La crise financière actuelle et les restrictions de crédit bancaire court terme ont pour conséquences une dégradation forte de la trésorerie des entreprises, quelle que soit leur taille. Cette situation a pour conséquence immédiate une augmentation des retards de paiement et des défaillances d’entreprises (voir le graphique et le tableau en PDF en bas de page) dans de très nombreux pays.
L’un des impacts les plus significatifs est la prise de conscience aiguë de l’esprit « cash » dans les entreprises et donc de l’optimisation de la gestion du besoin en fonds de roulement. D’où un retour en force de la gestion du poste clients dans les préoccupations des dirigeants, y compris dans les entreprises n’ayant pas de structure de credit management au sens propre du terme. On a vu ainsi ces deux dernières années se créer des services crédit export, parfois maladroitement, au sein des services commerciaux de certaines entreprises. Même si on peut douter de leur efficacité compte tenu de l’évident conflit d’intérêts entre l’impératif d’engranger de nouvelles commandes et la nécessité de limiter les facilités de paiement accordés aux prospects et clients, ils ont au moins le mérite d’exister. Pour beaucoup d’observateurs, nous vivons actuellement le second acte de la crise financière commencée en 2008. Soyons lucides, si ce second acte est plus dévastateur que le premier, le pire est à venir, contrairement à ce que certains aimeraient nous faire croire, car les banques sont loin de donner l’impression d’être sorties d’affaire. Fin décembre 2011, la Banque centrale européenne a ainsi octroyé des prêts pour un montant global de 498 milliards à 523 banques de la zone euro. Au lieu de les réinjecter dans l’économie sous forme de prêts aux entreprises, elles ont préféré les replacer (à perte) auprès de la BCE, laissant entendre que ces sommes seraient « redistribuées » en 2012… Wait and see !
Ce que l’on a surtout constaté ces trois dernières années, c’est que les États ont soutenu les banques en difficulté et financé des plans de relance très coûteux, sans en avoir vraiment les moyens, s’endettant ainsi eux-mêmes davantage. Les États-Unis en sont l’illustration la plus frappante. Un petit entrefilet paru dans le quotidien La Tribune du 3 janvier 2012 laisse pensif : « Les faillites bancaires diminuent aux États-Unis. » En résumé, l’auteur soulignait que 92 banques américaines avaient déposé le bilan en 2011 contre 157 en 2010… Peu importe s’il y a diminution ou pas, c’est encore trop ! Constat préoccupant : depuis trois ans, parallèlement, les entreprises sont confrontées à une explosion des défaillances d’entreprises et à un allongement des délais de paiement dans la quasi-totalité des pays. Et, pour noircir le tableau, de plus en plus d’États ne pouvant plus faire face à leurs obligations financières sont à la limite de l’insolvabilité et n’ont plus qu’un recours, le FMI. Les crises grecque, espagnole, italienne, portugaise (les fameux PIGS, Portugal, Italie, Grèce et Espagne, auxquels certains ajoutent l’Irlande, donnant ainsi un acronyme moins percutant, PIIGS…) sont devenues un réel sujet de préoccupation pour les exportateurs français, d’autant plus que trois pays (l’Espagne, l’Italie et le Portugal) figurent parmi les plus importants clients de la France. À titre d’illustration, au moment où nous écrivons ces lignes, le 8 janvier 2012, sur le site de La Tribune, on peut lire en gros titre : « Le FMI ne croit plus au sauvetage de la Grèce »…
La liste des États en situation de quasi-faillite s’allonge ainsi de manière préoccupante. Selon le dernier classement de l’OCDE (28 octobre 2011), sur 211 pays, 46 se sont vus attribuer la plus mauvaise note (7) et 27 la note 6 (soit 35 % de pays à risques très élevés essentiellement africains, sud-américains et de l’Est).
Chez Ducroire, assureur-crédit belge, en matière de risque de non-transfert, sur 240 pays, 36 étaient notés 7 (sur une échelle allant de 1 à 7, du meilleur au pire) et 40 notés 6 (21 novembre 2011). Autrement dit, 32 % des pays sont jugés potentiellement insolvables ou à la limite de l’insolvabilité. De son côté, à fin octobre 2011, sur 150 pays, Euler Hermes attribuait sa plus mauvaise note de risque pays, D, à 59 pays (40 %).
Mais pour le credit manager attentif et perspicace, il y a un autre élément perturbateur préoccupant. Car, curieusement, tous les commentateurs – politiques, financiers, journalistes – n’ont qu’un mot à la bouche : la crise… Et l’impact de la réforme de Bâle 2 alors ?
Pour rappel, les nouvelles normes Bâle 2 constituent un dispositif prudentiel destiné à mieux appréhender les risques bancaires, principalement le risque de crédit ou de contrepartie et les exigences en fonds propres. Pour s’y conformer, les banques doivent augmenter les provisions en fonds propres qu’elles font pour chaque crédit ou prise de risque. Conséquences immédiates pour les entreprises :
• réduction voir suppression des découverts accordés par les banques ;
• hausse des taux de découvert ;
• réduction des capacités d’émission de cautions et garanties ;
• augmentation sensible des commissions liées à ces produits.
Le retour du crédit fournisseur
Or, tout le monde s’est accordé très rapidement à reconnaître que Bâle 2 n’était pas adapté à la crise actuelle, voire, pour certains, qu’il était dépassé (eh oui ! Bâle 2 ignorait l’impact des subprimes…). D’où la nouvelle réforme de Bâle 3. Si l’on en croit les nombreuses déclarations de la Fédération bancaire française ces 12 derniers mois, les entreprises ont bientôt fini de manger leur pain blanc… Même son de cloche de l’autre côté de l’Atlantique. Dans le dernier numéro de Business Credit, la revue du FCIB (Finance, Credit & International Business Association), Sanjiv Sanghvi, executive vice president de Wells Fargo’s Global Banking Group, déclare : « There is going to be less credit available, not just in trade finance, but finance in general. » « Il va y avoir moins de crédit disponible, non seulement dans le commerce, mais dans la finance en général. »
Aussi, pour maintenir un niveau de commandes acceptable, les entreprises exportatrices vont être tentées de se substituer aux banques et, en Europe, en dépit des différentes lois nationales imposant des délais de paiement réglementés, crédits fournisseurs et vendor financing ont de beaux jours devant eux.
Plaidoyer pour la prévention
Dernier problème auxquels les exportateurs ont été confrontés dés décembre 2010, le fameux « printemps arabe », qui a marqué le retour du risque politique… Pour certains des pays concernés (l’Égypte et la Tunisie, par exemple) les observateurs avertis avaient depuis déjà plusieurs mois anticipé les événements, sans bien évidemment avoir une idée précise des dates auxquels ils se dérouleraient. Et pourtant, comme je le mentionnais lors d’une conférence fin juin 2011, de nombreux exportateurs français ont continué de travailler dans ces pays sans aucune sécurisation, tablant sur la (soi-disant) renommée de leur client ou l’ancienneté de leurs relations commerciales. Ces derniers mois, nombreux sont ceux qui se sont retrouvés face à des impayés sur l’Égypte, la Libye, la Tunisie, pour ne citer que ces pays. Et, en dehors des pays arabes, on pourrait aussi citer la Côte d’Ivoire…
Conséquences parmi d’autres de ces événements :
• grève illimitée des douanes tunisiennes à partir du 13 juin 2011. Quand on sait que dans ce pays, la douane est un des obstacles majeurs rencontrés par les entreprises :
• nombreux conteneurs bloqués dans les ports maltais suite aux événements en Libye, idem en Libye et en Égypte ;
• quelques crédits documentaires bloqués suite aux règlements européens concernant la Libye, l’Égypte et la Tunisie.
À ces pays, nous devons bien évidemment ajouter la Syrie, où la situation à ce jour est plus que préoccupante.
Dans cette période de crises, en matière de gestion du risque client, la prévention est plus que jamais l’étape la plus importante et non le recouvrement, comme c’est encore trop souvent le cas dans de nombreuses entreprises françaises. Selon l’expression d’une ancienne présidente de l’AFDCC : « I am a credit manager, not a collection manager. »