Les États-Unis appliquent, depuis le mardi 4 mars, des droits de douane de 25 % aux importations en provenance du Canada et du Mexique, à l’exception des produits énergétiques canadiens (10 %), et de 10 % supplémentaires pour la Chine. Un exemple de l’utilisation de l’arme des tarifs comme instrument de négociation commerciale. A moins qu’elle ne se retourne contre son détenteur. C’est ce que suggère l’analyse de Peter Debaere, professeur d’origine belge titulaire de la chaire de gestion à la Darden School of Business à l’Université de Virginie, aux Etats-Unis, et expert en commerce international.
Un jour, un tarif de plus. Après une semaine centrée sur la guerre en Ukraine et la promesse de la moitié des minerais de terres rares du pays, nous voilà de retour à parler des tarifs. Cette fois, l’attention se porte sur l’Europe. Comme d’habitude avec Trump, nous ne savons pas encore grand-chose. Les tarifs viseront-ils des produits spécifiques ou seront-ils appliqués de manière générale ? Cela reste à déterminer. Il est aussi incertain de savoir si ces « tarifs européens » seront similaires à ceux qui s’apprêtent à être appliqués au Canada et au Mexique.
À ce stade, la plupart des gens reconnaissent que le président Trump utilise les tarifs unilatéraux, non seulement pour la protection des emplois nationaux, mais aussi comme un levier pour aborder des questions telles que la migration, le trafic de drogue, les transferts technologiques, et, dans une nouvelle plainte ajoutée à la liste croissante, pour répondre à l’UE qu’il considère avoir été « créée pour nuire aux États-Unis ».
Cette approche soulève des questions plus profondes : Comment les tarifs unilatéraux ou leur simple menace affectent-ils les investissements commerciaux ? Quelles en sont les conséquences à long terme ? Et surtout, que vont-ils réellement accomplir ? Se retourneront-ils contre les entreprises et les consommateurs américains ?
Ce sont des questions complexes, mais les économistes, qui ont étudié pendant des décennies les politiques commerciales et les effets du protectionnisme, considèrent que l’imposition de tarifs unilatéraux est une stratégie risquée et souvent contre-productive, pour trois raisons :
1/-Les tarifs unilatéraux ne fournissent qu’un levier à court terme
Les États-Unis, grâce à la taille de leur marché, ont la capacité d’infliger des dommages significatifs aux petites économies via des tarifs unilatéraux. Nous l’avons récemment observé lorsque la Colombie a dû se précipiter pour éviter un tarif de 25 % sur ses exportations, craignant des perturbations économiques et des pertes d’emplois.
Toutefois, la pression exercée par les États-Unis à court terme est probablement éphémère. Au départ, certains partenaires commerciaux peuvent céder ou chercher à négocier – le Premier ministre britannique Starmer espère encore une exception à cette cascade de tarifs. Cependant, au fil du temps, la plupart des pays s’adapteront en se coordonnant avec d’autres pour riposter. La logique est simple : les petits acteurs ne se confrontent pas seuls à une économie dominante. Ils forment des coalitions.
C’est précisément ce type de guerre commerciale escaladée que le système commercial mondial basé sur des règles avait pour but d’éviter. Un système commercial stable repose sur la retenue des grandes puissances et sur le respect des règles. Cela incite les autres pays à commercer dans un cadre prévisible. Si les États-Unis souhaitent lutter contre les transferts technologiques forcés ou négocier des protections accrues de la propriété intellectuelle, ils ont besoin d’alliés – pas d’antagonisme – pour influencer les règles commerciales qui pourraient contraindre la Chine ou d’autres acteurs.
2/-Les barrières douanières érodent la confiance et créent de l’incertitude
Les tarifs unilatéraux fonctionnent un peu comme des contrats rompus. Même si certains ne sont jamais appliqués, l’incertitude qu’ils génèrent est nuisible. Prenons l’exemple de l’accord États-Unis-Mexique-Canada (USMCA), successeur de l’ALENA, négocié par le président Trump, qui garantit un commerce sans tarifs à travers l’Amérique du Nord.
Après les perturbations des chaînes d’approvisionnement liées à la pandémie et les retombées économiques de la guerre en Ukraine, l’USMCA pourrait devenir un modèle pour la relocalisation de la production manufacturière. Toutefois, les menaces imminentes de nouveaux tarifs pourraient pousser certaines entreprises à reconsidérer leurs investissements à long terme au Mexique – voire aux États-Unis, étant donné l’intégration poussée de certaines chaînes d’approvisionnement. S’il existe un doute sur la hausse des coûts des composants importés essentiels à l’avenir, un constructeur automobile pourrait, par exemple, décider de ne pas rapatrier sa production.
Les entreprises prospèrent dans un environnement politique stable. Quand elles craignent que les accords commerciaux soient remis en question à tout moment, elles retardent ou annulent des expansions. Cette imprévisibilité ralentit l’activité économique et affaiblit la confiance dans les États-Unis comme partenaire commercial fiable. Et cela ne nuit pas seulement aux entreprises étrangères, mais aussi aux entreprises, aux travailleurs et aux consommateurs américains.
3/-Les droits de douane protègent des entreprises non compétitives à l’échelle mondiale
Les tarifs permettent aux entreprises nationales de produire à des coûts plus élevés sans craindre la concurrence. Protégées par des murs tarifaires, ces entreprises peuvent rester peu compétitives, pratiquer des prix plus élevés et éviter la pression pour innover.
Par exemple, un tarif de 100 % sur les véhicules électriques empêche l’entrée sur le marché américain des VE chinois, bien moins chers, mais à quel prix ? Un tarif de 25 % sur les biens européens pourrait donner un avantage aux entreprises américaines concurrentes. Mais avec les tarifs, les consommateurs ont moins de choix et des prix plus élevés, tandis que les fabricants nationaux n’ont guère d’incitation à améliorer leurs produits.
Un autre risque majeur réside dans le favoritisme. La tendance de Trump à accorder des exceptions à ceux qui lui sont favorables signifie que les entreprises ayant les meilleurs lobbyistes, et non celles qui sont les plus productives, ont tout à gagner. La concurrence, et non le protectionnisme ou les faveurs, stimule l’innovation, renforce les industries et permet d’offrir de meilleurs produits à des prix plus bas pour les consommateurs. L’intelligence artificielle Deepseek, développée par la Chine, a d’ailleurs mis en lumière les inefficacités des entreprises technologiques américaines, illustrant ainsi le danger de limiter la concurrence.
Un spectacle coûteux
Les barrières tarifaires unilatérales peuvent offrir une démonstration frappante du pouvoir exécutif, mais ils sont un outil politique imparfait et souvent contre-productif. Il est politiquement tentant de rejeter les difficultés économiques des États-Unis sur des concurrents étrangers, mais la réalité est plus complexe.
Rompre les accords commerciaux et ignorer les règles établies a des coûts à long terme – non seulement pour les autres pays, mais aussi pour les entreprises, les travailleurs et les consommateurs américains. Si les États-Unis veulent résoudre des problèmes urgents comme le vol de propriété intellectuelle ou la migration illégale, ils ont besoin de partenariats stratégiques, y compris avec l’UE, et non de tarifs douaniers qui handicapent leurs alliés.
Un système fondé sur des règles n’est pas seulement une question de justice, c’est une question de prospérité économique durable. Les tarifs unilatéraux sont un instrument grossier qui cause souvent plus de tort que de bien.
Peter Debaere,
professeur titulaire de la chaire de gestion
à la Darden School of Business à l’Université de Virginie,
expert en commerce international