Les divergences politiques entre le Brésil et la France ne doivent pas masquer le dynamisme des relations économiques et commerciales malgré la crise sanitaire et économique que connaît le pays.
« Le Brésil demeure un enjeu stratégique pour les entreprises françaises, particulièrement pour les grands groupes et de nombreuses ETI » explique Frédéric Donier, président de Crescendo, un cabinet de conseil aux entreprises basé à São Paulo. Les entreprises françaises ont investi plus de 37 milliards de dollars dans ce pays et emploient plus de 500 000 salariés brésiliens.
Moins touché que d’autres pays émergents
Si l’économie brésilienne souffre, elle est moins touchée que d’autres pays émergents, notamment en Amérique latine.
La mise en place d’un mécanisme de chômage partiel et la distribution d’un bon mensuel de 600 real aux ménages les plus défavorisés ont permis d’amortir le choc de la crise au prix, il est vrai, d’un lourd déficit public (15-16 % du PIB en 2020).
L’agriculture, véritable moteur de l’économie brésilienne, profite de la demande asiatique, des prix mondiaux élevés et de la dévaluation du real. Selon la Banque centrale du Brésil (BCB), ce secteur progresserait de 1,5 % en 2020.
L’enquête réalisée par la BCE auprès des économistes montre que le PIB brésilien ne baisserait que de -4,8 % cette année et la reprise serait effective en 2021 (+3,4 %). Le FMI est un peu plus pessimiste (-5,8 % en 2020 et +2,8% en 2021).
Nouveau cadre juridique dans l’eau et l’assainissement
Mais surtout, de nouvelles initiatives se concrétisent pour améliorer l’environnement des affaires et favoriser l’investissement privé.
Le Brésil vient de se doter d’une loi de protection des données, qui est largement inspirée du RGPD européen. La loi qui définit le nouveau cadre juridique pour les investissements privés dans l’eau et l’assainissement est entrée en vigueur en juillet 2020, avec un objectif de couverture complète des besoins de la population d’ici 2033.
« C’est une avancée importante qui ouvre, pour la première fois, de réelles opportunités d’affaires pour les entreprises privées » poursuit Frédéric Donier. Actuellement, 100 millions de Brésiliens, soit presque la moitié de la population, n’ont pas d’accès aux égouts. 35 millions n’ont pas d’eau potable dans leur domicile.
Les premiers appels d’offres ont commencé à sortir et un premier contrat a même été attribué dans l’État de l’Alagoas. Les acteurs français du secteur (Suez, Veolia et Saur) sont bien placés et une mission de la Présidence de la République du Brésil sera à Paris à la mi-novembre.
Poursuite de l’ouverture des infrastructures au secteur privé
Le gouvernement brésilien entend poursuivre l’ouverture des infrastructures au secteur privé.
Un ensemble de 22 aéroports, dont ceux de Manaus, Goiânia et Curitiba, devrait être mis en concession en 2021. En 2022, ce sera le tour de 17 autres aéroports, dont Santos Dumont (Rio de Janeiro) et Congonhas (São Paulo). Il convient de rappeler que l’offre française affiche une référence de premier plan : le groupe Vinci gère l’aéroport international de Salvador Bahia (7,8 millions de passagers en 2019) depuis le début de 2018.
Dans l’énergie, les perspectives demeurent intéressantes. Si le secteur pétrolier subit les conséquences de la baisse des prix mondiaux et de la crise économique, le gaz naturel pourrait connaître des développements intéressants dès que le nouveau cadre juridique du secteur, en discussion actuellement au Parlement, sera approuvé. En 2019, Engie, qui est le premier producteur d’énergie privé du Brésil, a racheté la société TAG, qui contrôle le plus grand réseau de transport de gaz naturel du pays.
A noter, enfin, que le Brésil a choisi de relancer l’énergie nucléaire. EDF est en lice pour la reprise de la construction de la centrale nucléaire d’Angra III, dont le chantier est à l’arrêt depuis 2015.
Encouragement aux nouvelles technologies
Les autorités brésiliennes encouragent également le développement des nouvelles technologies. Des programmes fédéraux d’appui ont été mis en place et le marché est très ouvert aux startup étrangères.
Lors d’un atelier sur la Révolution de l’économie numérique en Amérique latine, organisé à l’occasion de l’événement BPI Inno Génération (BIG) de Bpifrance, le 1er octobre dernier, Julien Lafouge, directeur financier du groupe BlaBlaCar, a rappelé que le Brésil, dernier pays où le leader mondial du covoiturage s’est lancé, est déjà son 3ème marché en volume. « Un franc succès » a-t-il précisé en rappelant la maturité du marché et la qualité des interlocuteurs comme des salariés.
Selon le pointage de Frédéric Donier, le Brésil compte 15 licornes et fait d’ores et déjà figure d’acteur de référence dans les fintech, la logistique, l’immobilier (proptech), les plateformes, le transport et le e-commerce. La crise devrait donner une nouvelle impulsion aux startup de la HealthTech (la télémédecine vient d’être autorisée au Brésil) et de la EdTech.
Les entreprises travaillent indépendamment du contexte politique
« Les entreprises françaises présentes ici travaillent indépendamment du contexte politique » résume un chef d’entreprise français installé à São Paulo.
L’avenir à court terme de la relation politique demeure incertain en raison de l’ampleur des divergences sur des sujets précis (environnement, climat, accord Mercosur-Union européenne, etc.) mais aussi de certains propos peu amènes de la part des responsables brésiliens. Reste que du côté brésilien, on veut jouer la carte de l’apaisement.
« Le président Bolsonaro n’est pas vindicatif » a déclaré Luis Fernando Serra, ambassadeur du Brésil en France, lors d’un webinaire organisé le 9 octobre dernier par la Chambre de commerce France-Brésil de São Paulo. Pour preuve, en mai dernier, c’est le ministre des Affaires étrangères en personne, Ernesto Araújo, qui a reçu la copie figurée des lettres de créance de la part de la nouvelle ambassadrice de France, Brigitte Collet, alors que c’est traditionnellement le numéro deux du ministère qui s’en charge.
Lors de la remise des lettres de créance au président brésilien, ce dernier a déclaré à l’ambassadrice qu’il fallait « aller de l’avant ». L’ambassadeur brésilien, qui a fait un plaidoyer vigoureux pour une relance du commerce bilatéral, a précisé que le dialogue stratégique entre les deux pays n’avait jamais été interrompu. Le business non plus.
Daniel Solano