Cette garantie, que l’on appelle souvent LOI – Letter Of Indemnity – est un instrument très spécifique, délivré toujours dans l’urgence et sur lequel il convient d’attirer l’attention car elle ne se compare pas aux garanties de marché ou de paiement que l’on rencontre habituellement dans le trade finance. Voici un point d’information de Michel Gally, expert en garanties internationales chez BNP Paribas, membre de la Task Force URDG de l’ICC et du comité d’experts en garanties de Credimpex*.
Souvenez-vous ! L’éruption du volcan du sud de l’Islande, le fameux Eyjafjöll en 2010, a eu des conséquences insoupçonnées, importantes pour les banques françaises qui ont connu durant le second trimestre de cette même année une vague sans précédent de demandes d’émission de garanties pour absence de connaissement de la part de leurs clients dont les marchandises arrivaient à destination, les navires n’ayant pas été retardés par le nuage sévissant sur le nord de l’Europe, alors que les avions restaient cloués au sol avec, dans leurs soutes, les sacs postaux contenant les connaissements maritimes…
Le connaissement, « bill of lading », preuve du contrat de transport
La première définition du connaissement, nommé « Bill of Lading » en anglais remonte au XVIIIe siècle ; il s’agit d’une « déclaration faite et signée par le capitaine d’un bâtiment de commerce, des marchandises ou objets qu’il a reçus à son bord, avec l’engagement de les remettre à telle personne et dans tel lieu déterminé, sous des conditions exprimées et convenues » (Dictionnaire de la Marine française).
L’article 35 de la Convention des Nations Unies sur le transport maritime international indique que lors de la remise des marchandises au transporteur (i.e. la compagnie maritime) ou à la partie exécutante (ex : un transitaire) en vue de leur transport, le chargeur (i.e. celui qui exporte, généralement le vendeur) est en droit d’obtenir du transporteur un document de transport négociable ou non négociable (au choix du chargeur).
Généralement, c’est un titre endossable, qui permet au vendeur, alors que les marchandises voyagent sur le navire, d’en transférer la propriété à l’acheteur et qui permet aussi de constituer un gage auprès d’une banque de façon à garantir le remboursement du crédit – souvent crédit documentaire voire simple encaissement (procédure D/P) – qui a été consenti contractuellement pour faire l’acquisition de ces marchandises.
Une garantie en cas de défaut de présentation du titre de transport au transporteur…
Il convient à ce stade de préciser la nature juridique du connaissement. En droit français comme en droit anglais, le connaissement n’est pas un titre de propriété comme on l’entend souvent dire. C’est la preuve du contrat de transport. Le porteur n’est donc pas forcément « propriétaire » de la marchandise dont il va prendre possession, symboliquement du fait du connaissement, ou réellement à la suite de la réalisation du connaissement. C’est un droit de créance que le porteur a contre le transporteur. Dans ce cadre, le défaut de présentation du titre de transport au transporteur, lors de l’arrivée du navire au port de déchargement, va déclencher de la part de la compagnie maritime une demande d’obtention d’une garantie en sa faveur visant à la dégager de toutes les conséquences, directes et indirectes, et de « tous les risques » qu’elle prend pour la délivrance des marchandises en contradiction avec les termes du contrat de transport qui suppose la remise de l’original du titre. Le transporteur risque, en théorie, d’être amené à rembourser non seulement la valeur de la cargaison au chargeur, mais également la réparation de préjudices indirects dont le montant est imprévisible (saisie conservatoire du navire par exemple).
L’opération vue côté entreprise, donneur d’ordre de la garantie
Généralement, la compagnie maritime demande donc à l’entreprise qui souhaite retirer, ou lui faire délivrer les marchandises sans présentation du connaissement, de signer préalablement une LOI/Letter Of Indemnity selon son « standard » et de faire co-signer cet engagement par sa banque.
Précisons que cette garantie peut aussi servir à faire simplement éditer un nouveau jeu de connaissements, pour remise en banque dans le cadre d’un crédit documentaire par exemple, alors que le jeu initial est perdu.
Dans tous les cas, l’entreprise devra examiner l’intérêt qu’elle a, et les risques financiers qu’elle prend en acceptant de signer un engagement de ce type quand l’Incoterm de son contrat ne la rend pas responsable du transport et de la gestion des documents associés.
Il faut être très prudent quand à la rédaction et aux conditions imposées par un texte présenté comme « non modifiable » par le transporteur ; celui-ci réclame souvent une garantie sans montant, sans durée, dont seule la restitution de l’original du connaissement à la compagnie maritime autorisera une mainlevée (quid s’il est définitivement perdu ou détruit ?).
La garantie peut être au bénéfice de plusieurs bénéficiaires conjoints (ex : le Groupe maritime et/ou ses représentants, parfois non dénommés), régie par un droit pas nécessairement bien connu…
La LOI peut contenir des clauses dont on ne mesure pas bien la portée quand on est dans une situation d’urgence pour retirer ou faire délivrer de la marchandise, alors que le navire est bloqué (risque de paiement de frais de stationnement importants). Un exemple de clause dont l’acceptation est délicate :
“ If, in connection with the delivery of the cargo as aforesaid, the ship, or any other ship or property in the same or associated ownership, management or control, should be arrested or detained or should the arrest or detention thereof be threatened, or should there be any interference in the use or trading of the vessel (whether by virtue of a caveat being entered on the ship’s registry or otherwise howsoever), to provide on demand such bail or other security as may be required to prevent such arrest or detention or to secure the release of such ship or property or to remove such interference and to indemnify you in respect of any liability, loss, damage or expense caused by such arrest or detention or threatened arrest or detention or such interference, whether or not such arrest or detention or threatened arrest or detention or such interference may be justified.”
Ce qui en résumé et en français signifie : « si en liaison avec la remise de la cargaison, le bateau, ou tout autre bateau ou autre bien sûr lequel la Compagnie exerce un contrôle effectif, est arrêté
ou retenu ou arraisonné, ou si l’utilisation ou la dénomination commerciale du navire fait l’objet d’un avertissement… (le garant)… s’engage à fournir sur demande une garantie ou toute autre sûreté de façon à éviter une telle arrestation ou détention, ou à permettre la levée d’une saisie, et à vous indemniser pour toute responsabilité, perte, dommages ou frais provoqués par une telle arrestation ou détention ou saisie ou menace de détention, si toutefois cette arrestation ou détention ou menace de saisie peuvent être justifiées ».
Le garant aura ici tout intérêt à limiter en montant et en durée une telle sûreté, et à ne pas s’engager dans la LOI à délivrer ultérieurement une autre garantie qui couvrirait tout autre chose que la remise des marchandises initialement visée…
L’opération vue côté banque
En délivrant une garantie pour absence de connaissement la banque va s’immiscer dans le contrat de transport passé entre le chargeur et la compagnie maritime. À quel titre ? Rendre service à son client… Au travers de sa garantie, la banque va demander à la compagnie maritime, sur ordre de son client, de remettre les marchandises à tel destinataire sans présentation de l’original du connaissement (puisque celui-ci est resté dans le sac postal qui dans notre exemple, est toujours dans l’avion bloqué au sol par le nuage islandais…).
Avant de s’engager, la banque devra prendre soin de vérifier que son donneur d’ordre est bien le « chargeur » qui a mandaté la compagnie maritime, et pour ce faire elle devra examiner l’Incoterm du contrat de vente sous-jacent.
Lorsque le donneur d’ordre est le destinataire de la marchandise, elle devra s’assurer que cette marchandise a été payée avant sa remise, ou faire en sorte que le chargeur reçoive le paiement malgré le défaut de présentation du titre original.
Il faut bien comprendre que la banque engage sa responsabilité en acceptant de faire délivrer une marchandise qui ne serait pas payée à l’expéditeur ; elle engage également sa responsabilité en faisant délivrer une marchandise qui aurait été consignée à l’ordre d’une autre banque aux fins de constitution d’un gage. Dans ce cas, elle doit obtenir l’accord de celle-ci avant la délivrance de la garantie. L’examen de la copie recto-verso du B/L est donc indispensable pour l’Établissement de crédit.
Généralement, la banque sera réticente pour co-signer une LOI avec son donneur d’ordre c’est-à-dire se rendre codébiteur solidaire, notamment quand la garantie comporte des obligations de faire qui relèvent du seul contrat de transport, ou quand l’engagement est placé sous un droit étranger mal connu.
En tout état de cause, elle ne signera pas une garantie sans montant et limitera sa garantie à 200 % de la valeur FOB des marchandises.
N’hésitez pas à demander conseil à votre banque !
Michel Gally
Credimpex France
*Credimpex est l’association des spécialistes du commerce international, plus particulièrement des techniques de financement (trade finance) : crédits documentaires, lettre de crédit stand-by, garanties internationales. Contact : www.credimpex.fr
Bon à savoir
Afin de minimiser les risques, l’Association Credimpex a mis au point des modèles de garanties pour absence de connaissement qui visent à sécuriser le donneur d’ordre et le garant et qui sont généralement bien acceptés par les compagnies maritimes. Ils sont à disposition des ses adhérents sur le site www.credimpex.fr.