Le 7 octobre, la commission Commerce international (INTA) du Parlement européen a donné son feu vert à une large majorité à Valdis Dombrovskis pour prendre le portefeuille du Commerce, l’un des plus exposés et des plus stratégiques au sein de l’exécutif communautaire. Il remplace l’Irlandais Phil Hogan, poussé à la démission fin août par son gouvernement pour n’avoir pas respecté les mesures visant à lutter contre la pandémie de coronavirus.
Un conservateur qui a su ratisser large
Rôdé à l’exercice – déjà commissaire dans la Commission Juncker, il a ensuite été promu Vice-Président exécutif en charge des questions économiques dans l’équipe d’Ursula Von der Leyen – Valdis Dombrovskis a passé avec succès son grand oral au Parlement européen vendredi 2 octobre.
Il a livré une « très solide performance » commentait sur Twitter Bernd Lange, le Président de la Commission INTA, ajoutant : « j’apprécie son souci du détail et ses engagements clairs, une performance très rafraîchissante par rapport à d’autres auditions ». Des compliments plutôt rares de la part de ce socialiste allemand, grand expert des questions commerciales.
« Il paraît vraiment disposé à travailler avec le Parlement », confiait au Moci Saskia Bricmont. Pour cette écologiste belge, également membre de la Commission INTA, l’homme a les épaules et la flexibilité requise pour assumer une telle fonction, « Il faudra qu’il précise ses engagements, notamment en matière de droits de l’homme, mais il semble avoir intégré la nécessité d’adapter notre politique commerciale aux exigences du pacte vert », reconnait-elle.
Issu des rangs de la droite conservatrice (PPE), l’ex Premier ministre letton a su ratisser large. Avec 515 de voix en sa faveur, 110 contre et 70 abstentions, il dispose désormais d’une forte légitimité pour mettre en œuvre l’agenda commercial de la Commission Von Der Leyen.
Nouvelles priorités sur la feuille de route
Programmée début 2021, cette feuille de route devra fixer les nouvelles priorités de l’exécutif en matière de commerce et d’investissement et « contribuer à la relance de l’économie d’une manière durable, inclusive et équitable », a indiqué Valdis Dombrovskis.
Dans la droite ligne des orientations définies par sa Présidente, il insiste également pour que la refonte de la politique commerciale de l’UE favorise « la construction d’un modèle d’autonomie stratégique ouverte de l’Europe ».
S’il défend les vertus du multilatéralisme – la réforme de l’OMC est pour lui une priorité – il préconise toutefois une utilisation plus « efficace et plus systématique » des instruments de coercition dont dispose l’UE. « L’Europe doit s’affirmer davantage », a-t-il insisté.
Pour combattre les pratiques déloyales de certains partenaires commerciaux, le Letton s’est notamment engagé à proposer de nouveaux outils qu’il a qualifié de mécanisme « anti-coercition » et qui s’appliqueraient si des restrictions commerciales ou de nouveaux droits de douane étaient imposés à l’UE, y compris contre les États-Unis si nécessaire.
Concernant la Chine, Valdis Dombrovskis compte bien conclure l’accord d’investissement en cours de négociation tout en s’assurant que les relations commerciales soient « restructurées afin d’être réciproques, équilibrées et équitables ».
« Ce n’est pas un libéral pur jus »
« Ce n’est pas un libéral pur jus », estime Saskia Bricmont qui le juge moins « intraitable » que son prédécesseur en particulier sur l’accord de libre-échange UE / Mercosur, « que Phil Hogan défendait becs et ongles malgré les critiques », rappelle-t-elle.
Opposé à la renégociation de ce traité commercial conclu en juin 2019 avec les pays d’Amérique du Sud (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay), il admet cependant que l’UE devait « trouver des solutions durables pour la région amazonienne » avant de ratifier cet accord.
Reste à savoir les pistes envisagées pour sortir de l’impasse ce pacte commercial négocié pendant deux décennies. Mise au frigo ? Ajout d’une annexe juridiquement contraignante ?
Un caractère « trop lisse » ?
« A force de vouloir contenter tout le monde on a du mal à y voir clair », déplore Emmanuel Maurel qui siège lui aussi au sein de la Commission INTA. Pour cet eurodéputé français, issu de la gauche radicale au PE, le caractère « trop lisse » du vice-Président letton risque de lui porter préjudice lors de négociations potentiellement musclées avec des partenaires comme la Chine ou les États-Unis.
Réservé, voire « raide » comme le décrivent certains, Valdis Dombrovskis n’a pas le bagou de son prédécesseur Phil Hogan, plutôt apprécié de ses homologues américains. Avec ses discours méticuleusement préparés mais sans emphase « il risque de ne pas faire le poids face à des personnalités telles que Donald Trump ou Boris Johnson, avec qui il sera forcément amené à négocier », pronostique Paolo De Castro, juriste au sein de la Commission du Commerce international au PE.
L’homme ne doit pas être sous-estimé pour autant, avertit un ancien membre de son cabinet à la Commission. Car derrière ses allures de technocrate et son air affable, « il sait tracer son chemin en toute discrétion », ajoute cette même source. Et son parcours l’atteste.
Une étoile montante de la droite européenne
Ancien ingénieur en physique, Valdis Dombrovskis est devenu une des étoiles montantes de la droite européenne après avoir dirigé trois gouvernements successifs entre 2009 et 2014.
Lorsqu’il devient Premier ministre, la Lettonie est plongée dans une crise économique sévère et frise le défaut de paiement. Sa politique d’austérité budgétaire porte rapidement ses fruits et permet même à cet Etat balte de rejoindre la zone euro en 2014.
Cette année-là, après avoir démissionné de ses fonctions à la suite de l’effondrement d’un supermarché à Riga, il entame sa carrière européenne en se présentant contre Jean-Claude Juncker pour obtenir l’investiture du PPE et briguer présidence de la Commission. Considéré comme un rival gênant, le Luxembourgois lui propose de se retirer de la course en échange d’un poste stratégique dans son équipe. A l’issue des élections, il devient ainsi vice-Président en charge des Services financiers.
A nouveau proposé par son pays pour siéger dans la nouvelle commission, présidée par Ursula Von der Leyen, Valdis Dombrovskis se voit gratifié du poste de vice-Président exécutif aux côtés de la libérale Margrethe Vestager et du socialiste Frans Timmermans.
Moins populaire, plus effacé que ses deux collègues, il dispose de nombreux atouts aux yeux de l’ex. ministre allemande : très pointu sur les dossiers économiques, il est membre comme elle du PPE et ne lui a pas été imposé par les 27 chefs d’État et de gouvernement au nom des équilibres entre grandes familles politiques européennes.
« Personne ne l’a vu venir », relate un ex. conseiller de Jean-Claude Juncker. Mais il s’est révélé être un fin tacticien plus doué quand il œuvre en coulisses que dans la lumière des projecteurs ».
Une grande connaissance des dossiers
Un atout qui pourrait devenir une faiblesse avec la gestion du portefeuille au Commerce, l’un des plus stratégique mais aussi l’un des plus exposés au sein de l’exécutif communautaire.
« Je ne crois pas, réfute Saskia Bricmont. Sur la scène européenne, on n’a pas besoin de stars mais de personnalités rompues à l’art de la négociation et de la concertation », analyse l’eurodéputée belge.
Et c’est sans doute l’une des raisons qui explique le large appui dont il dispose au Parlement européen. « S’il n’est pas encore un spécialiste des questions commerciales, ses réponses lors de l’audition témoigne d’une grande connaissance des dossiers, même dans leurs aspects les plus techniques », souligne un expert de la Commission INTA, faisant ainsi écho aux déclarations de son Président Bernd Lange.
Mais les défis seront nombreux et Valdis Dombrovskis devra montrer un profil plus politique lorsqu’il s’agira de négocier les dossiers brûlants tels que le Brexit, les relations transatlantiques ou l’accord d’investissement UE / Chine que la Commission ambitionne toujours de conclure d’ici à la fin de l’année.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles