Face à l’appel au boycott des produits français lancé par le président turc Recep Erdogan, la France compte demander à la Commission européenne de mettre en place des mesures de rétorsion. Chefs d’État et de gouvernements ainsi qu’institutions européens font bloc autour de la France alors que les manifestations de colère dans le monde musulman, certes spectaculaires, ne sont pas accompagnées d’appels au boycott officiels de la part des gouvernements.
La France envisage des mesures de rétorsion au niveau européen
Clément Beaune, secrétaire d’État français aux Affaires européennes n’y est pas allé par quatre chemins mercredi 28 octobre en annonçant devant le Sénat que la France allait plaider pour des « des mesures européennes de réaction forte dont l’outil possible des sanctions » à la rencontre de la Turquie.
La veille, mardi 27 octobre, un porte-parole de la Commission européenne a quant à lui rappelé ce pays à ses obligations vis-à-vis de l’Europe. « Les accords de l’UE avec la Turquie prévoient le libre-échange des marchandises. Les obligations bilatérales que la Turquie s’est engagée à respecter dans le cadre de ces accords […] doivent être pleinement respectées », a-t-il déclaré.
« Les appels au boycott des produits de tout État membre sont contraires à l’esprit de ces obligations et éloigneront encore plus la Turquie de l’Union européenne », a-t-il ajouté. Car n’en déplaise au président turc, son pays et l’Union européenne sont en effet liées par un accord d’union douanière entré en vigueur le 31 décembre 1995.
Même son de cloche de la part des milieux d’affaires européens. Christophe Leitl, président d’Eurochambres, qui rassemble les Chambres de commerce et d’industrie de toute l’Europe, a ainsi déclaré mardi 27 octobre par voie de communiqué : « Le commerce est la pierre angulaire des relations UE-Turquie et tous les efforts doivent être faits pour préserver le libre-échange et éviter l’introduction de boycotts ou de toute autre barrière économique ».
L’impact limité du boycott
La réaction européenne est donc unie et forte. Reflèterait-elle une crainte d’importantes répercussions sur le commerce extérieur français ?
Du côté français, on tempère l’impact économique. « Pour l’instant ce boycott est très circonscrit, limité à un certain nombre de produits alimentaires » a estimé Franck Riester, ministre délégué en charge du Commerce extérieur, le 27 octobre sur le plateau du Talk du Figaro.
Les manifestations de colère qui ont eu lieu ces derniers jours dans le monde musulman ont certes pu prendre une tournure spectaculaire comme au Bangladesh, où des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues. Reste que, aussi impressionnantes soient-elles, ces démonstrations de force n’émanent pas des États eux-mêmes mais de groupes privés, politiques et/ou religieux. Jusqu’ici, à part la Turquie, aucun État n’a officiellement lancé d’appel au boycott.
Pas d’autres appels officiels au boycott que celui de la Turquie
Certains chefs d’État ont fermement condamné les propos d’Emmanuel Macron sur la défense des caricatures de Charlie Hebdo au nom de la liberté d’expression mais ne sont pas aller jusqu’à exiger de supprimer les produits français des supermarchés.
Ainsi, le Premier ministre du Maroc, Saad-Eddine El Othmani a évoqué une « offense injurieuse à l’islam et aux deux milliards de musulman », mais n’a pas lancé d’appel au boycott. Cette ligne, qui condamne mais ne sanctionne pas, semble aussi être celle tenue par l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Égypte. Une modération qui s’explique par une volonté de ne pas jeter de l’huile sur le feu mais aussi par les enjeux géopolitiques locaux.
Cet épisode pourrait donc retomber comme un soufflé et les conséquences économiques être finalement moindres. Le quai d’Orsay a néanmoins appelé les ressortissants à « faire preuve de la plus grande vigilance » dans les pays du monde musulman où ont lieu des manifestations contre la France.
La menace de sanctions européennes suffira-t-elle à calmer les ardeurs turques ? Les prochains jours le diront. Comme l’a souligné Franck Riester lors des questions au gouvernement le 27 octobre à l’Assemblée nationale : « Ce n’est pas une question franco-turque, c’est une question de l’Europe face aux dérives nationalo-islamistes du président Erdogan ».
Sophie Creusillet