Pour les Européens, l’élection de Jo Biden est une occasion historique de jeter les bases d’un nouveau partenariat avec les États-Unis. « Il s’agit de réfléchir et de prendre l’initiative », résume un diplomate à Bruxelles. Plus question d’attendre passivement un signal de Washington, l’Union européenne (UE) « se doit d’être une force de proposition », insiste cette même source. Et chaque institution veut apporter sa pierre à l’édifice.
Oublier les années Trump
Cette semaine, deux documents ont été publiés, l’un par le Conseil (organe de représentation des États membres), lundi 30 novembre, l’autre par la Commission, deux jours plus tard. Les deux textes visent à nourrir la réflexion sur le futur des liens transatlantiques, un dossier inscrit au menu du prochain sommet (virtuel) des chefs d’État et de gouvernement les 10 et 11 décembre prochain.
S’ils diffèrent sensiblement dans leur format, les documents « doivent être considérées comme étant largement complémentaires et compatibles », souligne un fonctionnaire européen. L’objectif final reste en effet le même : oublier les années Trump et se concentrer, à l’avenir, sur les domaines de coopération possibles entre les deux blocs.
Revenir à l’OMS, calmer le jeu avec la CPI
Adopté le 30 novembre par les ambassadeurs des Vingt-sept, le texte non-officiel de deux pages doit – à court terme – servir de base de travail lors du conseil européen prévu les 10 et 11 décembre, et – à moyen terme – préparer un autre sommet UE/États-Unis après l’investiture de Jo Biden programmée le 20 janvier.
Cinq domaines sont ciblés : la lutte contre la pandémie, l’agenda économique, la lutte contre le changement climatique, le renforcement du système multilatéral et la promotion de la paix et de la sécurité.
Dans un style plus direct que le document adopté par la Commission, les ambassadeurs de l’UE appelle la nouvelle administration à revenir sur la décision de Donald Trump de quitter l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ou à « lever les sanctions contre le personnel de la cour pénale internationale ».
Mais quelle que soit le degré de rapprochement futur entre les deux blocs, l’UE continuera « à renforcer son autonomie stratégique » afin de « mieux promouvoir ses intérêts », a insisté Charles Michel, le Président du Conseil.
« Nouvel agenda UE/États-Unis pour le changement mondial »
Présenté ce mercredi 2 décembre par Ursula Von Der Leyen, la Présidente de la Commission, et Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne, le « nouvel agenda UE/États-Unis pour le changement mondial », s’apparente plus à une déclaration politique.
Le texte d’une dizaine de pages détaille les coopérations souhaitées en matière de santé, de commerce, d’environnement de fiscalité digitale ou de technologies numériques, et la liste est loin d’être exhaustive.
La Commission propose notamment aux États-Unis de lancer une initiative conjointe sur le commerce et le climat. Une façon de mieux coordonner les agendas des deux blocs afin de faciliter, conjointement, « la conclusion d’accords mondiaux ambitieux », comme l’objectif zéro carbone à l’horizon 2050.
Aboutir à des solutions négociées sur les dossiers qui fâchent
Dans la sphère strictement commerciale les attentes sont nombreuses dans le camp européen. Pour mettre un terme aux différends et à la surenchère des taxes douanières punitives, la Commission appelle Washington à collaborer de façon plus étroite avec l’UE en vue d’aboutir à des solutions négociées sur les dossiers qui fâchent.
Idem pour la réforme de l’OMC, bloquée pendant les années Trump. « Make multilateralism Great Again ! », a lancé Josep Borrell en insistant sur la nécessité « d’avancer ensemble quand c’est possible, seuls, comme Européens, quand c’est nécessaire ».
Créer un Conseil commerce et technologie transatlantique
L’agenda de la Commission appelle également les États-Unis à rejoindre un Conseil commerce et technologie transatlantique « pour renforcer notre leadership industriel et technologique ».
Une initiative qui vise en fait à empêcher la Chine d’étendre sa domination sur des secteurs économiques à forte valeur ajoutée, en développant ses propres normes technologiques et standards industriels. « Il s’agit ni plus ni moins de remporter la bataille normative, sur des secteurs où l’Europe est à la traîne face à Pékin et Washington », confie un haut responsable de la DG Commerce à Bruxelles.
Via ce nouvel organe, la Commission espère relancer la coopération réglementaire entre les deux blocs sur certaines technologies émergentes comme l’intelligence artificielle (IA) ou les voitures autonomes. Des domaines où la Chine dispose désormais d’une longueur d’avance et dans lesquels ses normes risquent donc de s’imposer au niveau mondial.
Le programme de la Commission devrait être adopté sans difficulté par les Vingt-sept lors du prochain sommet. Car s’il existe des sensibilités différentes autour de la table, tous les États membres reconnaissent désormais que les deux blocs ne partagent plus les mêmes priorités. Et que l’UE doit impérativement – comme l’avait suggéré Angela Merkel au lendemain de l’élection de Donald Trump – prendre en main sa destinée, sans compter sur la protection du parapluie américain.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
Pour télécharger la communication de la Commission européenne, « Un nouvel agenda UE/États-Unis pour le changement mondial » (en anglais) : https://ec.europa.eu/info/files/joint-communication-new-eu-us-agenda-global-change_en