Les nouvelles technologies vont-elles révolutionner les pratiques du commerce international ? Que vont réellement apporter la blockchain et l’intelligence artificielle (IA) dans les transactions du commerce international ? C’est à cette question qu’ont tenté de répondre les deux intervenants de la dernière table ronde du forum annuel du Moci sur les risques et opportunités à l’international, organisé le 27 juin à Paris, aux Salons de l’Hôtel des Arts et Métiers. Son thème : ‘Risques supply chain export : les promesses des nouvelles technologies’.
Si elle n’utilise pas la technologie blockchain dans son métier, la société d’informations financières B to B Bureau van Dijk (BvD) se concentre vers l’intelligence artificielle pour fournir à ses clients des informations détaillées (comptes des sociétés, indicateurs de solidité financière…) sur plus de 65 000 sociétés mondiales cotées, en phase d’introduction en bourse ou ayant quitté les places boursières. C’est principalement sur l’aide à la décision, méthode basée sur des concepts d’IA, que mise cette société qui conçoit des outils d’analyse financière et de veille économique pour la prévention des risques et la détection d’opportunités d’affaires.
L’IA : un outil pour le management des risques de l’entreprise
L’IA impacte les activités liées au commerce international « aussi bien du côté client que du côté fournisseur », a soutenu Thomas Perathoner, directeur marketing de BvD, qui intervenait sur cette table ronde. « Aujourd’hui, a-t-il développé, en tant que dirigeants d’entreprises vos services d’achats, vos directions commerciales, ont sûrement des modèles de risque pour évaluer des clients ou pour évaluer des fournisseurs ».
Mais quant est-il de la durée du modèle, « car le vrai risque, a-t-il continué, c’est qu’à terme, vous utilisiez un modèle qui ne soit plus du tout adapté à votre marché, parce que le marché évolue et que vous avez un modèle qui n’est plus à jour ». L’une des applications concrète de l’IA sera donc de « vérifier la robustesse » des modèles d’évaluation des risques autrement dit de vérifier s’ils sont encore valides, et le cas échéant prévenir l’entreprise des risques auxquels elle s’expose.
Les IA « les plus évoluées », a encore renseigné Thomas Perathoner, pourront même « s’auto-corriger », pour s’assurer que les modèles d’évaluation des risques « soient en permanence à jour quoi qu’il se passe pour votre marché », a souligné le directeur marketing de BvD. En effet, aujourd’hui, mondialisation oblige, les entreprises évoluent dans un environnement de plus en plus incertain, en témoigne l’incertitude provoquée par la politique commerciale imprévisible de Donald Trump. Concrètement, ces technologies ultra sophistiquées adapteront automatiquement le modèle d’analyse de risque de l’entreprise lorsqu’un événement extérieur surgira, comme « un pays qui passe sous-embargo, un pays qui n’est plus sous-embargo ou des problèmes politiques », a illustré Thomas Perathoner.
Un effort de dématérialisation qui remonte aux années 80
Gain de temps, diminution du risque de perte ou de fraude des documents, baisse du coût administratif de traitement des transactions, transparence, sécurité… Alors qu’aujourd’hui certains acteurs bancaires vantent les mérites de la blockchain dans le ‘trade finance’, métier traditionnel de la banque réputé pour son impressionnante consommation de documents commerciaux, Jean-Claude Asfour, consultant senior en commerce et développement international et auteur du Guide « Gérer les risques d’impayés à l’export », édité par Le Moci, a d’emblée souhaité faire une mise au point pour rappeler que le principe de la dématérialisation des moyens de paiements internationaux n’est pas nouveau puisqu’il a plus de trente ans.
« La dématérialisation des documents, a-t-il souligné, ça remonte à 1985 », date à laquelle une joint-venture entre la Chase Manhattan Bank et Intertanko a donné naissance au projet américain ‘SeaDocs Registry’. Puis il y a eu la création en 1998 par Swift (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication) de la plateforme ‘Bolero’ (Bill Of Lading Electronic Registery Organization). « L’idée de Bolero, a expliqué Jean-Claude Asfour, c’est de dématérialiser », de recourir au « 100 % paper less documentation » pour éviter les situations où « la marchandise arrive avant les documents ! » et diminuer le coût d’expédition des documents papiers dans les opérations de crédit documentaire. Le système Bolero, pour des raisons sans doute de culture, est aujourd’hui presque essentiellement utilisé en Asie, par la Chine, Taïwan, le Japon, des pays avancés technologiquement et à la pointe de la technologie financière.
« Et puis, la Chambre de commerce internationale (ICC) a sorti BPO (Bank Payment Obligation) », a encore renseigné le consultant. Dernier né en date des instruments de financement du commerce international, le BPO ou l’obligation bancaire de paiement, résulte d’un partenariat entre l’ICC et Swift. Mais là encore le système BPO n’a pas réussi à percer à ce jour et à se généraliser. La faute aux banques qui n’en ont pas fait la promotion, selon un rapport de l’ICC sorti fin mai pour donner des pistes d’explication à l’échec de BPO et cité par Jean-Claude Asfour.
Les promesses de la blockchain
Concrètement pour ce dernier, « la blockchain, c’est bien sur des opérations simples traitées en open account, c’est bien éventuellement pour de l’affacturage ou du forfaitage, parce qu’on peut dématérialiser, c’est très facile ».
Mais pas question pour le consultant d’utiliser la blockchain dans le traitement du crédit documentaire. D’une part parce que des solutions (plateformes et logiciels) existent déjà, et d’autre part, parce que le crédit documentaire recule comme moyen de paiement du commerce. Selon un rapport de l’ICC cité par le consultant « il y a 20-25 ans, le crédit-documentaire représentait 33 % des opérations en commerce international, à fin 2017, c’est un petit peu plus de 10 % ».
Pour lui, l’intérêt de la blockchain, « c’est la dématérialisation de tous les documents », « c’est zéro papier, zéro fraude », résume-t-il. Thomas Perathoner a nuancé en soulignant qu’avec les nouvelles technologies « on diminue le risque de fraude mais en aucun cas il ne disparaît ! ». Les plateformes d’échanges de monnaie virtuelle type bitcoins elles-mêmes ne sont pas épargnées par le risque de fraude.
Le gain de temps garanti
Si l’aspect sécurité de la technologie blockchain dans les transactions du commerce international n’est pour l’instant pas avéré à 100 %, le gain de temps serait lui garanti. Les opérations de crédit documentaire qui se traitent habituellement entre quinze jours et trois semaines seraient traitées en 48 heures avec la technologie blockchain.
Le 14 mai dernier, la technologie blockchain faisait son entrée concrète dans le « trade finance » avec le premier crédit documentaire exécuté par les banques HSBC et ING Bank grâce à une plateforme utilisant cette technologie. La transaction qui a été réalisée en 24 heures –contre 5 à 10 jours habituellement– pour le compte du géant du négoce de produits agricoles Cargill, portait sur une cargaison de soja transportée d’Argentine vers la Malaisie. Une première dans l’univers du trade finance, démontrant que la technologie blockchain en tant que solution pour la dématérialisation du commerce est commercialement et opérationnellement viable.
Dans la supply chain, l’utilisation de la blockchain en est à ses balbutiements : elle a débouché sur des projets mais qui n’ont pour l’heure pas encore été concrétisés. Une chose est certaine, l’utilisation de la blockchain et des nouvelles technologies devrait croître à l’avenir dans les opérations du commerce international. « On en est à l’aube », a conclu Christine Gilguy, rédactrice en chef du Moci qui animait les débats.
Venice Affre
Pour prolonger :
– Forum Moci 2018 : le financement, nerf de la conquête des marchés
– Forum Moci 2018 : l’export reste porteur pour les PME, malgré l’America First
– Forum Moci 2018 : préparation, accompagnement, clés de la réussite des PME à l’export