietnam, Myanmar (Birmanie), Cambodge, Laos et Brunei – ainsi que la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
Cet accord a été, à juste titre, présenté comme le plus important accord régional de libre-échange au monde au regard de son poids économique : il couvre 2,2 milliards de consommateurs, soit 30 % de la population mondiale, et le PIB cumulé des 15 pays signataires représente 26 200 milliards de dollars, soit 30 % du PIB mondial.
Il n’entrera toutefois en vigueur qu’une fois ratifié sur le plan national par un nombre suffisant d’États, les signataires s’étant fixés un délai de deux ans pour mener à bien ce processus. Par ailleurs, certains détails en matière de tarifs, notamment sur des produits sensibles, pourraient être réglés bilatéralement, certains pays signataires n’étant pas parvenus à fournir les listes définitives des produits couverts et non couverts par l’accord.
Eliminations des droits de douane et quotas sur 65 % des produits
L’accord est composé de 20 chapitres, 17 annexes et 54 listes d’engagements couvrant les questions d’accès au marché, les règles et disciplines, et la coopération économique et technique.
Il consolide les accords commerciaux préexistants entre l’Asean et les 5 pays partenaires, tout en intégrant de nouveaux domaines comme la propriété intellectuelle, les procédures douanières et phytosanitaires, des mesures de facilitation du commerce, la création d’une plateforme d’information à destination des PME ou encore un mécanisme de règlement des différends.
Les principaux documents sont disponibles en anglais sur le site Internet de l’Asean : https://asean.org/
Le RCEP prévoit d’éliminer droits de douane et quotas sur 65 % des produits échangés dans cette vaste zone, selon le secrétariat-général de l’Asean, basé en Indonésie. Il améliore l’environnement des entreprises et leur visibilité sur l’avenir avec la mise en place, dès l’entrée en vigueur, de règles communes en matière d’origine des produits pouvant bénéficier des avantages du RCEP – un point clé pour tout accord de libre-échange -, et un cadre réglementaire transparent.
L’accord « contribuera à réduire ou à supprimer les droits de douane sur les produits industriels et agricoles et à définir des règles pour la transmission des données » a résumé Luong Hoang Thai, chef du département de la politique commerciale multilatérale au ministère vietnamien de l’Industrie et du commerce, cité par l’agence Thomson-Reuter.
Favoriser une reprise rapide
Pour les pays de l’Asean, cet accord, dont les négociations complexes ont commencé en 2013, est présenté comme une étape historique dans l’affirmation des capacités de cette organisation et un facteur de relance face aux effets économiques négatifs de la pandémie de Covid-19. La plupart des pays de la zone connaîtront des récessions plus ou moins fortes cette année, exception faite de la Chine et du Vietnam.
« Je suis heureux qu’après huit années de négociations complexes, nous puissions terminer officiellement aujourd’hui les négociations du RCEP » s’est réjoui le Premier ministre vietnamien Nguyen Xuan Phuc.
« Le RCEP donnera le coup d’accélérateur dont on a tant besoin pour une reprise rapide et robuste pour les entreprises et les populations de notre région, particulièrement durant l’actuelle crise liée à la pandémie Covid-19 » a notamment déclaré Dato Lim Jock Hoi, le secrétaire général de l’Asean originaire de Brunei, dans un communiqué.
Les signataires du RCEP espèrent aussi favoriser la relance des investissements dans la région, y compris dans la construction de chaîne d’approvisionnement plus solides et les services, afin de générer davantage d’emplois.
Un succès pour la Chine
A l’échelle international, la signature du RCEP est aussi perçu comme un succès pour la Chine. En Asie même, en premier lieu : certains de ses partenaires ont ainsi surmonté leur crainte d’une hégémonie chinoise trop pesante en signant ce traité, alors que l’Inde, qui avait participé aux négociations, s’en est retirée en décembre 2019 par crainte de voir son marché envahis de produits chinois. Et en second lieu, face aux États-Unis, dont l’influence économique en Asie est menacée.
Les États-Unis, sous l’impulsion d’un Donald Trump fraîchement élu président, s’étaient en effet brutalement retirés en 2017 d’un important accord concurrent, le Transpacific Partnership (TTP) -en français Partenariat Transpacifique-, porté et conclu par son prédécesseur Barack Obama en septembre 2016. Celui-ci excluait la Chine mais associait douze pays (Australie, Brunei, Canada, Chili, États-Unis, Japon, Malaisie, Mexique, Nouvelle-Zélande, Pérou, Singapour et Vietnam).
Une erreur stratégique pour nombre d’observateurs, qui avait plongé les partenaires du TTP dans une profonde incompréhension et marqué le début d’un certain isolationnisme américain sur le plan commercial face à une Chine de plus en plus influente. Pour Pékin, le RCEP pourrait en effet permettre de consolider son influence commerciale et normative dans la zone et réduire sa dépendance technologique.
Pour l’heure, les autorités chinoises ont le triomphe modeste. « Dans les circonstances actuelles, le fait que le RCEP ait été signé après huit ans de négociations apporte un rayon de lumière et d’espoir au milieu des nuages » a déclaré le Premier ministre chinois Li Keqiang le 15 novembre, après la signature formelle du traité.
Mais le dirigeant chinois a aussi déclaré, sans doute à l’attention du reste du monde : « La signature du RCEP n’est pas seulement une réalisation marquante de la coopération régionale en Asie de l’Est, c’est aussi une victoire du multilatéralisme et du libre-échange ».
Un dossier dont le nouveau président élu des États-Unis ne devrait pas tarder à s’emparer. Joe Biden serait favorable à un retour rapide de son pays dans le TTP, tout comme dans l’Accord de Paris sur le Climat…
Christine Gilguy