La visite d’État d’Emmanuel Macron en Inde, du 10 au 12 mars, a confirmé la volonté de la France de faire du géant régional un partenaire stratégique. Si de nouvelles commandes militaires ne sont pas venues s’ajouter aux contrats déjà en cours dans la défense (36 avions de combat Rafale et 6 sous-marins Scorpène), l’Élysée a annoncé 20 contrats pour un montant de 13 milliards d’euros, dont 12 milliards pour le seul Safran, « avec 50 % de part française », et 200 millions d’euros d’investissement en Inde.
Safran va ainsi livrer des moteurs d’avions, dont il assurera également la maintenance, à la compagnie à bas prix SpiceJet dans un contexte particulièrement favorable pour le transport aérien, en hausse de 20 % par an. D’après l’aviation civile de l’Inde, l’avion y a été emprunté par près de 117 millions de passagers en 2017.
Le Make in India, une obligation pour Safran
Safran va aussi investir dans une unité de production de câbles à Hyderabad au sud de l’Inde dans le Telangana, qui devrait accueillir à terme 250 personnes. Un projet qui s’inscrit dans le cadre du Make in India, le programme d’industrialisation nationale mis en place par le Premier ministre indien, Narendra Modi, hôte du président français. C’est pour se conformer à cette exigence du numéro un indien que la France a accepté que le premier Scorpène soit fabriqué en Inde par le chantier naval Mazagon Dock, avec son homologue français Naval Group.
Les deux leaders, dont la bonne entente est souvent soulignée, se sont promis d’approfondir encore les partenariats industriels de défense en cours. Safran discute à l’heure actuelle avec l’indien DRDO de la mise au point d’un moteur pour un avion de combat, indiquent-ils dans une déclaration conjointe, publiée le 11 mars à New Delhi.
Outre Safran, deux champions français ont encore arraché des affaires :
- Alstom (75 millions euros) pour deux contrats d’alimentation électrique des métros avec Mumbai Metro Rail Corporation et Jaipur Metro Rail Corporation, le troisième concernant de nouveaux trains pour Chennai Metro Rail Corporation.
- Suez (70 millions d’euros) pour la distribution d’eau potable et la modernisation du réseau de Davangere, dans le sud de l’Inde. Les travaux doivent durer quatre ans. « La ville de Davanagere, l’un des plus grands pôles de produits textiles et agricoles de l’État de Karnataka, figure parmi les 10 municipalités retenues par le programme Smart Cities lancé par le gouvernement indien », indique Suez.
Six EPR à négocier d’ici la fin de l’année
Quant à EDF, l’énergéticien tricolore peut se réjouir de la relance du dossier nucléaire, un volet de la coopération vieux de dix ans et qui se heurte à des contraintes environnementales. Située sur la côte sud-ouest de l’Inde, la centrale de Jaitapur dans le Maharashstra pourrait recevoir six EPR (European Pressurized Reactor), les réacteurs à eau pressurisée de troisième génération du groupe français.
Dans la déclaration commune, « les deux dirigeants ont réaffirmé l’objectif de débuter les travaux de Jaitapur fin 2018 et ont encouragé EDF et NPCIL (Nuclear Power Corporation of India Limited) à accélérer les négociations » pour aboutir à la réalisation de « la plus grande centrale nucléaire du monde avec une capacité totale de 9,6 GW (gigawatts) ».
Si le projet nucléaire était concrétisé, l’Inde aurait plus de chance de parvenir à l’objectif de 40 % d’énergie fossile qu’elle s’est fixé d’ici 2030.
Un axe Paris-New Delhi sur l’économie verte
Fervent défenseur de l’Accord sur le climat signé à Paris dans le cadre de la Cop 21, l’Inde est aussi le promoteur avec la France de l’Alliance internationale solaire (ASI), visant à mobiliser des technologies, des ressources financières et de lancer des projets concrets. L’ASI a ainsi été lancé officiellement pendant le séjour du chef d’État français, le 11 mars. Et le lendemain, Emmanuel Macron et son hôte ont inauguré ensemble la centrale photovoltaïque de Mizapur (100 MW), à 50 kilomètres à l’ouest de Varanasi, construite par Engie.
Dans la déclaration commune, les deux dirigeants réitèrent leur volonté de coopérer en matière d’énergie renouvelable, de mobilité durable, notamment le fer (modernisation de lignes existantes…), et de ville intelligente, en mobilisant toutes les forces.
Côté français, il s’agit de réunir du Medef au Syndicat des énergies renouvelables (SER), en passant par l’Agence française de développement (AFD). En l’occurrence, l’AFD va apporter son assistance technique au ministère français de la Transition écologique et solidaire et l’Institut national pour la transformation de l’Inde (NITI Aayog) en matière de mobilité électrique. Elle prêtera également 100 millions d’euros au gouvernement indien pour poursuivre la coopération en matière de smart cities, déjà engagée dans trois villes : Chandigarh, Nagpur et Pondichéry. Quant aux énergies renouvelables, plusieurs entreprises figuraient dans la délégation du chef de l’Etat, à l’instar de Voltaia, d’Enekio, de Blue Solutions (Bolloré) ou de SunPower (Total).
Aux contrats signés par les grands noms tricolores (Safran, Alstom, Suez), s’ajoute une kyrielle de petits contrats ou protocoles pour Egis (design de trois aéroports), Enia Architectes (design de gares du métro de Pune) ou Roucadil (exportation de pruneaux d’Agen).
La France, en convient l’Élysée, a accumulé beaucoup de retard par rapport à ses concurrents commerciaux. Malgré un bond de 34,07 % de ses ventes à l’Inde en 2017, elle ne détenait que 1,47 % de part de marché, d’après la base de données GTA (groupe IHS Markit). Avec un peu moins de 5,8 milliards d’euros d’importations indiennes, elle occupait ainsi le 19e rang parmi les pays fournisseurs, loin derrière la Chine (63,7 milliards), loin également derrière la Suisse (5e avec 18,3 milliards) et l’Allemagne (10e avec 11,3 milliards).
En marge de la visite présidentielle, Business France a organisé une mission dans l’industrie, l’énergie, les infrastructures, l’environnement, les services, la santé et l’agriculture, composée de 18 entreprises *. Il s’agit de se relancer dans un pays continent de plus d’1,3 milliard d’habitants, dont 600 millions de jeunes de moins de 25 ans. Paris a ainsi initié un programme franco-indien pour promouvoir l’échange des jeunes, qui a été lancé pendant le déplacement du chef de l’État. Des accords bilatéraux ont encore porté sur les migrations et la mobilité des étudiants et des professionnels, ainsi que la reconnaissance mutuelle des diplômes.
Une volonté partagée de soutenir la jeuness
Alors que les 10 et 11 mars, à New Delhi, s’est tenu le premier KnowledgeSummit, une conférence franco-indienne sur la recherche et l’enseignement supérieur, Emmanuel Macron et Narendra Modi ont demandé au Centre franco-indien pour la promotion de la recherche avancée (Cefipra) d’élargir « son rôle (…) en établissant un lien entre les découvertes de la recherche fondamentale et leurs applications technologiques ». La coopération spatiale va être aussi renforcée.
Lors de la visite d’État du président français, le Premier ministre indien a souhaité que « l’Inde participe aux cérémonies de clôture du centenaire de la Première guerre mondiale, qui auront lieu à Paris le 11 novembre 2018 ». Une demande d’autant plus importante que les deux pays fêtent le vingtième anniversaire de leur partenariat stratégique. L’extension du domaine terrestre et maritime de la Chine inquiète à New Delhi. Le 10 mars, un accord pour l’accès des navires indiens aux bases militaires françaises de l’océan Indien a été noué.
La déclaration commune fait allusion à l’organisation régulière d’exercices militaires, comme à la lutte contre le piratage ou le terrorisme dans l’océan Indien. Les deux leaders ont, par ailleurs, souligné leurs convergences sur l’Afrique, notamment sur leur soutien au États du Sahel. New Delhi a fait de ce continent un axe stratégique de sa politique extérieure, en annonçant une coopération pour le développement de l’Afrique. Cette initiative, à laquelle s’est rallié Tokyo, vise à contrer les ambitions de Pékin, qui veut y déployer ses Routes de la soie (**).
François Pargny
* 2PS, Absoger, Accuwatt, Devialet, ECM Technologies, Eldim, Elisath, Famoco, Kerlink, Laboratoire Gilbert, Lyra Network, MCA Process, QOS Energy, Solean, Sigfox, Sterela, Valeco et Vieux Pontet.
** Lire Chine / Afrique : grand commerçant mais petit investisseur, selon T. Pairault
Pour prolonger :
– Enquête : Où exporter en 2018 ? Algérie, Allemagne, Argentine, Indonésie… avec un focus sur l’Inde
-France / Inde : la visite d’Emmanuel Macron reportée au premier trimestre 2018
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