Cinq ans après la quatrième conférence des Nations Unies sur les pays les moins avancés (PMA) en Turquie (mai 2011) et l’adoption du Programme d’action d’Istanbul (PAI), le rapport 2016 sur les PMA de la Conférence des Nations Unies pour le développement et le développement (Cnuced), intitulé « le processus de reclassement et au-delà : tirer parti de la dynamique », prend acte des maigres progrès réalisés dans la mise en œuvre du PAI.
De fait, seuls quatre pays ont été reclassés pays en voie de développement classiques, à savoir le Botswana (1994), Cap Vert (2007), les Maldives (2011), les Somoa (2014), sur les 48 qui avaient été répertoriés à l’époque, dont 34 d’Afrique (1), 9 d’Asie (2), 4 du Pacifique (3) et 1 d’Amérique (4). Ils avaient été classés en fonction de leur revenu national brut par habitant et leurs indices de développement humain (éducation, santé) et de vulnérabilité économique (huit indicateurs économiques et environnementaux) trop bas.
« Si maintenant vous me demandez si les autres ne seront plus des PMA en 2020, comme c’était l’objectif fixé à Istanbul, la réponse est clairement non, même si nous estimons que 16 (*) d’entre eux pourraient quand même être reclassés à une date ultérieure, c’est-à-dire d’ici 2024 », a défendu, le 12 décembre à Paris, Rolf Traeger (notre photo), chef de la section des PMA à la Cnuced.
En réponse au Moci qui l’interrogeait sur l’influence de la Chine dans le développement des pays les moins avancés, celui-ci a jugé « important » le rôle du géant asiatique – dans une moindre mesure, de la Turquie, de l’Inde, du Brésil – dans le financement des infrastructures (routes, aéroports…) et « extrêmement important » dans les échanges de marchandises. Et de reconnaître au moment où la Chine se tourne vers son marché domestique que les PMA pourraient souffrir, alors que la Chine a joué par le passé un rôle « important » dans la réduction de leurs déficits commerciaux. L’ex-Empire du Milieu a encore été un partenaire industriel de premier plan pour les PMA asiatiques, y compris avec des délocalisations-relocalisations au Cambodge, au Laos, au Bangladesh et un peu en Afrique, notamment en Éthiopie.
Les îles, mieux armées pour le reclassement
Pour autant, a-t-il encore indiqué en réponse au Moci, qui s’inquiétait d’un éventuel reclassement des pays sortis ou qui pourraient sortir de la catégorie des PMA, « ça ne s’est jamais passé auparavant, nous avons mis en place des garde fous et les gouvernements en place sont aujourd’hui très attentifs à ne pas faire marche arrière pour des raisons d’image du pays et du régime ».
Dans son jargon institutionnel, la Cnuced parle de « reclassement dynamique » pour expliquer que les pays sortis ont développé à la fois des capacités productives, du capital financier, humain, technologique. Parallèlement, ils sont parvenus à améliorer leur productivité, à créer plus de valeur ajoutée, ce qui contribue à la diversification de leur économie et de leurs exportations, composées traditionnellement de produits de base.
Après leur reclassement, le Cap Vert, les Samoa et les Maldives ont réussi à attirer plus d’investissements directs étrangers (IDE). D’après le rapport de la Cnuced, la part des flux entrants d’IDE dans le produit intérieur brut de ces trois îles, principalement dans le tertiaire, est ainsi passée de 2,4 % entre 2000 et 2002 à 5,9 % en moyenne de 2013 à 2015.
« Ce sont les pays insulaires qui s’en sortent le mieux, parce que ce sont de petits pays à l’économie au départ peu diversifiée, donc très réactive dès qu’il y a une évolution positive, et qui bénéficie aussi d’une aide publique au développement (ADP) supérieure à celle des autres PMA », a expliqué Rolf Traeger, selon lequel, « ce n’est donc pas un hasard, si, d’après nos projections, tous les pays insulaires doivent sortir de la catégorie des PMA, sauf les Comores ».
Avec, en outre, la sortie prévue du Bangladesh, la géographie des PMA sera transformée, car hormis Haïti, il ne restera que des nations d’Afrique subsaharienne.
Le maintien d’aides post-PMA
L’ADP est une des nombreuses mesures d’appui dont bénéficie l’économie des PMA. Mais il en existe d’autres, comme les préférences en matière d’accès au marché et de règles d’origine, ou encore l’assistance technique renforcée et des transferts de technologie. Une fois exclus de la catégorie des pays les moins avancés, les États concernés profitent encore de dispositifs de soutien afin de favoriser une « transition en douceur ».
Dans le cas d’espèce, les donateurs sont libres d’adopter leurs propres règles. Par exemple, « dans le domaine commercial, exposait Rolf Traeger, l’Union européenne (UE) accorde le régime Tout sauf les armes (TSA), qui offre un accès au marché européen à droit de douane zéro et sans quota, alors que le Japon ne fait rien. Pour sa part, le Cap Vert a négocié un système de préférence généralisée + (SPG +) avec l’UE qui lui a ainsi concédé un traitement presqu’aussi favorable qu’avant [sa sortie de la catégorie des PMA, NDLR] ».
L’application du principe de « transition en douceur » est d’autant plus nécessaire que la fin du statut de PMA et donc de certaines préférences commerciales se traduit inévitablement par un recul des recettes d’exportation. D’après la Cnuced, si l’on considère le reclassement de l’ensemble des PMA, on aboutit à une chute globale de 4,3 milliards de dollars d’exportation par an, soit 3 à 4 % des exportations totales des pays moins avancés.
En faveur d’un libre accès complet des exportations
Certains sont beaucoup plus atteints que d’autres, à l’instar du Vanuatu, du Cambodge, de la Somalie, de l’Éthiopie et du Sénégal. D’où la nécessité de continuer à renforcer les capacités de production et les structures, en adoptant des politiques économiques en faveur de l’emploi et l’investissement, en soutenant les investissements publics dans les infrastructures, en améliorant les marges de manœuvre budgétaire, grâce à des systèmes fiscaux performants et des politiques de lutte contre la fraude, en adoptant des systèmes financiers dédiés notamment aux PME et aux agriculteurs, en poursuivant la transformation de l’économie rurale (qui représente les deux tiers de l’emploi dans les PMA), en mettant sur pied une politique industrielle sectorielle et intersectorielle et en engageant une démarche dans les sciences, la technologie et l’innovation.
Dans son rapport, la Cnuced propose également la mise en place d’un mécanisme de financement en faveur des PMA, les dispositifs actuels étant parfois très complexes (par exemple, de multiples fonds s’ajoutent les uns aux autres pour lutter contre le réchauffement climatique). En matière commerciale, l’institution internationale prône aussi un accès à taux zéro et sans quota des exportations de tous les PMA. Pour renforcer les capacités scientifiques dans ces pays, la Cnuced compte encore sur la Banque de technologie pour les PMA, qui doit être lancée en 2017.
(*) Afghanistan, Angola, Bangladesh, Bhoutan, Djibouti, Guinée Équatoriale, Kiribati, Laos, Myanmar, Népal, Sao Tome et Principe, Salomon, Timor Oriental, Tuvalu, Vanuatu et Yémen.
(1) Angola, Bénin, Burkina Faso, Burundi, Comores, Érythrée, Djibouti, Éthiopie, Gambie, Guinée, Guinée-Bissau, Guinée Équatoriale, Lesotho, Liberia, Madagascar, Malawi, Mali, Mauritanie, Mozambique, Niger, Ouganda, République centrafricaine, République démocratique du Congo, Rwanda, Sao Tome et Principe, Sénégal, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Sud-Soudan, Tanzanie, Tchad, Togo et Zambie
(2) Afghanistan, Bangladesh, Bhoutan, Cambodge, Laos, Myanmar, Népal, Timor Oriental, Yémen
(3) Kiribati, Iles Salomon, Tuvalu, Vanuatu
(4) Haïti
François Pargny