A quelques jours des réunions de printemps des institutions financières internationales, la semaine prochaine à Washington (17-19 avril), la crainte d’un choc protectionniste n’a jamais été aussi vive alors que l’administration Trump tarde à clarifier ses orientations précises en matière de politique commerciale et vis-à-vis de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
En témoigne la publication, le 10 avril à Berlin, d’un rapport commun FMI/Banque mondiale/OMC/OIT/OCDE intitulé « Faire du commerce un moteur de croissance pour tous », qui analyse l’abandon du libre-échange et la montée du protectionnisme depuis la crise financière comme une menace pour la croissance et soutient un commerce plus « inclusif ». Le communiqué commun de ces organisations appelle au contraire à un renforcement du commerce mondial, et a été aussi paraphé par la chancelière allemande Angela Merkel. Il insiste aussi sur l’importance de la lutte contre le changement climatique et de la protection des ressources.
Une prévision de croissance « dans une fourchette allant de 1,8 % à 3,6 % »
L’OMC vient de publier des prévisions quelque peu alarmistes à ce sujet*. Elle prévoit une reprise du commerce mondial de marchandises en 2017 et 2018, soutenue par un redressement de la croissance du PIB mondial à + 2,7 % en 2017 et 2,8 % en 2018 (après 2,3 % en 2016) grâce au regain de dynamisme économique des pays émergents, notamment. La progression du commerce mondial est normalement prévu à + 2,4 % en 2017 (après + 1,3 % en 2016) mais, en raison de l’incertitude politique à court terme « qui rend la prévision plus risquée », l’OMC précise que « ce chiffre est placé dans une fourchette allant de 1,8 % à 3,6 % ». Même prudence pour 2018 : « la croissance du commerce sera comprise entre 2,1 et 4 % ».
Par grandes zones, les prévisions tablent sur une progression des importations de 3 % dans les économies développées et de 0,2 % dans les économies en développement. L’Amérique du nord, avec + 3%, l’Europe, avec + 3,1 % et l’Asie, avec + 2 % seraient les moteurs de cette reprise des importations alors qu’elle serait plus faible pour l’Amérique du sud et centrale (+ 0,1 %) et les autres régions du monde (+0,5 %).
La crainte de « chocs politiques »
Mais l’OMC craint un coup d’arrêt en raison de « chocs politiques », une référence aux menaces protectionnistes portées par les nouveaux leaders aux Etats-Unis, dont on attend qu’ils précisent les mesures qu’ils vont prendre, et en Europe, cette dernière, après le vote du « Brexit », étant dans l’attente des résultats des élections en France et en Allemagne. D’où ces prévisions incertaines.
« Les commandes à l’exportation et les expéditions de conteneurs ont été importantes pendant les premiers mois de 2017, mais la reprise du commerce pourrait être compromise par des chocs politiques » souligne encore l’OMC. Selon les données de l’OMC, le trafic de conteneurs dans les principaux ports s’est redressé après l’effondrement de 2015-2016 et était sur les deux premiers mois de 2017, sur un rythme de croissance annualisé de + 5,2 %. Par ailleurs, toujours sur janvier et février 2017, l’indice mondial des directeurs d’achat pour les nouvelles commandes à l’exportation a retrouvé son niveau record d’octobre 2010.
80 % des pertes d’emplois liés à l’innovation, l’automatisation et les nouvelles technologies…
Pour le directeur général de l’OMC, le Brésilien Roberto Azevêdo, les partisans du protectionnisme comme remède à la faible croissance et au chômage –une allusion aux prise de position de Donald Trump, sans le nommer- font fausse route : « Si les responsables politiques tentent de remédier aux pertes d’emplois dans leur pays en imposant de sévères restrictions aux importations, le commerce ne peut les aider à stimuler la croissance et peut même freiner la reprise » avertit-il.
« Bien que le commerce cause des perturbations économiques dans certaines communautés, ses effets négatifs ne doivent pas être exagérés et ne doivent pas masquer ses bénéfices en termes de croissance, de développement et de création d’emplois », poursuit Roberto Azevêdo. Et de constater qu’en fait, « l’innovation, l’automatisation et les nouvelles technologies sont à l’origine d’environ 80 % des pertes d’emplois dans le secteur manufacturier, pourtant, personne ne conteste le fait que les avancées technologiques profitent à la plupart des gens dans la plupart des cas ».
Pour l’OMC, les mesures de protection « étroitement ciblées » ne sont pas en cause. Les risques de choc proviennent de la menace « des mesures générales ou l’abandon d’accords commerciaux existants » qui « pourraient saper la confiance des consommateurs et des entreprises et nuire au commerce et à l’investissement internationaux ».
A cet égard les positions américaines lors de ces réunions de printemps seront suivies à la loupe. Mais la clarification plus franche de la politique commerciale américaine est attendue pour le G7 de fin mai (26-27 mai) : prévu en Sicile, il réunira, avant le G20 en Allemagne, les dirigeants des pays développés (Allemagne, Canada, Etats-Unis, France, Italie, Japon, Union européenne) en présence de représentants du FMI, de l’ONU et de l’OCDE.
C.G
*Les dernières prévisions et le communiqué de l’OMC sont en ligne en français sur le site de l’organisation : www.wto.org/french/