Les relations économiques entre le Kenya et la France sont au beau fixe, voire se renforcent. A tel point que le président kényan Uhuru Kenyatta a tenu à maintenir sa visite de travail à Paris du 30 septembre au 2 octobre, malgré la deuxième vague en cours de Covid-19, pour parrainer avec Emmanuel Macron la signature de trois grands contrats d’infrastructures pour près de 2,15 milliards d’euros (Md EUR)* initiés lors de la visite du président français à Nairobi en mars 2019.
Des « pitch » présidentiels en faveur du Kenya et de l’Afrique
Témoin de la qualité de ces relations, tout deux ont fait « le show » en faveur du Kenya et de l’Afrique lors du Forum annuel de l’entrepreneuriat BPI Inno Génération, organisé par Bpifrance le 1er octobre à Paris (notre photo). Un style qui tranche avec le protocole habituel.
Ils ont « pitché » tour à tour devant un parterre de dirigeants d’entreprises françaises, certes réduit à quelques centaines de personnes pour cause de pandémie – mais écoutés par des dizaines de milliers online-, et dialogué en direct avec trois dirigeants de PME et ETI, Damien Marc P-dg de JPB Systeme, Béatrice Schmidt P-dg d’EFI Automotiv, et Yann Maus, fondateur et dirigeant de Fonroche.
« Nous regardons parfois le continent africain sous l’angle de ses richesses naturelles, l’or, les diamants, le pétrole, le gaz, a notamment plaidé le chef de l’Etat kényan. Mais ce que nous avons tendance à ne pas voir, c’est quel est le véritable potentiel africain. Et le véritable potentiel africain, ce sont nos jeunes hommes et nos jeunes femmes et la capacité qu’ils ont de participer avec vous à la construction d’un monde meilleur et plus grand pour nous tous. »
Appelant à continuer à vivre et travailler malgré la Covid-19 et à résister « ensemble » à ce fléau – the show must go on, a-t-il martelé – Uhuru Kenyatta a salué la vision de son hôte Emmanuel Macron, qui, selon lui, « a compris que les relations franco-africaines ne devaient pas être basées sur l’histoire mais sur le potentiel de travailler ensemble pour construire un avenir prospère ».
Vers une équipe de France « plus structurée et plus compétitive »
Le président français a saisi l’occasion pour lancer un appel à la mobilisation des entreprises françaises sur l’Afrique, et notamment l’Afrique de l’Est anglophone, dont le Kenya est un centre économique majeur, et où elles sont historiquement moins présentes. Il a aussi profité du moment pour faire quelques annonces sur les évolutions futures du dispositif français.
C’est que la France rattrape son retard en Afrique de l’Est, mais progressivement. Erigé en priorité de la politique commerciale française à partir de 2012, le Kenya a accueilli le premier bureau de Business France – à l’époque Ubifrance- en 2013 seulement. Mais il a fallu attendre mars 2018 pour voir le Medef monter sa première mission d’entreprises d’envergure, avec une cinquantaine de participants, conduite alors par Pierre Gattaz. Et aucun chef d’Etat français ne s’y était rendu jusqu’à la visite d’Emmanuel Macron à Nairobi en mars 2019, dans le cadre d’une tournée qui l’avait également conduit à Djibouti et en Ethiopie.
Mais le chemin sera long : comme le relevait une note du Trésor français en avril 2019, malgré une progression constante ces dix dernières années, « le Kenya est encore un partenaire commercial marginal pour la France, qui n’est que le 14ème fournisseur du pays et son 16ème client ». Les exportations françaises sont stables autour de 170 millions d’euros (171 en 2018, 167 en 2019) mais l’excédent en faveur de la France s’érode.
Toutefois, comme l’a rappelé le président kényan devant un parterre d’hommes d’affaires français réunis par le Medef au Cercle Interallié le 2 octobre, la présence française dans le pays progresse, une centaine d’entreprises étant présentes aujourd’hui.
Et les deux pays sont décidés à les inciter à faire plus. « Vous avez un marché extraordinairement jeune avec beaucoup d’opportunités que le président [Uhuru Kenyatta] stabilise alors que le pays fait face à tous les défis que doit affronter l’Afrique, dont celui de la sécurité pour lequel il a fait un travail remarquable, a lancé le président français sur la scène de BPI Inno Generation. Les Français étaient très peu présents, par habitude, parce qu’il n’est pas dans notre radar. Les choses ont profondément changé parce que le Kenya l’a voulu et le veut. Avec le désir de trouver de nouveaux partenaires. »
Emmanuel Macron n’a pas manqué de rappeler que sa visite au Kenya en mars 2019 avait contribué à réveiller les relations économiques entre les deux pays, avec plus de 2 milliards d’euros de lettres d’intention et de contrats engrangés à l’époque et l’arrivée en suivant de grands noms comme PSA, Accor, Carrefour, auxquels s’ajoutent ceux parafés durant la dernière visite d’Uhuru Kenyatta. « Il y a tout un tas de secteur où nous avons des choses à apporter, une nouvelle image de ce que nous sommes et de ce que nous sommes en Afrique » a ajouté le président français.
Renforcer les offres financières
Répondant au dirigeant de Fonroche, qui a insisté sur l’importance d’avoir des financements compétitifs alors que les entreprises font face non plus à « une compétition mais à une guerre », Emmanuel Macron a aussi rappelé les efforts faits par l’Etat français pour améliorer son soutien aux entreprises françaises via la création d’un « guichet unique » de l’accompagnement –« on y est presque » a-t-il observé-, et l’augmentation des capacités de l’Agence française de développement (AFD), du Trésor français et de Bpifrance.
Mais face aux acteurs comme la Chine, qui appuient leurs entreprises par des financements dans des conditions peu transparentes, le président français entend aller plus loin. « Si, depuis des années, le Kenya s’est tourné vers la Chine, c’est parce qu’il amène des financements. Eux ne sont pas dans l’OCDE, ne respectent pas les règles du jeu, contrairement à nous » a lancé Emmanuel Macron.
Pour rappel, pour le seul projet de nouvelle ligne de chemin de fer Mombassa-Nairobi, (400 km, passagers et fret) construite et financée par la Chine et inaugurée en 2017, Pékin avait mobilisé quelque 2 milliards d’euros (sur un investissement total de 2,8 milliards d’euros), en grande partie fournis par la China Eximbank, soit l’équivalent des trois grands contrats signés à Paris par les entreprises françaises le 30 septembre…
Le président français a annoncé que l’AFD allait mettre sur pied une nouvelle stratégie de financement de projets « avec des lignes plus compétitives », et un resserrement des rangs des principaux opérateurs de l’Etat – AFD et Proparco, Bpifrance, Business France- pour créer « une équipe plus structurée et plus compétitive ».
Il a par ailleurs rappelé qu’il organiserait au printemps 2021 « un grand sommet pour redéfinir les règles de financement du développement africain » et parvenir à établir des « règles soutenables », plus claires et transparentes, avec l’invitation de grands pays comme la Chine et les Etats-Unis. « Notre rapport à l’Afrique doit redevenir un pari gagnant-gagnant » a conclu Emmanuel Macron.
Christine Gilguy
*Lire : France-Kenya : 2 milliards de contrats relancent les Français dans les infrastructures