Alors que les négociations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne se poursuivent, la région Ile-de-France est la grande bénéficiaire du Brexit en termes d’investissements internationaux. Dans le secteur de la finance, mais pas que.
Choose Paris Region, l’agence de promotion de l’attractivité de la Région Ile-de-France, et Paris Europlace ont comptabilisé depuis le 23 juin 2016, date du referendum britannique sur la sortie de l’Union, 369 projets d’implantation, d’investissement ou de relocalisation d’équipes en Ile-de-France.
Dans le détail, 184 sont des projets déjà actés par les entreprises, 133 sont en cours et 52 ont finalement été abandonnés. Ils émanent de sociétés britanniques (46 %), américaines (18 %) et, dans 11 % des cas, d’entreprises japonaises, chinoises et françaises. Il s’agit soit d’entreprises quittant Londres, soit de sociétés choisissant la France plutôt que le Royaume-Uni pour investir. Au total, ces implantations ont permis la création sur le sol tricolore de 5 000 emplois.
Paris profite du Brexit et confirme son statut de capitale financière européenne
63 % des projets confirmés concernent le secteur de la finance et viennent confirmer la place de numéro un de la France en Europe. En effet, selon FDI market, la région Ile-de-France a connu la plus forte progression dans le secteur des services financiers entre 2018 et 2019, devant les principales régions mondiales, avec une augmentation des investissements directs internationaux dans ce secteur de 14 % alors que, dans le même temps, le Grand Londres a vu les investissements baisser de 29 %.
Arnaud de Bresson, directeur général d’Europlace, a rappelé lors de la présentation de ces chiffres, le 10 décembre, que la France est déjà le leader du marché des actions (la fusion d’Euronext et de la bourse de Milan la plaçant devant le London Stock Exchange), du marché des actions d’entreprises, de la gestion d’actifs et également de l’assurance. Une diversification des activités qui rend l’hexagone plus attractif que le Luxembourg. En outre, Paris bénéficie d’un écosystème plus propice (nombre de grandes entreprises présentes, quantité et qualité des formations…) que Francfort, ville secondaire en Allemagne.
Cette montée en puissance de Paris en tant que capitale financière a d’ailleurs conduit des acteurs majeurs du secteur à implanter des équipes à Paris. Arnaud de Bresson a ainsi dévoilé que JP Morgan allait localiser à Paris pour ses activités commerciales 100 personnes en janvier prochain, en plus des 100 personnes déjà annoncées. Bank of America, Goldman Sachs et Barclays se sont déjà implantés à Paris. Dominique de Préneuf, directeur général de l’association française de la gestion financière (AFG) a rappelé qu’au « 1er janvier, les sociétés de gestion britannique auront perdu leur passeport, ce qui va amplifier le mouvement ».
La finance n’est pas le seul secteur concerné par les relocalisations
L’objectif est désormais de développer la finance verte, domaine dans lequel la France dispose déjà d’une expertise reconnue et d’attirer toujours plus d’entreprises, en particulier de plus petite taille à l’instar de Checkout. Cette fintech britannique de 300 personnes œuvrant dans le paiement en ligne a ouvert en octobre 2018 une filiale à Paris afin de suivre le déplacement vers la capitale française d’importants acteurs du secteur financier.
Ce phénomène de relocalisation des activités impulsé par le Brexit ne concerne pas que la finance. En témoigne la décision de Instant Group, société de droit britannique spécialisée dans les bureaux flexibles et les espaces de coworking de réunir à Paris l’ensemble de ses effectifs (dont la moitié travaillaient à Londres il y a encore deux ans). Cette société a par ailleurs elle-même accompagné dans leur recherche d’espaces de travail des entreprises ayant décidé de traverser la Manche en raison du Brexit : la filiale d’un cabinet d’avocats (45 postes) et une société spécialisée dans la transformation digitale (25 postes et autant en 2021).
C’est également le choix effectué par des entreprises opérant dans des secteurs aussi variés que l’installation de systèmes wifi publiques (Zoox), la logistique (C4 logistics), la gestion hôtelière (Cycas), l’ingénierie (Smart Tunneling Solutions) ou encore les contenus créatifs (Kocca).
Dans l’automobile (premier poste des exportations de biens industriels britanniques), plusieurs annonces ont confirmé des fermetures d’usines ou des renoncements à de nouvelles chaines de production au Royaume-Uni : la fermeture de l’usine Honda à Swindon en 2022 (3500 emplois en jeu), Nissan et son usine de Sunderland (7000 emplois), la fermeture de deux sites de production de Schaeffler (500 emplois), Jaguar Land Rover (4500 emplois) ou encore Ford (1000 emplois). La reconfiguration de certains secteurs importants de l’économie britannique induite par le Brexit va certainement conduire d’autres entreprises à revoir les lieux d’implantation de leurs sites de production.
Dans le secteur de la pharmacie, le transfert de l’EMA (Agence Européenne du Médicament) de Londres à Amsterdam a été un signal fort. Même si 3 000 spécialités sont produites au Royaume-Uni, les industriels de la pharmacie ont anticipé le Brexit. Le transfert de l’EMA et la perspective d’un éventuel hard Brexit ont obligé les laboratoires à déplacer les procédures d’AMM (autorisation de mise sur le marché) vers des filiales sur le continent.
Dans l’aéronautique, l’Agence européenne de la sécurité aérienne (EASA) est responsable de la certification et de la régulation de l’industrie aéronautique en Europe. Sans accord sur l’adhésion du Royaume-Uni à cette agence, les composants de l’aéronautiques ne seront plus certifiés et une double certification aura un impact en termes de délai et de coût.
En outre, 11 % des effectifs de l’industrie aérospatiale du Royaume-Uni sont européens. Une diminution du nombre de talents est donc à craindre. Enfin, la perte de financements européens H2020 créera un manque à gagner. Alors que les avions et pièces d’avions traversant la Manche ne sont pas taxés depuis un accord de 1980, le retour de tarifs douaniers serait également un coup dur pour l’aéronautique britannique.
Sophie Creusillet