C’est un panorama quelque peu inquiétant des risques pays qu’a présenté Coface cette semaine lors de son traditionnel colloque annuel, cette année en format digital* en raison des restrictions sanitaires. Inquiétant moins par l’ampleur des crises économiques et sociales qui couvent dans certains pays que par l’incertitude qui règne sur le moment où elles vont éclater.
Contrairement aux années précédentes, les évaluations de notes de risques pays n’étaient pas l’information la plus attendue de l’assureur-crédit français tant le contexte inédit créé par la Covid-19 au niveau mondial a rendu inopérants les systèmes habituels d’évaluation du risque pays.
Du reste, l’assureur-crédit en a fait peu en ce début d’année, et ils ont concerné de petites économies : Taiwan et le Timor oriental ont été reclassés, la Mongolie et l’Azerbaïdjan ont été déclassés.
« On pourrait sortir du stop and go au milieu de l’été »
En revanche, y voir un peu plus clair dans l’avenir était une attente forte : la pandémie de Covid-19, aiguillée par les variantes du coronavirus, perdure avec son cortège de restrictions sanitaires qui freine le rebond, alors que les campagnes de vaccination viennent juste de commencer, principalement dans les grands pays industrialisés.
« Notre scénario de base est que l’on pourrait sortir du stop and go au milieu de l’été », a indiqué prudemment Julien Marcilly, le chef économiste de Coface, lors d’un point presse le 9 février. La clé ? « Atteindre l’immunité collective ». Les États-Unis, le Royaume-Uni, et quelques autres pays comme Israël ont toutefois pris quelques longueurs d’avance sur le reste du monde, en particulier l’Union européenne, alors que la Chine, au regard de la taille de sa population, a encore beaucoup à faire malgré un rythme soutenu de vaccination.
Pour cette immunité collective, de nombreux pays émergents et en développement devront patienter jusqu’à 2022, voire 2023 pour le continent africain. Ce qui les obligera à maintenir des restrictions sanitaires plus longtemps qu’ailleurs et freinera leur reprise.
Sur le plan global, même si, dans ce contexte, « la prévision est difficile », pour reprendre l’expression de Julien Marcilly, une reprise est attendue cette année : la croissance du PIB mondial est prévue à + 4,3 % en 2021 (après – 3,8 % en 2020) et celle du commerce international à + 6 % (après – 5 % en 2020). Mais « la Chine embellit la situation. Dans les principales économies matures, on ne retrouvera pas les niveaux de production d’avant crise cette année » a nuancé le chef économiste de Coface.
Quant aux pays émergents, un certain nombre font d’ores et déjà face à un problème de surendettement avec une montée des risques de défaut souverain, comme cela a été signalé lors de l’événement annuel Bercy france Export : le Sri Lanka verra le service de sa dette représenter plus de 60 % de ses revenus en 2021, ce ratio dépasse les 30 % pour la Zambie, le Ghana, l’Egypte, le Pakistan, l’Inde, l’Angola, et il est proche ou supérieur à 20 % pour le Bangladesh, le Kenya, le Nigeria, l’Ouganda, l’Afrique du Sud, l’Indonésie, le Mexique, pour ne citer que ceux-là.
« Chaque épidémie a créé d’avantage d’inégalités »
Au-delà de ces considération macro-économiques et sanitaires à court-terme, le risque politique et social demeure le plus important.
Une phrase de Julien Marcilly résume la situation et la vision que l’assureur-crédit en a : « les études qui existent au sujet des précédentes épidémies du XXIe siècle sont très claires : chaque épidémie a créé d’avantage d’inégalités ». Et du point de vue du risque pays, qui intéressent au plus haut point les exportateurs, cela signifie « plus de risques politiques et de mécontentement social », notamment dans les pays émergents qui n’ont pas autant de marges de manœuvre budgétaires et financières que les pays avancés pour continuer à soutenir leurs économies.
Toutefois, les pays industrialisés, malgré le gigantisme des plans de soutien et de relance qu’ils ont mis en œuvre, ne sont pas à l’abris de mouvements de mécontentement, on l’a vu ces derniers mois aux États-Unis avec la montée des tensions socio-politiques, dont l’attaque du Capitole par des partisans pro-Trump quelques jours avant l’investiture de Joe Biden a été un des multiples symptômes.
Les pays les plus exposés aux risques politiques et sociaux
Pour les pays émergents et en transition, en mixant les données de son indice de fragilité politique et sociale et celles sur l’efficacité de la gestion de la pandémie, Coface a dégagé une liste des pays émergents les plus exposés à de futurs risques politiques et sociaux. En font partie notamment les pays fortement dépendants des revenus de la production d’hydrocarbures, qui pâtissent de la chute des cours (Arabie saoudite, Russie…), ceux très dépendants du tourisme (Maroc…) voire des deux (Egypte, Émirats arabes unis).
Sont très à risque, l’Arabie Saoudite, le Maroc, la Russie, la Chine, l’Egypte, l’Ukraine, la Colombie, le Brésil, les Émirats arabes unis, la Turquie, le Nigeria, la Thaïlande, les Philippines, l’Indonésie. L’Inde, Singapour, le Chili, l’Argentine et la Pologne sont moins exposés que les précédents mais à surveiller.
Concernant les pays développés, même démarche, cette fois-ci en croisant les résultats des sondages d’opinion sur la gestion de la pandémie avec l’indice de risque politique et social.
Sont les plus exposés à de futurs troubles politiques et sociaux l’Espagne, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, la Suède, le Japon et l’Italie. Mieux lotis sont l’Allemagne, le Canada, le Danemark, l’Australie, la Norvège et la Finlande.
Le mot inégalité est, pour le chef économiste de Coface, le « fil rouge de cette crise » : inégalité entre pays dans les capacités à faire face à la pandémie et à accéder aux vaccins, inégalité entre secteurs face à cette crise (les services, à l’instar du tourisme et des voyages sont, de loin, plus touchés que l’industrie), inégalités entre catégories sociales à l’intérieur des pays face aux dégâts causés sur les plans sanitaire, économique et social.
Dans l’immédiat, et pour 2021, il va donc falloir continuer à jongler avec de nombreuses incertitudes.
Les défaillances dépendront de la sortie des plans de relance
Pour les entreprises, la grande question posée aujourd’hui est : comment va s’organiser la sortie des plans de relance, et à quel rythme ? De la réponse à cette question dépendra l’évolution des défaillances d’entreprises et des risques d’impayés.
Les plans de soutien et de relance, par leur ampleur et leur meilleur ciblage sur les entreprises et le soutien au pouvoir d’achat, ont permis d’éviter les erreurs de l’après-crise 2008-2009, lorsque les gouvernements avaient déployé de grands plans axés sur les infrastructures. Les prêts garantis par les États représentent 6 % du PIB mondial, et avec les mesures de chômage partiel et les allègements fiscaux, les dépenses publiques en soutien des économies ont atteint jusqu’à 9 % du PIB mondial. « L’impulsion budgétaire a été deux fois plus élevée que lors de la crise de 2008-2009 ».
Ces mesures exceptionnelles ont permis d’éviter l’effondrement de pans entier d’activités et des faillites en cascade, notamment dans les secteurs les plus touchés comme le tourisme, le transport aérien -et par ricochet l’aéronautique-, l’hôtellerie-restauration.
Les défaillances d’entreprises ont même reculé en 2020 au niveau mondial de -12 %, dont -22 % dans la zone euro (- 37 % en France, – 16 % en Allemagne), – 3 % en Amérique du nord (- 2 % aux Etats-Unis), – 17 % en Asie-Pacifique (-6 % au Japon, – 37 % en Australie, -34 % en Corée du sud…).
Tourisme et transports sont les plus exposés à des vagues de faillites
Pour 2021, « tout va dépendre de la continuité des plans de relance », selon Julien Marcilly. Les politiques gouvernementales seront donc à suivre de près cette année.
En zone euro, on sait que les prêts garantis par les États ont été prolongés jusqu’en juin prochain en Allemagne, en Espagne, en France et en Italie, un signe que les gouvernements dans l’Union européenne veulent gérer la situation en douceur. Les mesures de chômage partiel sont toujours en vigueur mais pourraient être levées dans le courant de l’année si la situation de la pandémie le permet car elles coûtent chers en termes budgétaires.
Mais le calendrier reste incertain, tout autant que l’évolution des indicateurs macro-économiques, étroitement liée à l’évolution des campagnes de vaccination. Comment dans ces conditions prédire l’évolution des défaillances ?
Coface pour sa part a essayé de sonder les bilans des entreprises de quatre pays européens -Allemagne, Espagne, Italie, France- pour effectuer des estimations par secteur. D’après les résultats de ses travaux, « l’impact négatif se matérialisera cette année, mais il est difficile de prédire quand exactement » souligne Julien Marcilly.
Les défaillances augmenteraient de 13 % en France, de 6 % en Allemagne, de 9 % en Italie et de 16 % en Espagne. Avec de fortes disparités par secteur : partout, le commerce de détail résisterait bien alors que le tourisme serait de loin le plus exposé a une forte vague de faillites (+ 27 % en France, +19 % en Allemagne, +56 % en Italie, +57 % en Espagne).
Il serait suivi du transport (+ 5 % de faillites en France, +15 % en Allemagne, +20 % en Italie, +14 % en Espagne), et selon les cas, de la construction (+ 20 % en France, +15 % en Espagne) et de l’industrie manufacturière (+ 9 % en France, +10 % en Allemagne, +4 % en Italie, +10 % en Espagne).
La navigation à vue restera encore pour quelques mois le mode de pilotage dominant. Et les entreprises, notamment exportatrices, sont invitées à la plus grande prudence dans leur appréciation du risque de crédit.
Christine Gilguy
* Les enregistrements des webconférences de ce colloque ainsi que les présentations sont disponibles au lien suivant : https://www.youtube.com/playlist?list=PLUGQsBw1BM6Myw2yEyusT_3uUxfBJc2Gq