Les milieux d’affaires et les administrations multiplient les réunions d’information auprès des entreprises et se mobilisent depuis plusieurs semaines de ce côté-ci de la Manche, en France et dans le reste de l’Union européenne (UE), pour se préparer à un Brexit sans accord, ce redouté no deal dont le scénario devient chaque jour plus plausible avec les divisions de la classe politique britannique. De l’autre côté de la Manche, les Britanniques aussi. A commencer par la mise en place de mesures temporaires sur le plan douanier dans le cadre d’un plan d’urgence visant à limiter les risques de rupture brutale des approvisionnements en provenance de l’UE. Une revue des principales mesures à connaître par les exportateurs français qui ont des clients ou des partenaires au Royaume-Uni s’impose.
Désarmement douanier
La première mesure a été confirmée le 13 mars par le secrétaire d’État à la politique commerciale, George Hollingbery, au lendemain du nouveau rejet par les parlementaires britanniques du projet d’accord de retrait négocié par la Première ministre britannique Theresa May avec l’Union européenne.
Il s’agit d’un désarmement douanier partiel unilatéral et temporaire – d’une durée pouvant aller jusqu’à 12 mois- consistant à ne pas rétablir le régime OMC mais à exempter de droits de douane un certain nombre de produits fournis par l’UE et le reste du monde et représentant, selon le gouvernement britannique, 87 % des importations du pays. A l’heure actuelle, 80 % des importations britanniques seraient sans droits de douane, incluant les approvisionnements en provenance de l’UE qui en sont exemptés dans le cadre de l’Union douanière.
Des droits de douanes seront réduits mais maintenus pour des produits jugés sensibles pour les producteurs britanniques, notamment du secteur alimentaire : bœuf, agneau, porc, volaille et certains produits laitiers, etc. Pour le secteur automobile, si les véhicules importés sur pied ne seront pas exemptés (10 % de droits de douane en provenance de l’UE), les constructeurs installés sur le sol britannique ne seraient pas soumis à des droits de douane supplémentaires sur les pièces importées de l’UE afin d’éviter toute perturbation des chaînes d’approvisionnement. D’autres produits tels que fertilisants, carburants, céramique se verront également appliqués des tarifs.
Par ailleurs, les biens importés d’Irlande ne se verront imposer ni droits de douane, ni contrôle douanier, ni une quelconque inspection physique à la frontière avec la province britannique d’Irlande du Nord (Ulster). Le gouvernement a mis en ligne le 13 mars, sur son site, un guide explicatif spécifique pour cette question irlandaise : EU Exit : Avoiding a hard border in Northern Ireland in a no deal scenario.
Guide du Brexit à l’usage des entreprises
Le gouvernement britannique, à l’instar de ses homologues européens, comme la France, a mis par ailleurs en place un guide du Brexit à l’usage des entreprises* dont il est utile de retenir quelques éléments importants à connaître pour les exportateurs français en cas de no deal.
Le premier point important est que les Britanniques ont fait le choix de transposer quasiment tel quel le système douanier européen : « le gouvernement britannique a cloné le Code des douanes de l’Union en reprenant même les sigles des procédures » confirme Evelyne Irigaray, déléguée de l’ODASCE, association professionnelle françaises qui regroupe des experts en réglementations douanières. Autrement dit, la réglementation douanière britannique reste et restera largement similaire à celle de l’UE.
Des procédures simplifiées transitoires
Mais en cas de no deal, le gouvernement a prévu de mettre en place un certain nombre de facilitations pour éviter les blocages. La principale est le régime des Procédures simplifiées transitoires – en anglais Transitional Simplified Procedures (TSP)– qui vise à limiter les sources de blocage administratives au lendemain du 29 mars. Un décret en précise les modalité (voir le document en anglais attaché à cet article).
Réservées aux seules sociétés établies au Royaume-Uni, les procédures TPS leurs permettront d’être exemptées d’un certain nombre de déclarations préalables à l’importation des produits, par exemple l’ENS (Entry summury declaration, en français Déclaration sommaire d’entrée), prévue dans le cadre du dispositif européen de sécurisation des échanges ECS (Export control system).
Le TPS leur permettra également de bénéficier du régime temporaire d’exemption des droits de douanes prévu par le gouvernement britannique si les produits importés sont éligibles.
Un numéro EORI Made in GB
Seule condition pour obtenir ce statut : avoir son numéro d’identification unique GBEORI, délivré par les douanes britanniques.
L’EORI (Economic Operator Registration and Identification) est un numéro d’identification unique des opérateurs économiques européens qui a été créée par l’UE à la fin des années 2000 dans le cadre de l’harmonisation du marché unique et du cadre douanier européen. Il est délivré, dans chaque pays, par l’administration douanière nationale et est devenu un vrai sésame pour le commerce dans le cadre du Code des douanes de l’Union (CDU), qui pousse à accélérer la digitalisation des procédures douanières et réglementaires. Les Britanniques en ont en fait conservé le dispositif tout en l’adaptant à leur nouveau statut de pays non membre de l’UE.
Les exportateurs français auront donc intérêt à demander à leurs partenaires commerciaux outre Manche s’ils disposent de leur nouveau numéro « GB EORI ». D’autant plus que les Britanniques, qui ne misaient pas sur un no deal il y a encore quelques semaines, n’ont accentué que récemment leurs efforts d’information des entreprises sur ce point : « cela fait seulement trois semaines que les autorités britanniques ont déclenché une importante campagne d’information sur le numéro EORI » confirme Evelyne Irigaray. Celle-ci relève par ailleurs que le nouveau système informatique douanier de télé-déclaration que les autorités britanniques avaient mis en chantier dans le cadre du Brexit « ne sera pas prêt » pour fin mars.
Mais de ce côté-ci de la Manche, l’impréparation de nombreux opérateurs, en particulier les très petites entreprises qui n’ont jamais commercé en dehors de l’UE, sera aussi un vrai challenge : « elles ont juste un numéro de TVA, pas de numéro EORI », explique la déléguée de l’ODASCE. « De gros efforts de formation sont actuellement faits par les pôles d’action économique des douanes mais toucher ces TPE qui n’ont fait que du commerce intracommunautaire et n’ont aucune expérience des formalités en extracommunautaire est un problème, constate Evelyne Irigaray. Nombreuses sont celles qui risquent de se retrouver bloquées du jour au lendemain ».
Christine Gilguy
*Lien vers le site officiel : https://www.gov.uk/business-uk-leaving-eu