Calculer le prix d’un kilo de fret transporté par avion est une opération complexe qui fait intervenir plusieurs critères. Les chargeurs dénoncent l’opacité des surcharges appliquées par les compagnies aériennes.
Le coût du fret aérien continue de grimper. D’après le ministère des Transports, il a augmenté de 5 % au quatrième trimestre 2010, alors que les prix de la manutention et du fret express restaient stables (- 0,1 %).
Sur un an, les prix du fret augmentent de 13,5 % en moyenne annuelle par rapport à 2009 après avoir chuté de 22,8 % entre 2008 et 2009. Les destinations pour lesquelles les prix ont bondi en 2010 sont le Moyen-Orient et la zone Asie Pacifique avec + 22,4 %, suivies par l’Amérique du Sud et Centrale (+ 21,2 %) et l’Amérique du Nord (+ 17,3 %).
En revanche, le prix du fret express est en baisse en moyenne annuelle : les prix sont en recul de 1,9 % en 2010, faisant suite à une baisse de 0,8 % l’année précédente.
Calculer un coût au kilo ou à la tonne de fret transporté par avion est une opération compliquée. Le coût du fret aérien est égal au poids taxable (toujours à l’avantage de la compagnie aérienne) multiplié par le prix au kilo. Mais il existe plusieurs systèmes de tarifications.
D’abord, le tarif général (ou general cargo) s’applique d’après un barème par tranches de poids. Ce système de tarif, déterminé par l’IATA (1), est harmonisé et s’entend d’aéroport de départ à aéroport d’arrivée.
Ensuite, il existe des tarifs dits « co-rate » (commodity rates) concernant certaines catégories de marchandises à envois fréquents et continus (périodiques, médicaments, tabacs, etc.). Enfin, les tarifs ULD (United Load Device) sont appliqués pour les envois rassemblés en conteneurs de groupage.
De plus, il existe des tarifs spéciaux pour des chargements comme les automobiles, les œuvres d’art ou encore les animaux vivants. Autre particularité du fret aérien : le poids volumétrique. Lorsque la densité d’une marchandise excède 6 dm3 au kg, l’expédition est taxée sur la base d’un correctif volumétrique, que voici. Par exemple : une expédition de 2 kg occupant un volume de 12 dm3 sera taxée sur la base de 2 kg (parce que = 2×6 dm3). Une expédition de 1 kg occupant un volume de 12 dm3 sera taxée sur la base de 2 kg également. Autre composante essentielle du tarif de fret : le carburant. Son coût peut représenter jusqu’à 50 à 80 % du prix sur les longues distances comme l’Asie, par exemple.
Le prix du kérosène entre pour près de 20 % dans le coût d’exploitation des appareils commerciaux. Il dépend de deux variables : le cours du Jet Kero (ou Jet A1), le carburant pour avions, et celui du dollar US, monnaie d’achat.
Les compagnies aériennes ont donc adopté un dispositif, appelé « fuel surcharge », qui, passé un certain niveau de Jet Kero, déclenche une surcharge tarifaire facturée au poids. Les modalités de ce dispositif diffèrent selon les compagnies aériennes.
À ces tarifs se sont ajoutées après le 11 septembre 2001 des taxes diverses. « Avant cette date, les compagnies avaient un tarif au kilo « all in » (tout compris). Ensuite sont arrivées des lignes supplémentaires sur la facture, comme les assurances contre le risque de terrorisme et de guerre, appelées IRC pour Insurance Risc Crisis. Sans oublier la “fuel surcharge” dont les fluctuations sont constantes. Ce qui conduit à des situations aberrantes où le prix du fret de base, qui n’a pratiquement pas bougé en dix ans, est inférieur au montant des taxes diverses », décrypte Joël Glusman, président du commissionnaire Qualitair & Sea.
Cette opacité est également décriée par les chargeurs. « Les industriels souhaitent une seule ligne de facturation. Les compagnies, les sociétés de “handling” (manutention) et les transitaires ont le droit de faire une marge, mais sur le taux de fret, pas sur l’IRC ou le kérosène », proteste Ramiro Dias, président de la commission air à l’Association des utilisateurs de transport de fret (AUTF) qui représente les chargeurs.
Problème : les compagnies aériennes ne souhaitent pas traiter directement avec les chargeurs et préfèrent passer par des commissionnaires de transport. « Mais ces derniers achètent le fret en « all in » et le revendent au détail en recréant des surcharges. Ils ont intérêt à ce que les tarifs restent obscurs », dénonce Philippe Bonnevie, délégué général de l’AUTF.
Face à ces critiques, SDV (groupe Bolloré), premier commissionnaire en volume pour le fret aérien français, réfute toute opacité sur les tarifs de fret. « Nous ne faisons aucune marge sur les taxes. De plus, toutes nos factures comportent une partie fret et une partie “taxe” détaillée. Et nos clients sont tenus informés de l’évolution des taxes perçues par les compagnies aériennes », explique Claude Picciotto, directeur achats fret aérien Europe. Il rappelle aussi que le prix « yield » (hors taxes) du fret évolue peu. Il est passé de 1,13 euro par kg en 2009 à 1,25 euro en 2010.
Air France KLM récuse également les accusations d’opacité des tarifs de fret. « Nos prix sont publics, et l’évolution de la “fuel surcharge” suit les fluctuations du prix du baril de pétrole brut en fonction d’un mécanisme de calcul disponible sur notre site Internet. Mais il est vrai que le calcul de la surcharge peut paraître compliqué avec des prix en dollars ou en euros, par tranches de 5 ou 10 centimes, d’autant qu’il n’est pas le même en fonction des compagnies », argumente Pierre-Olivier Bandet, senior vice-président marketing et réseau d’Air France KLM Cargo.
Le durcissement des réglementations internationales sur la sécurité ou l’environnement, comme la taxe sur le CO2, vont ajouter de nouvelles surcharges au prix du fret de base. « L’affaire du Yémen (2) va relancer le processus réglementaire. Et L’Europe ajoute des couches de réglementation », énumère Philipe Bonnevie pour qui, c’est certain, « les tarifs de fret ne risquent pas de baisser ».
Patrick Capelli
(1) International Air Transport Assocation (IATA) qui regroupe 230 compagnies aériennes représentant 93 % du trafic mondial.
(2) En octobre 2010, des bombes dissimulées dans des imprimantes ont été découvertes à Dubaï et en Grande-Bretagne dans les soutes d’appareils en provenance du Yémen et à destination des États-Unis.
Air France KLM renoue avec les bénéfices
Après deux ans de pertes dues à la crise financière, l’activité cargo est à nouveau en croissance chez Air France KLM, premier transporteur de fret mondial. En 2010, le chiffre d’affaires cargo a atteint 3,16 milliards d’euros, en progression de 29,5 %. La compagnie a mis en place depuis 2008 une stratégie de réduction du tout-cargo, passant de 25 à 14 appareils dédiés au transport de fret. Elle a en revanche renforcé sa politique de mix cargo, en développant les capacités des soutes des avions passagers qui représentent désormais 70 % de son offre cargo. Ces efforts lui ont permis d’augmenter le coefficient de remplissage de ses soutes de 66,5 % en 2009 à 68,4 % en 2010, et de passer d’un résultat d’exploitation négatif de – 436 millions d’euros à + 69 millions. L’objectif initial d’Air France, diviser par deux les pertes du fret, a donc été largement dépassé. Mais la compagnie reste prudente : « Nous avons subi des pertes de plus de 700 millions d’euros sur l’activité cargo durant les six trimestres de crise.
Ce qui nous a conduit à réduire la capacité tout-cargo et à effectuer un contrôle strict des coûts. Les estimations de croissance du transport de fret tournent autour de + 2 à + 4 %, et celles des capacités, à + 6 %. Il y a donc toujours un risque de surcapacité », avertit Pierre-Olivier Bandet, senior vice-président marketing et réseau d’Air France KLM Cargo. Ce qui n’empêche pas Air France KLM d’adapter sa politique lorsque des destinations connaissent une reprise forte, comme Shanghai ou Hong Kong. « Le tout-cargo reste fragile, mais nous nous adaptons aux évolutions. Nous avons par exemple rétabli la liaison tout-cargo sur Tokyo/Séoul en septembre dernier et nous nous en félicitons », précise Pierre-Olivier Bandet. Le fret représente 12 % des recettes totales du groupe, et il participe à la rentabilité des nouvelles lignes ouvertes par la compagnie franco-néerlandaise. « Nous allons ouvrir une ligne sur Lima (Pérou) fin mai, et, dans le business plan, la partie cargo a fait la différence dans la décision de mettre en service cette liaison », ajoute le directeur marketing réseaux et alliances.
P. C.