Comment les pays non africains, et notamment la France, sont-ils perçus en Afrique ? Quel regard portent les chefs d’entreprises, les décideurs politiques, les artistes ou encore les blogueurs les plus influents du Continent sur leurs actions ? La France jouit-elle d’une bonne image ? Les marques tricolores sont-elles appréciées ? Autant de questions auxquelles le nouveau baromètre Africaleads du Conseil français des investisseurs en Afrique – CIAN tente d’apporter des réponses.
Réalisée par l’institut français IMMAR Research & Consultancy, spécialiste des études médias et marketing en Afrique subsaharienne et Afrique du Nord, l’enquête a été menée entre juin et septembre 2018 auprès d’un panel de 1 244 « leaders d’opinion »* concentrés dans les grandes villes de huit pays africains francophones : Algérie, Maroc, Tunisie (Maghreb) ; Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Sénégal (Afrique de l’Ouest) ; Cameroun, République démocratique du Congo (Afrique centrale).
Les résultats ont été présentés en avant-première à la presse le 7 février, à la veille du Forum Afrique 2019 MOCI – CIAN, organisé ce 8 février à la Chambre de commerce et d’industrie de Paris Ile-de-France où ils ont été rendus publics. Et ils ne sont pas très bons pour la France.
La France au 5ème rang en termes d’image
« Il faut interpréter avec un peu de prudence les chiffres », a prévenu Étienne Giros, président délégué du CIAN, avant la présentation des résultats. Comme il s’agit du premier baromètre, « il n’y a pas d’éléments de comparaison », a-t-il fait remarquer. En outre, les résultats pour la France pourront évoluer soit de façon positive ou négative dans la deuxième édition du baromètre qui sera réalisée fin 2019.
Mais les résultats sont sans appel. L’Allemagne, la Chine et les États-Unis sont, dans l’ordre, les trois pays non africains dont les leaders d’opinion africains francophones ont « la meilleure image ». Recueillant seulement 21 % d’opinion favorable, la France fait pâle figure et se situe à la cinquième place devancée par le trio de tête, devancée même par le Japon, 4e. Un résultat « assez douloureux pour nous autres Français », a concédé Étienne Giros, mais à relativiser tout de même.
Comment expliquer la bonne position de l’Allemagne ? C’est « un pays qui dégage une image de rigueur et de qualité pour ses produits », a commenté Brahim Saïl, CEO d’IMMAR R&C. Pour le président délégué du CIAN, il faut aussi y voir l’effet de l’initiative ‘Compact with Africa’ initiée sous la présidence allemande du sommet du G20 de 2017, pour promouvoir l’investissement privé en Afrique. Également à verser à l’actif de Berlin, la politique d’immigration d’Angela Merkel qui avait ouvert ses frontières à 1 million de migrants en 2015.
S’agissant des États-Unis, « c’est un pays qui fait rêver », a rappelé Étienne Giros, et ce, malgré la politique plutôt hostile de Donald Trump à l’égard de l’Afrique.
Quant à la France, si elle ne jouit pas de la meilleure image auprès des leaders d’opinion, ses entreprises et ses marques sont, elles, parmi les premières qu’ils citent spontanément. À la question « Quelles sont les entreprises ou les marques présentes en Afrique dont vous avez la meilleure image ? », Orange se hisse ainsi juste après Toyota. Dans le Top 10 des entreprises et marques les plus appréciées des leaders d’opinion africains, figurent aussi bien le groupe Total que le constructeur automobile Renault ou le champion du génie civil Sogea Satom, filiale du groupe Vinci.
La France, 7ème partenaire « le plus bénéfique »
Cependant, cette bonne tenue des marques est un lot de consolation très relatif. Car à la question « Qui sont les partenaires les plus bénéfiques pour le Continent ? », là encore la France ne figure pas en très bonne posture surclassée par le trio composé de la Chine, du Japon et de l’Allemagne.
Seulement 53 % des personnes interrogées dans le cadre de l’enquête Africaleads considèrent la France comme « un partenaire bénéfique pour l’Afrique » tandis que la Chine est citée par 81 % des leaders d’opinion, comme l’Allemagne. « La douleur est lourde là aussi pour la France », a glissé Étienne Giros devant ce résultat qui interroge.
Traduit-il l’érosion du pouvoir d’influence de la France ? Sanctionne-t-il ce qui est perçu comme de l’ingérence, ou relève-t-il de raisons historiques ? Là encore, pour le président délégué du CIAN, il convient d’être nuancé. Le passé colonial de la France pèse et la présence militaire française au Mali est désormais davantage perçue comme une force d’occupation tandis que « les Chinois construisent en Afrique des routes, des stades, des hôpitaux », a estimé Étienne Giros. Si la France veut être mieux classée, « il faut qu’on soit plus agressif vis-a-vis de nos nouveaux concurrents », a-t-il conclu.
Des leaders d’opinions optimistes sur leur futur
Le baromètre s’intéresse également à la vision des leaders d’opinion sur leur futur qui, pour le coup, est plutôt révélateur d’optimisme. L’enquête révèle ainsi que plus de la moitié (56 %) d’entre eux sont confiants pour leur avenir à horizon cinq ans. « Les plus optimistes sont les Marocains et les Burkinabés tandis que les moins optimistes sont les Camerounais, les Tunisiens et les Congolais », a développé Brahim Saïl.
En ce qui concerne les domaines ayant « le plus progressé en Afrique ces cinq dernières années », 75 % des interrogés citent le numérique et 55 % les transports. A contrario, 58 % des leaders d’opinions du Continent jugent que la sécurité s’est détérioré au cours de ces cinq dernières années ainsi que la politique (45 %) et l’emploi (43 %). Pour Brahim Saïl, ces réponses mettent en évidence « le réalisme » des leaders d’opinion « vis-à-vis de la gouvernance publique » de leurs pays.
Trois défis prioritaires se dégagent à leurs yeux : l’éducation et la formation ; la lutte contre la corruption ; la sécurité.
« L’Afrique est le continent de demain, c’est le relais de croissance de la planète », a insisté Étienne Giros. « Il faut y aller », a-t-il renchéri. Mais pour inciter les entreprises françaises à investir en Afrique, il faut leur donner une vision du climat des affaires et de l’atmosphère sociale. C’est l’objectif du Baromètre CIAN des leaders d’opinion en Afrique réalisé par IMMAR R&C. La prochaine édition intégrera trois nouveaux pays d’Afrique anglophone : le Nigeria, l’Éthiopie et le Kenya afin d’affiner encore l’analyse.
Venice Affre
*Le panel était composé des décideurs du secteur public (leaders politiques, hauts fonctionnaires) et du secteur privé (chefs et hauts cadres d’entreprise, professions libérales), l’enquête a recueilli l’opinion des universitaires, des membres éminents de la société civile, des autres personnalités publiques (artistes, sportifs…), des professionnels des médias (journalistes et influenceurs/blogueurs) ainsi que celle des chefs religieux.
Pour prolonger :
Nouvelle publication du Rapport 2019 du CIAN – Les entreprises internationales en Afrique, co-réalisé et édité par Le MOCI, édition 2019