Quand il était directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), Pascal Lamy avait coutume de dire que pour mieux exporter, il faut mieux importer. Une conviction étayée par un chiffre : le contenu des importations dans les exportations passerait de 40 à 60 % en 2033.
Pour autant, ce type de discours, s’il est compris de la sphère économique, ne passe pas auprès de la classe politique. Au point « qu’on en est toujours à dire que si la balance commerciale de la France n’est pas bonne, c’est à cause de l’importation, c’est parce qu’on importe trop, alors qu’en vérité, c’est parce qu’on n’exporte pas bien », selon Alain Rosaz (notre photo), le président de la Fédération des entreprises importatrices de la mécanique et l’électronique (Ficime).
Les trois grandes vertus des importations
De plus en plus agacée par ces contre-vérités, la Ficime a commandé au cabinet Asterès une étude, visant à « défendre l’image des importations comme source de croissance économique ». Intitulé « Importations : une source de croissance économique à réhabiliter », ce rapport d’une trentaine de pages a été présenté à la presse par son auteur, le directeur-fondateur du cabinet Asterès, Nicolas Bouzou, le 14 juin.
Les importations auraient ainsi trois grandes vertus :
- Elles garantissent une formidable liberté de choix pour les consommateurs et les entreprises. « Environ 40 % de la consommation de produits manufacturés concernent des biens importés. Sans ces produits, le bien être des individus ne serait pas aussi considérable. Et ce serait pire pour les entreprises », a fait valoir Nicolas Bouzou.
- Les importations soutiennent la compétitivité des entreprises, leur capacité à innover et à créer des emplois. Sur la base de travaux du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii), Asterès a calculé que des achats hors de France résultait un gain de pouvoir d’achat entre 1,8 et 3,5 % du produit intérieur brut (PIB) et que « ça rapporte, a insisté l’économiste français, entre 500 000 et 1 million d’emplois ».
- Les importations stimulent les exportations. Le rapport met en valeur le fait que « diversifier les fournisseurs permet de minimiser les risques d’approvisionnement, et donc de sécuriser les capacités à exporter » et que « l’importation contribue à la culture et à l’expertise internationale des entreprises en multipliant les contacts à l’étranger ».
68 % des entreprises à la fois exportatrices et importatrices
La France devrait faire mieux. Son voisin, l’Allemagne, achète à l’étranger plus de biens intermédiaires que la France et exploite mieux les avantages comparatifs de la chaîne de valeur mondiale en s’implantant dans les pays voisins. Or, importer des biens intermédiaires a un effet positif sur la compétitivité et les exportations. Doubler le nombre de variétés de produits importés des pays développés permettrait ainsi d’élever de 4 % la productivité en moyenne. L’effet serait même 60 % supérieur si les approvisionnements ont comme origine un pays en développement.
Le rapport Asterès rappelle qu’en France « la grande majorité des entreprises exportatrices sont également importatrices (68 %) » et que « plus des trois-quarts de la valeur ajoutée totale des exportations françaises sont effectuées par des firmes importatrices ». Aujourd’hui, les filières les plus intégrées dans les chaînes de valeur internationales sont aussi en France les plus exportatrices : transport, automobile, chimie, matériel électrique.
Rebondissant sur « le retard du débat politique sur le débat économique » évoqué par Alain Rosaz, Nicolas Bouzou a évoqué le cas du bâtiment et des travaux (BTP), un secteur en France « qui fait preuve de compétitivité, qui a acquis une réputation mondiale, qui affiche beaucoup d’emplois et beaucoup d’exportations ». D’après lui, le BTP ne pourrait pas être aussi performant « sans importations de produits intermédiaires et de biens d’équipement ».
Réduire les importations apparaît donc comme une solution de facilité émise par des responsables politiques pour limiter le déficit commercial de la France.
Taxer, la mauvaise politique de D. Trump pour les États-Unis
Actualité oblige, Nicolas Bouzou n’a pas pu s’empêcher de faire un petit crochet par les États-Unis pour évoquer la dangerosité d’une politique protectionniste à une époque de mondialisation et d’échanges croisés. Il est ainsi persuadé que « de mettre des obstacles aux importations de la Chine » ne va pas aboutir à limiter le déficit commercial américain, mais, au contraire, à l’augmenter.
Le véritable responsable du solde négatif des échanges est « le taux d’épargne proche de zéro qui se traduit par une demande colossale ». Or, selon le directeur d’Astarès, « la réforme fiscale américaine en accroissant la demande va aussi conduire à une hausse du déficit commercial ».
« L’absurdité des politiques protectionnistes » s’expliquerait, selon lui, par le fait que « l’entreprise est de plus en plus mondiale et donc à la fois exportatrice et importatrice et que les entreprises qui importent le plus sont aussi celles qui exportent le plus ».
Dans le cas des États-Unis, en taxant l’acier et l’aluminium, Donald Trump satisfait, certes, les fabricants de ces produits, mais aux dépens de tous les secteurs qui sont les utilisateurs et dont les emplois représentent quarante fois ceux de l’acier et l’aluminium. Nicolas Bouzou pense notamment à l’automobile, une industrie « aux États-Unis juste en reprise, après une crise effroyable » et très symbolique du fractionnement de la chaleur de valeur mondiale.
« C’est pourquoi, a-t-il confié, j’ai dit à la Commission européenne de ne pas rentrer dans des mesures de rétorsion, mais de faire des réponses politiques en ciblant des produits, comme les motos Harley Davidson et le beurre de cacahuète dans des États politiquement importants pour Donald Trump ». L’avantage d’une telle position serait « de ne pas se mettre dans une position de faiblesse ».
François Pargny