Les citoyens turcs se rendront aux urnes le 28 mai pour le second tour de l’élection présidentielle à l’issu d’un 1er tour qui a vu le président sortant Recep Tayyip Erdoğan, au pouvoir depuis 20 ans, garder une majorité au Parlement et mis en ballotage pour la première fois, mais avec une avance confortable de 49,51 % des voix, face à l’opposant Kemal Kiliçdaroglu (44,88 %). Retour sur le contexte économique catastrophique dans lequel se déroule ce scrutin, mais qui a semble-t-il moins pesé dans la balance que ce qu’espérait l’opposition.
Mis à jour le 16/05/2023
« Les élections les plus importantes de 2023 », a titré en couverture The Economist début mai. De fait, l’Europe tout entière a les yeux tournés vers la Turquie, pays stratégique dans le contexte de la guerre en Ukraine. Sur le plan économique, la même question revient sur les lèvres des observateurs de ce scrutin : Recep Erdoğan peut-il l’emporter après avoir mené une politique monétaire catastrophique qui a conduit à une inflation insoutenable pour les ménages et les entreprises ?
Cette dernière est redescendue à 43,7 % en avril alors qu’elle dépassait les 50 % le mois précédent. En octobre dernier, l’inflation mensuelle avait même atteint 85,5 % selon les données officielles, enregistrant son dix-septième mois consécutif de hausse !
A rebours de toutes les théories économiques, la Banque centrale turque n’a pas augmenté ses taux directeurs pour contenir l’inflation, mais les a au contraire abaissés. « Elle a procédé à neuf baisses depuis septembre 2021, passant de 19 % à 8,5 % », a précisé Deniz Ünal, économiste au Cepii (Centre d’études prospectives et d’informations internationales), lors d’un webinaire organisé le 10 mai par ce dernier.
Un PIB toujours en hausse malgré une inflation stratosphérique
« A partir de 2018, la présidentialisation du régime a accéléré les dérives institutionnelles du régime avec le remplacement des directions des autorités de régulation par des proches du pouvoir, y compris à la tête de la Banque centrale, explique l’économiste. En 2021, Erdoğan a souhaité passer à un nouveau modèle économique favorisant des exportations à bas prix. Pour ce faire, il a fait baisser les taux d’intérêt afin de soutenir la production ». Conséquences : l’inflation s’est envolée, la livre turque a dévissé face au dollar, le commerce extérieur n’a pas engrangé d’excédents et cette politique a refroidi les investissements directs étrangers (IDE).
En revanche, cette politique monétaire hétérodoxe favorisant la production a permis à la croissance du PIB de se maintenir : elle a atteint 5,6 % en 2022. Un résultat flamboyant qui a valeur d’argument en période pré-électorale.
Cela suffira-t-il à convaincre une population dont le quotidien est de plus en plus difficile et qui reste marquée par le traumatisme du séisme du 6 février, marqué par un retard des secours ? Reste que la Turquie est perçue depuis plusieurs mois comme un risque élevé pour les exportateurs comme pour les investisseurs étrangers par les assureurs-crédits : elle est notée 5/ 7 chez Credendo, C chez Allianz Trade et Coface. Le choc du séisme en a rajouté dans les tensions.
L’opposition discrète sur les les détails de ses mesures économiques
A quelques jours du scrutin Recep Erdoğan et l’AKP sont au coude à coude avec le chef du CHP (Parti républicain du peuple) Kemal Kılıçdaroğlu, à la tête d’une alliance réunissant six partis. En guise de programme économique, l’opposant a défendu un retour à une politique monétaire classique avec une inflation à un chiffre d’ici deux ans, la restauration de la crédibilité de la devise nationale et des IDE à hauteur de 300 milliards de dollars dans les cinq années à venir.
Pour Sinan Ülgen du think tank Carnegie Europe, qui participait également au webinaire du Cepii, « si elle est élue, l’opposition devra stopper la dynamique inflationniste, ce qui passera par une augmentation des taux d’intérêt et l’indépendance retrouvée la Banque centrale, mais aussi mettre sur pied un cadre économique attirant pour les investisseurs ».
De sa politique économique, l’opposition ne donne cependant quasi pas de détails. Consciente de l’impopularité que peut constituer un retour à un modèle plus orthodoxe, elle attend son éventuelle accession au pouvoir pour développer le contenu des programmes. Car, même si l’alliance conduite par Kemal Kılıçdaroğlu semble avoir un boulevard devant elle, l’AKP dispose toujours d’une base électorale solide, en particulier en Anatolie et dans l’Est du pays.
« Nombre d’observateurs extérieurs ont tendance à supposer que parce que la situation économique est mauvaise, les gens vont quitter le navire. Mais ce n’est pas nécessairement le cas. Je pense qu’un bon nombre d’électeurs de l’AKP finiront par revenir vers leur candidat à la dernière minute », a ainsi déclaré Howard Eissenstat, spécialiste de la Turquie à l’université Saint Lawrence et au Middle East Institute à Washington.
Premiers éléments de réponse après le premier tour du scrutin dimanche prochain…
Sophie Creusillet