Scellé le 30 décembre, juste avant la fin de la présidence allemande, l’accord Union européenne (UE) Chine sur les investissements est loin de faire l’unanimité en Europe. Sa ratification est loin d’être gagnée. Revue de détail des arguments en présence.
A en croire la Commission européenne, l’accord est historique. Pékin « n’est jamais allé aussi loin » dans l’ouverture de ses marchés, se félicite-t-on au sein de l’exécutif à Bruxelles.
Conclu politiquement le 30 décembre dernier, après sept ans de laborieuses négociations, le traité d’investissement UE / Chine représente surtout une victoire pour la présidence allemande qui prenait fin le 31 décembre. Jusqu’au bout Angela Merkel a bataillé ferme, bousculant ses partenaires pour aboutir à un accord à temps. Pari réussi pour la Chancelière. Et pour le lobby industriel allemand, en particulier son puissant secteur automobile, principal gagnant de ce pacte conclu avec la Chine.
Avancées jugées insuffisantes
Scellé dans la précipitation, l’accord fait déjà l’objet de nombreuses critiques en Europe et au-delà. En couvrant de nouveaux domaines – voitures électriques et hybrides, hôpitaux privés dans certaines grandes villes chinoises, les télécoms, les services financiers, les services cloud ou ceux liés aux transports aériens, comme les réservations en ligne – il offre certes un meilleur accès au marché chinois aux investisseurs européens.
« Mais sur le level playing field (Ndlr : conditions de concurrence équitables) ou en matière d’interdiction des transferts technologiques forcés, je ne pense pas que les avancées sont suffisantes », estime Marie Pierre Vedrenne, eurodéputée du groupe Renew et vice-présidente de la Commission du commerce international au PE (INTA). « Cette conclusion politique doit être considéré comme un début, pas un aboutissement. On n’a pas fini le travail sur la partie investissement », confie l’élue, également rapporteur permanent pour la Chine au sein de son groupe.
De fait, le volet sur la protection des investissements, censé sécuriser le cadre juridique pour les entreprises, n’est pas formellement conclu : les deux parties s’engagent à trouver un compromis courant 2022.
Le diable se cache dans les détails
D’ici là, Marie-Pierre Vedrenne et ses collègues du Parlement devront poursuivre leur minutieux travail pour déchiffrer tous les éléments de l’accord. « Mais nous n’avons pas encore accès à l’intégralité du texte », regrette l’élue française, rappelant que dans ce type de document très technique « le diable se trouve toujours dans le détail ».
Déjà à ce stade du processus, plusieurs éléments la laissent perplexes. « C’est bien de conclure mais nous ne disposons pas des outils suffisants pour garantir la mise en œuvre de certains volets de l’accord », notamment pour les parties liées au développement durable ou au respect des conventions de l’Organisation Internationale du Travail (OIT).
Autre question posée par l’élue : « comment protéger nos investisseurs sans un organe solide de règlement des différends ? ». Un constat partagé par d’autres experts. « C’est un processus plus politisé que juridique », reconnaît François Godement, conseiller pour l’Asie à Institut Montaigne, dans un entretien accordé aux Echos.
Une épine pour la relation transatlantique ?
Alors que Berlin voulait cet accord coûte que coûte, il offre in fine une belle victoire diplomatique au président chinois Xi Jinping. Car si pour la Chine, les gains économiques sont au final assez limités, les avantages politiques et géostratégiques sont autrement plus importants. « Car cette signature s’est faite en trois semaines, juste avant l’entrée en fonction du nouveau président américain », a rappelé Philippe Le Corre, chercheur en relations internationales, sur les ondes de France culture.
Un timing également contesté au sein du Parlement européen (PE).
Alors qu’une nouvelle administration est sur le point d’être investie à Washington, plus favorable à la coopération transatlantique, beaucoup jugent peu judicieux cette précipitation sans consultations préalables avec le partenaire américain.
Pour l’eurodéputé écologiste allemand, Reinhard Bütikofer – Président de la délégation pour les Relations avec la Chine mais également membre de la délégation pour les Relations avec les États-Unis – le texte risque en effet d’avoir des conséquences négatives pour le renouvellement des liens avec les États-Unis.
« D’un côté l’équipe de Joe Biden a clairement indiqué qu’elle souhaitait des consultations le plus tôt possible et de l’autre, les Européens ont montré des réticences », regrette l’écologiste allemand.
Du côté de Washington, le traité UE / Chine est en effet bien loin de susciter l’enthousiasme de la future administration. Sur Twitter, Jack Sullivan, prochain conseiller à la sécurité de Joe Biden, plaidait « pour des consultations avec nos partenaires européens sur nos inquiétudes communes concernant les pratiques économiques de la Chine ».
Léger sur les droits de l’Homme
Jugé insuffisant sur le fond par les experts des questions commerciales au PE, l’accord UE / Chine est également contesté pour son volet trop léger en matière de droits de l’Homme.
Les engagements pris par la Chine pour ratifier les conventions internationales sur le travail forcé ne sont en effet pas accompagnés de mécanismes contraignants.
« Depuis 4 ans, un peuple est menacé d’éradication. Depuis 4 ans, entre 1,8 et trois millions, d’êtres humains sont parqués dans des camps et utilisés comme esclaves par le régime chinois pour produire nos chemises, nos vêtements, nos pulls, nos chaussures Nike, nos sweat Zara. Et depuis 4 ans, face à ce crime contre l’humanité, il y a un silence assourdissant », déplore l’eurodéputé français, membre du groupe socialiste, Raphaël Glucksmann, très engagé dans la défense du peuple Ouïgour, une minorité musulmane originaire du nord-ouest de la Chine.
Les propos tenus par Frank Riester, le ministre français en charge du Commerce extérieur, et publiés sur le site politico.eu* ce mercredi 13 janvier, ne seront certainement pas de nature à apaiser les craintes des eurodéputés. « L’Union européenne va signer avec la disposition notée dans le texte, qui est de faire des efforts soutenus et continus pour la ratification » d’une convention de l’OIT interdisant le travail forcé, a-t-il déclaré.
En d’autres termes, les Européens n’attendront pas que Pékin signe ces conventions avant de ratifier l’accord avec la Chine, « mais nous insisterons pour fixer un calendrier » de réformes, reconnaît le ministre français.
Des propos qui ont créé un malaise au sein de la délégation française du groupe Renew (élus sur la liste LREM), très divisés sur la position à adopter malgré l’aval donné par la France à ce traité déjà très controversé.
Le Parlement européen divisé
Après l’entente de principe entre Bruxelles et Pékin les experts, des deux bords vont s’atteler à la rédaction de l’accord final. Mais pour entrer en vigueur, il devra d’abord être ratifié par le Parlement européen. Et à ce stade, difficile de prévoir l’issue du vote.
Si le PPE (droite conservatrice) majoritaire au sein de l’hémicycle, devrait donner son aval, les socialistes, et, au centre, les membres de Renew, auront bien du mal à définir une ligne commune.
« Pour certains libéraux, en particulier les plus atlantistes, le traité menace l’avenir des relations avec Washington », confie un membre de l’équipe de communication du groupe centriste. « Et même au sein de la gauche radicale (GUE) le sujet divise. Les prochinois sont pour, les autres fermement opposés », ironise cette même source.
Les États-Unis de Joe Biden pourraient aussi faire pression sur l’UE pour qu’elle renonce à ce rapprochement. En bref, la partie est loin d’être gagnée. L’accord UE / Chine pourrait bien être mort-né.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles